Entretien avec Olivier Besancenot
Entretien avec Olivier Besancenot
Au premier tour des présidentielles, Olivier Besancenot, candidat de la LCR, créait la surprise en devançant Robert Hue, juste derrière Arlette Laguiller. Parmi les jeunes électeurs/trices de 18 à 24 ans, il aurait même recueilli 14% des suffrages, plus que Jospin ou Mamère! Ensemble, la gauche anticapitaliste frisait les 10,5%, tandis que le PC et le PS perdaient 4,2 millions de voix…
En dépit de leur défaite du second tour, Le Pen et lextrême-droite visent aujourdhui à renforcer leur emprise sur de larges couches populaires, tandis que la droite «républicaine» poursuit et renforce la politique antisociale de Jospin. Cest dans ces conditions, que la LCR a lancé un appel au regroupement de la gauche anticapitaliste. Nous nous sommes entretenus avec Olivier Besancenot pour mieux en saisir les enjeux.
Des milliers de demandes dadhésion sont parvenues à la LCR dans le sillage de ta campagne. Cet afflux de militants va-t-il modifier le fonctionnement du parti?
Sûrement! On ne peut pas imaginer un fonctionnement inchangé alors quil est tout à fait possible que nous parvenions à doubler nos effectifs. Dautant que les attentes de ceux et de celles qui nous rejoignent sont nouvelles et très diverses. Ils veulent tout à la fois comprendre le monde, apprendre à connaître la LCR et, surtout agir et se battre. Pour certains, comme ce fut le cas au cours des années précédentes, ladhésion à la LCR est laboutissement dun parcours militant, nourri par une activité syndicale ou associative où ils ont eu loccasion de rencontrer la LCR et ses militants, dapprécier leurs propositions et leur militantisme. Dautres, et cest nouveau, viennent sur limpact de la campagne présidentielle et des mobilisations anti-fascistes qui ont suivi le 1er tour, mobilisations où la LCR a été très présente. Le défi qui est lancé à la LCR cest dêtre capable de les intégrer tous et toutes, de répondre à leurs attentes, de les faire agir ensemble, dans les différentes mobilisations sociales mais, aussi, comme militants dune organisation politique, porteuse dun projet radical. Cela implique sûrement de rompre avec des travers dans notre fonctionnement, travers hérités dune longue période où nous avons lutté à contre-courant.
La LCR semble à même désormais de passer au stade de «petit parti populaire», selon les termes de certains communiqués récents. Pourrais-tu préciser la nature du parti que vous appelez de vos vux?
Pour éviter toute ambiguïté, il faut bien distinguer deux choses différentes: le projet de faire émerger une force politique nouvelle et la nécessaire transformation de la LCR. Depuis plusieurs années, la LCR affirme la nécessité dune nouvelle force politique anticapitaliste, démocratique et pluraliste, rassemblant des militants aux itinéraires différents mais ayant tiré les leçons de la faillite du stalinisme et de la social-démocratie et bien décidés à défendre jusquau bout les intérêts des exploités et des opprimés, sans être subordonnés aux contraintes de la solidarité gouvernementale. Les animateurs des luttes et des mouvements sociaux font de la politique au quotidien et en font bien. Mais, ils nont plus aujourdhui de référence politique en termes de parti politique. Cest à ce chantier que nous nous sommes attelés. Sur cette voie, les obstacles demeurent nombreux: ce projet nest défendu par aucun autre courant politique que la LCR; et les militants du mouvement social hésitent à sengager. Il ne sagit donc pas dune perspective immédiate mais dun combat sur la durée.
Par contre, quand nous évoquons le fameux «petit parti populaire», cest de la transformation de la LCR dont il sagit. A la rentrée, nous ferons le point avec les nouveaux membres de la LCR, au niveau des entreprises et des quartiers. Puis une Conférence Nationale des directions locales de la LCR permettra de faire remonter et de mettre en commun problèmes et suggestions issus des structures de base. Enfin, début 2003, le congrès national de la LCR décidera de nouvelles modalités de fonctionnement, dapparition politique et de débat, plus adaptées.
La LCR a lancé à la suite de ta campagne un appel «Pour une gauche radicale et anticapitaliste». Quels sont les termes de cet appel, et penses-tu que sa proposition de créer partout des «forums régionaux» sera suivie?
La gauche na toujours pas compris ce qui sest passé aux dernières élections. On nest pas débarrassé de Le Pen. Au contraire: dans les couches populaires, une course de vitesse sest engagée entre le Front National et le mouvement social. Lenjeu est de montrer que le vrai camp de la rupture et du changement, cest le camp social. Dans cette situation, nous prenons nos responsabilités en proposant de débattre de lavenir à tous ceux et à toutes celles qui le souhaitent: militants, groupes de militants, de la gauche sociale, de la gauche révolutionnaire ou même de la gauche plurielle. À notre avis, cette démarche décentralisée, par régions, sans bluff, peut permettre dy associer tous ceux qui pensent quune autre gauche est possible. Nous sommes donc optimistes. Mais attention: ce nest pas la maison du bricolage! Nous voulons faire du neuf et du radical, pas colmater les brèches et les vieilles querelles internes aux Verts, au PC ou au PS.
Ton électorat déborde de toute évidence lélectorat «naturel» de la LCR. Ceci vous contraint-il en quelque manière, sur le fond ou sur la forme, à modifier votre programme?
Les électeurs qui se sont portés sur ma candidature à lélection présidentielle et sur les candidats de la LCR aux législatives se sont reconnus dans un discours qui permettait de combattre le patronat, la droite et lextrême-droite tout en sanctionnant la gauche social-libérale. Beaucoup sont à lécoute de propositions politiques pour transformer radicalement la société, pour passer de la société des privilèges à celle des droits. Cette attente valide la pertinence dun programme résolument anticapitaliste. Car il ne sagit pas de changer la société, mais de changer de société. Cest pourquoi le programme que nous avons défendu (sur les salaires, les licenciements, la répartition des richesses, etc.) était à la fois un ensemble de mesures immédiates dictées par lurgence sociale et démocratique et, en même temps, des éléments dun projet de société, alternative au système actuel qui est celui de la dictature des multinationales et des actionnaires. Ce sont surtout des perspectives pour les luttes à venir.
Tu as désormais ta place réservée sur tous les plateaux de télévision, et la presse est intarissable sur le «phénomène Besancenot». Une personnalisation excessive nest-elle pas contraire au discours de la LCR?
Ta description de mes possibilités daccès aux médias est vraiment très, très exagérée, surtout en ce qui concerne les grandes chaînes de télévision! Quant au «phénomène Besancenot», il révèle surtout létat desprit de certains journalistes qui ont voulu réduire le succès de la campagne présidentielle de la LCR à un problème de casting. La vérité est plus simple: depuis plusieurs années existe en France et ailleurs une nouvelle situation politique, marquée par la progression de lextrême-gauche, y compris sur le plan électoral, et, surtout lémergence dune nouvelle génération politique, radicale et très branchée sur les mobilisations contre la mondialisation capitaliste et ses dégâts, sociaux et écologiques. En choisissant de présenter un jeune salarié, qui partage lexistence, les préoccupations et les aspirations de secteurs significatifs de la population, la LCR a permis un certain phénomène didentification. Pour une fois, les gens ordinaires ont pu voter pour quelquun pour qui la politique nest pas un métier, pour quelquun comme eux. Quant au risque de personnalisation, ce nest pas vraiment le genre de la maison!
Penses-tu que le succès de ta campagne puisse être transposé à dautres pays européens? Si oui, à quelles conditions?
Il ny a évidemment pas de recette magique, transposable dans dautres pays. Et nous navons pas la prétention de donner des conseils péremptoires aux au-tres organisations de la gauche révolutionnaire européenne. Par contre, la poussée de lextrême-gauche se manifeste déjà dans dautres pays européens, permettant parfois à des révolutionnaires dêtre élus députés, comme cest le cas en Ecosse, aux Pays-Bas, au Portugal ou en Italie par exemple. On voit bien que cela dépasse leffet «jeune facteur» et renvoie à la nouvelle situation politique. Une démarche unitaire, un programme centré sur la question sociale mais ouvert aux luttes contre toutes les oppressions, un profil de rupture radicale avec le social-libéralisme: tels sont quelques-uns des ingrédients possibles.
Dans quel sens les rapports entre la LCR et le mouvement social évoluent-ils après ta campagne? Le milieu associatif et syndical perçoit-il positivement le succès que tu as rencontré?
Les sondages effectués à loccasion de la campagne présidentielle montrent effectivement limpact qua eu ma candidature dans les cercles militants du mouvement social, quil sagisse des organisations syndicales ou des associations de lutte. Un nombre significatif de ces militants ont retrouvé dans notre campagne lécho des combats quils mènent au quotidien. Pour autant, cela ne peut suffire à régler la question difficile des rapports entre les organisations politiques et des mouvements sociaux très attachés et à juste titre! à leur autonomie. Pour sa part, la LCR respecte cette volonté dautonomie tout en cherchant à construire des convergences, pour développer les mobilisations et construire une alternative au système.
La gauche institutionnelle est en pleine déliquescence. Penses-tu que certaines fractions du PC, des Verts et du PS puissent vous rejoindre autour dun programme radical ? Par ailleurs, la «cure dopposition» à laquelle ces partis sont astreints ne risque-t-elle pas dentamer la progression de la LCR dans les mois à venir?
On ne peut rien exclure par principe. Mais, honnêtement, lévolution de la gauche institutionnelle ne va pas franchement dans ce sens! Certes le débat commence à souvrir dans le PS, tétanisé par sa déroute au point de sinterroger longuement pour savoir sil doit ou non sopposer aux lois liberticides de Sarkozy. Le gauchissement purement verbal de certains dirigeants socialistes ne peut masquer quau PS les choses sérieuses vont se jouer entre les deux ministres des Finances successifs de Jospin, Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn, plus libéral lun que lautre! Aujourdhui, le PCF cherche à se différencier de la politique menée par un gouvernement dont il a assumé toutes les dérives. Mais aucun courant ny propose dautre politique que de reconduire lalliance avec le PS. Quant aux Verts, ils senfoncent dans linstitutionnalisation et persistent à sacrifier les revendications écologistes pour quelques positions délus. Par con-tre, nous savons bien que de nombreux électeurs et militants, communistes, écologistes et même socialistes ne se reconnaissent plus dans la politique de ces partis. Cest à tous ceux-là que nous comptons bien nous adresser dans les mois à venir.
Propos recueillis par Razmig Keucheyan