Guerre contre lIrak: dialogue de faucons?
Guerre contre lIrak: dialogue de faucons?
La presse fait grand cas de l«opposition» des anciens conseillers républicains de Ronald Reagan et de George Bush père à une intervention unilatérale des Etats-Unis. A cette «résistance» du sérail, on ajoute souvent le secteur «isolationniste» de lextrême droite républicaine (Pat Buchanan). Les observateurs font cependant remarquer le silence emprunté des leaders démocrates, qui ne paraissent pas pressés de prendre position. En réalité, quelle que soit lissue des débats en cours, tout ce beau monde est daccord sur un objectif stratégique essentiel: resserrer lemprise des Etats-Unis sur lensemble du Moyen-Orient, qui concentre les principaux gisements de pétrole du monde, à un moment où lun de leurs relais régionaux essentiels, le régime ultra réactionnaire de Riyad, paraît à bout de souffle. La question est comment?
Le débat qui secoue le Labour anglais est plus miné, et ceci pour une raison: lopposition à la guerre est largement majoritaire dans l«opinion publique», traverse lensemble du parti travailliste (y compris le New Labour) et samplifie de jour en jour au sein des organisations syndicales. Le mouvement anti-guerre a déjà fait descendre des dizaines de milliers de personnes dans la rue contre la guerre en Afghanistan. Il promet de recommencer de plus belle! La manifestation du 28 septembre contre la guerre en Irak sannonce imposante (cf. page 16).
Limpérialisme américain peut-il rester totalement insensible aux difficultés de son principal allié européen? Doù limportance internationale toute particulière de la crise du gouvernement Blair en Grande-Bretagne.
LOncle Sam affûte ses armes
De son côté, lUnion Européenne a de bonnes raisons de craindre que les Etats-Unis nexploitent de plus en plus systématiquement leur ascendant militaire, et donc politique, pour sarroger des avantages substantiels dans la course aux surprofits impérialistes.
Comment expliquer autrement la croissance vertigineuse des budgets militaires US. Une hausse de 45,5 milliards de dollars (+13%) pour 2003, soit un total de 396,1 milliards. Ce qui, compte tenu des abattements fiscaux décidés par les Républicains et de la baisse des recettes publiques entraînée par la récession, risque de précipiter le budget fédéral dans des déficits incontrôlables.
La grogne européenne
De ce point de vue, lopposition à la guerre exprimée par Gerhardt Schröder (même si linitiative des Etats-Unis devait bénéficier du blanc-seing de lONU) ne doit pas être perçue comme une manoeuvre électorale. Elle est aussi conforme aux intérêts politiques de la bourgeoisie allemande, qui aspire à jouer un rôle plus important, comme principale puissance économique de lUnion Européenne, dans le concert impérialiste mondial.
Les déclarations de Chirac portent moins à conséquence, même si la France est lun des membres permanents du Conseil de sécurité, ce qui lui permet de jouer les «gros bras» pour un instant. Il est vrai que, selon les sondages, les trois-quarts des Français/es sont contre cette guerre…
Sur cet épineux dossier, le Conseil fédéral na pas dopinion. Il se contentera de suivre la décision du Conseil de sécurité. Joseph Deiss, qui avait cru pouvoir insister sur «le respect de lintégrité territoriale de lIrak», sest vu rappeler à lordre par Pascal Couchepin, Ruth Dreifuss et Samuel Schmid réunis. On ne crache pas dans la soupe du Président Bush! (Dimanche.ch, 15 septembre).
Marchandages en perspective
Enfin, la Chine et la Russie ont intérêt à marchander durement un éventuel accord (ou une abstention) au Conseil de sécurité. Même parmi les alliés traditionnels de Washington, la Turquie tente de faire monter les enchères pour la mise à disposition de son territoire et de son espace aérien. De son côté, le Japon traîne les pieds: il a tout à craindre dune augmentation des cours du pétrole, bien mal venue pour un pays fragilisé par une longue phase de stagnation économique.
Enfin, à lexception du Qatar, transformé en véritable porte-avions des Etats-Unis (on naccueille pas lOMC pour rien!), aucun Etat arabe ne peut se payer le luxe de soutenir le Président Bush, voire même de fermer les yeux sur la guerre qui vient. Le Pakistan se trouve dans une situation analogue, à la veille délections qui laissent augurer une forte poussée islamiste. Même lIran, qui a pourtant mené une guerre très dure contre lIrak (au moment où celui-ci était soutenu et armé par lOccident), ne peut se permettre dappuyer la politique de Bush.
Les Etats-Unis contre le monde?
Ce relatif isolement des Etats-Unis (noublions pas lenthousiasme de Sharon) contraste avec le soutien quils avaient reçu en 1991 de la part de plus de 30 pays – pour lopération «Tempête du désert». Bien sûr, un tel handicap nest pas insurmontable, pour autant quils soient prêts à en payer le prix.
Mais ne serait-il pas moins coûteux de poursuivre le harcèlement du régime de Saddam Hussein, en persévérant dans le bombardement régulier du territoire et la mise sous tutelle du commerce extérieur, tout en imposant lenvoi de nouvelles missions de contrôle de lONU infiltrées par la CIA? Ceci dautant plus que les Etats-Unis ne semblent pas disposer dune option de rechange très crédible, à court terme, au régime de Saddam. Le problème, cest que le maître de Bagdad a su jusquici louvoyer et résister à cette stratégie de déstabilisation…
Ecraser lIrak, mais comment?
Le débat entre faucons états-uniens (on nentend guère la voix des colombes) porte précisément sur le choix de la meilleure option pour arriver aux mêmes fins. Comme le dit Chomsky: «Si jétais dans la Garde républicaine irakienne, je cacherais mon fusil et je prendrais la fuite. Ils vont se faire tailler en pièces. Et je présume aussi que les types de Washington ont peut-être raison de penser que le Moyen-Orient et le monde vont être tellement intimidés quils ne feront rien. Dun autre côté, toute la région pourrait exploser. Cest un véritable pile ou face» (Village Voice, 26 août 2002).
Dans de telles circonstances, les responsabilités du mouvement anti-guerre international sont considérables, non seulement aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, mais aussi dans le reste de lEurope et du monde. Le mouvement contre les effets de la «mondialisation néolibérale» réalise de plus en plus que la «main invisible» du marché porte aussi un gant de boxe. Dans de telles conditions, il est vain de combattre les décisions de lOMC, du FMI, du G8 ou des Global Leaders de Davos sans combattre la politique militaire de limpérialisme.
Jean Batou