LME: non-sens du oui et sens du non

LME: non-sens du oui et sens du non



La campagne anti-LME – dont nous sommes fiers d’avoir tiré quelques une des premières salves dans nos colonnes – arrive à terme. D’ici un jour ou deux, une décision sortira des urnes, mettant fin, non à la bataille sur le service public électrique, mais à l’épisode référendaire le plus long de l’histoire helvétique.



En effet, près de deux ans se seront écoulés, depuis le vote idéologique néolibéral de près de 90% des

élu-e-s aux Chambres fédérales, jusqu’à ce que les électeurs-trices aient été autorisés à refaire le même vote, sur la même loi, à l’échelle du pays.



Au final, le décompte des voix sera différent. Il enregistrera l’effet des blackouts électriques californiens, de la chute d’Enron et autres Worldcom, de l’affaire Swissair, voire de la crise du IIe pilier et de l’explosion des primes d’assurance-maladie que la «concurrence» entre caisses privées devait brider. Mais face au discrédit de la panoplie néolibérale, les deux ans que s’est octroyé anti-démocratiquement le Conseil fédéral auront aussi été mis à profit par celui-ci pour développer une campagne de désinformation particulièrement éhontée.



Mensonges…



L’une des grosses ficelles employée aura été celle d’un marché «déjà libéralisé pour les gros» rendant inévitable la suite de son «ouverture». Ainsi les pressions occultes exercées par de gros consommateurs et les activités de spéculateurs, visant à escompter par avance les effets d’une LME contestée, sont présentées comme un donné objectif pour arracher la décision en faveur de celle-ci. C’est un air connu: les gros fraudent le fisc, il faut donc que l’Etat …multiplie les cadeaux fiscaux aux riches!



Mais la dizaine de millions investis par le lobby patronal économiesuisse dans la campagne auront surtout servi à marteler que la LME n’a rien à voir avec les privatisations, qu’elle serait une protection contre le libéralisme «sauvage» et qu’elle nous préserverait contre les effets pervers des lois de ce marché …qu’elle institue. De fait, pour tenter d’arracher la décision politique en faveur de la LME, on assiste au spectacle cocasse de la valetaille patronale reniant son propre credo idéologique, comme l’a fait le Conseil fédéral dans son message aux électeurs-trices où il répudie les «lois du marché» pour le bien si «précieux» qu’est l’électricité.



En outre, le gros mensonge du Conseil fédéral aura été largement crédibilisé par la poignée de responsables d’associations environnementales ou de consommateurs qui auront accepté, pour des raisons plus ou moins avouables, de jouer ce sale jeu.



Tout va bien, mais on déplore de petits riens



A la veille du vote, certains de ces milieux cherchent-ils à se couvrir? La Fondation Suisse pour l’Energie par exemple – qui appelle à voter OUI et qui a servi de caution aux partisans «verts» de la LME – annonce aujourd’hui que cette loi devrait être suivie …d’«améliorations»1. Comme par exemple: «une autorité de régulation étatique forte», des règles de «transparence» garantissant la publicité des conditions de tous les contrats électriques et de toutes les données sur la production et la charge du réseau… La FSE fait en outre état des résultats d’une étude qu’elle a contribué à commanditer2 qui arrive à la conclusion que des évènements à la californienne et des débacles à la Enron – dont la collectivité et les ménages payeraient la facture – sont possibles chez nous… Pour pallier à un «grounding du marché de l’électricité» coûtant des milliards, elle indique gentiment aux autorités qu’il serait opportun …d’étatiser le réseau à très haute tension que la loi confie à une société privée! Elle dénonce économiesuisse et sa «déclaration de guerre» contre l’utilisation rationnelle de l’énergie et affirme que le ressort premier de la libéralisation serait la volonté de l’économie d’avoir pour elle des prix du courant plus bas. Elle reconnaît que le processus en cours conduit à la domination du marché électrique continental par une poignée de multinationales, objectivement incontrôlables et non transparentes… Bref la FSE développe l’argumentaire pour un NON à la LME …tout en maintenant son mot d’ordre positif.



Spéculation scandinave…



Dans ce brouillard, on peut bien sûr encore marteler quelques arguments en faveur du NON, comme la réalité nous en fournit chaque jour. Par exemple le récent scandale révélé par le quotidien spécialisé Dagens Industri selon lequel de gros producteurs scandinaves d’électricité auraient pratiqué des rétentions massives de courant électrique (il est question de l’équivalent de la puissance d’une centrale nucléaire entière, lors d’un épisode ce printemps) pour manipuler les prix du courant, selon …la méthode Enron!



…et ampères anglais



On peut rappeler aussi qu’en Grande Bretagne – qui a pourtant des années d’expérience dans ce domaine – les nouvelles «règles du jeu» en matière de marché électrique introduites l’an passé3 ont mené la British Energy privatisée (qui fournit 25% du courant du pays avec ses huit centrales atomiques) au bord d’une faillite nucléaire «impossible». Celle-ci a conduit le gouvernement de Tony Blair à débourser plus de 400 millions de livres – dans un scénario à la Swissair – pour assurer pour quelques semaines la survie d’une entreprise qui versait encore l’an dernier un bon dividende à ses actionnaires. (Selon le vieil adage, privatiser les bénéfices et socialiser les pertes, érigé en principe par Moritz Leuenberger4 père de la LME.) Aujourd’hui, la Credit Suisse First Boston, engagée comme conseil par le gouvernement Blair, propose que l’Etat rentre majoritairement dans le capital de British Energy…5 Après le rail britannique, c’est au tour de l’électricité de démontrer les aspects catastrophiques du pilotage selon les règles du tout-au-marché…



Un choix de société



Mais l’heure est peut-être surtout à réaffirmer sur la question notre position de fond. «Au-delà des considérations spécifiques à l’électricité, le choix qui est proposé à la population est aussi un choix de sociét酻 écrivait récemment à juste titre un électricien6, à contre-courant du discours de nombre de ses pairs et du chœur des fatalistes.



En deçà de cette vision d’un choix de société, le PSS dans un récent communiqué fustige «les libéralisations mal conçues et les privatisations d’entreprises publiques qui fonctionnent bien7 Nous ne saurions le suivre sur ce terrain qui conduirait …à la recherche de libéralisations «bien conçues» ou à l’acceptation de la privatisation de services publics qui ne «fonctionneraient pas bien»!



Si du côté de solidaritéS, nous nous sommes engagés – dès le début et sans hésiter – dans le combat contre la LME, ce n’est pas pour telle ou telle raison technique ou parce que la libéralisation serait moins «efficace» que la privatisation marchande, mais bien parce que nous sommes convaincus que dans ce champ comme dans les autres domaines de la vie social, deux logiques s’affrontent. Il y a d’un côté celle de la démocratie, du contrôle conscient et organisé par les citoyen-ne-s, les travailleurs-euses et les usagers-ères des décisions sociales essentielles, dans l’intérêt de la majorité de la population… cette logique «poussée jusqu’au bout» porte un nom c’est le socialisme! Il y a de l’autre côté la logique aveugle du profit, de la course à la rentabilisation des capitaux qui conduit aux pires catastrophes, sociales, comme écologiques… La LME est ouvertement au service de cette logique-là. C’est avec elle qu’il faut rompre, c’est le sens de notre NON!



Pierre VANEK



  1. Energie & Umwelt N.3 Sept.02 par A. Braunwalder SES-Geschäftsleiter

  2. Strommarktliberalisierung und Terminmärkte par Wolfgang Hafner, Windisch 14.8.02

  3. New electricity trading arrangements dit NETA (mars 2001)

  4. Selon Leuenberger la «limite aux privatisations» c’est «là où le service de base ne peut être assuré parce que ce n’est pas rentable». V. solidaritéS No 112 du 29.7.00 «L’évangile social-démocrate selon Saint-Moritz»

  5. V. The Observer 15.9.02

  6. R. Battistella, directeur général des Services industriels de Genève, in Tribune de Genève 24.8.02

  7. Communiqué du PSS 24.8.02