Une légende du folk disparaît: Alan Lomax

Une légende du folk disparaît: Alan Lomax



Vendredi 19 juillet, à l’âge de 87 ans, l’ethnomusicologue américain Alan Lomax nous a quitté. La nouvelle n’a pas fait grand bruit de ce côté-ci de l’atlantique, et pourtant… Retour sur un parcours original auquel nous devons la découverte de grandes figures du blues et du folk.



Alan Lomax est né au Texas en 1915. Dès 1933, pour «the Library of Congres» il sillonne avec son père et sa sœur le sud des Etats-Unis pour enregistrer les musiciens ignorés des plantations ou des prisons d’Etat. En 1934, lors d’un de leurs périples, les Lomax découvrent dans une prison de Louisiane Huddie Ledbetter, connu ensuite sous le nom de Leadbelly. Grâce aux Lomax, Leadbelly sort de prison et est devenu une des plus grandes, si ce n’est la plus grande figure du blues noir américain. Il a joué avec Blind Lemon Jefferson, Cisco Huston et Woody Guthrie et a influencé des artistes tels que Pete Seeger, Brownie McGee, Sonny Terry, Clifford Jordan ou encore le groupe Nirvana qui a repris sur son album unpluged la chanson «Black Girl».



S’il s’était contenté de découvrir Leadbelly, Alan Lomax resterait déjà dans l’histoire de la musique, mais il a également produit les premiers enregistrement de la légende du folk Woody Guthrie, père spirituel de Bob Dylan, et il a sorti Morgan field Mc Kinley des plantations de coton, plus connu sous le nom de Muddy Waters, principale influence des Rolling Stones. Lomax a également travaillé avec Jelly Roll Morton, un des précurseurs du jazz et avec les bluesmen Memphis Slim, Big Bill Broonzy et Sonny Boy Williamson.



Contre toute domination culturelle



Alan Lomax a consacré sa vie à faire connaître les cultures ignorées, convaincu qu’il fallait lutter contre l’homogénéisation culturelle qu’imposaient les médias et l’industrie musicale naissante. Il a toujours défendu l’idée selon laquelle l’équité culturelle ne devait signifier rien d’autre que le droit à chaque culture d’avoir la même audience sur les ondes et dans les salles de classes. On retrouve à la source de l’œuvre de Lomax, qui a enregistré des centaines d’heures de musique populaire tant américaine que caraïbe et européenne, le refus de toute culture dominante et impérialiste. Il y a peu de gens qui ont marqué la musique contemporaine comme Lomax. Sans lui, Dylan n’aurait pas été Dylan, tant ses premiers disques sont inspirés des enregistrements de Lomax. Globalement, le folk américain, le courant du «protest song», dont les figures ont été Woody Guthrie, Pete Seeger, Phil Ochs ou Joan Baez, n’aurait pas été ce qu’il a été s’il n’avait pu puiser dans les bandes de Lomax, témoignage de la ségrégation, son potentiel de contestation sociale extraordinaire. Parti de l’objectif de faire connaître la diversité culturelle inscrite dans la musique populaire, notamment américaine, l’œuvre de Lomax devient rapidement dérangeante par sa dimension politique. Il n’était en effet pas anodin dans les années trente ni même durant les décennies suivantes, d’amplifier la complainte des noirs ou la rage des ouvriers.



En 1948, Alan Lomax et Pete Seeger ont soutenu la campagne présidentielle de l’ancien Vice-Président étasunien Henry A. Wallace, candidat du parti progressiste, axé sur un programme social audacieux et un rapprochement avec l’URSS. Sous l’ère réactionnaire de McCarthy, les artistes engagés sont mis sur la liste noire et Alan Lomax s’exile durant sept années en Angleterre d’où il continue sons travail de collection de la musique populaire sillonnant l’Europe.



Contre l’électrification…



Lomax était un puriste et lorsque le 24 juillet 1964, Bob Dylan est apparu sur la scène du Newport Folk Festival avec une guitare électrique, inaugurant le «folk-rock», évolution majeure de la musique contemporaine, il a tenté de couper les câbles d’alimentation et s’est battu avec le manager de la figure montante du folk.



Longtemps, les enregistrements de Lomax sont restés inaccessibles, sauf à trouver des vinyles de seconde main. Heureusement, aujourd’hui, grâce à Rounder Records1, des rééditions en CD d’une partie de son travail sont à nouveau disponibles. Alors laissons-nous porter par la curiosité de redécouvrire ce pourquoi Alan Lomax à vécu : ces cultures lointaines et proches mais ignorées et dénigrées par la société matérialiste dans laquelle nous vivons.



Erik GROBET



  1. www.rounder.com