Clients mystères et contrôles comportementaux

Clients mystères et contrôles comportementaux



Dans une enquête parue
l’été passé dans Le Courrier, quatre
vendeuses expliquaient que, bien que qualifiées de bonnes
professionnelles, elles se voyaient reprocher par leur
hiérarchie soit une instabilité psychique, soit une
absence de sourire ou encore de valeurs humaines. Depuis, dans la vente
et dans les services en général, ce sont aussi des
clients mystères (mystery shopping) qui accomplissent une
évaluation qui revient, comme le disait une de ces vendeuses,
à être jugée sur ce que le stress des grandes
surfaces fait d’elles. Ce genre de pratiques s’étend
à tous les secteurs en contact avec la clientèle, comme
les banques, la restauration, le tourisme, etc.

Pour vingt-cinq francs de l’heure, après une brève
formation, vous pouvez ainsi être amenée à
évaluer, en tout anonymat, si le vendeur ou la vendeuse de
l’une ou l’autre grande surface « a
considéré cette vente comme un acte trop
quotidien » ou encore si vous n’êtes pas
« sorti du magasin avec le sentiment d’avoir
acheté le bon produit ». Bien sûr, les
entreprises qui mènent ces enquêtes comme les directions
des entreprises concernées, jurent leurs grands dieux que tout
cela n’a que pour seul objectif que de cerner globalement les
capacités des employé·e·s pour mieux les
améliorer, sans volonté aucune de contrôle du
comportement individuel. Seule la qualité du service offert
à la clientèle est en jeu. Compte là-dessus et
bois de l’eau fraîche… Chez Manor à Genève,
les « clients mystères » rendaient
leur évaluation accompagnée du ticket de caisse. Pas
difficile ensuite de trouver les employés en cause. Outre-Jura,
la chaîne de restauration rapide franco-belge
« Quick » a carrément
lâché le morceau : « Des
clients mystères passent au restaurant tout au long de
l’année, comme un client classique sauf qu’ils font
un compte-rendu de dix pages sur la prestation du restaurant. Ils
donnent une image très précise de votre accueil et du
service dont ils font l’objet. Bien entendu, nous savons tous
exactement quel jour, à quelle heure, à quelle
caisse 
». Pas vraiment en accord avec les
conditions posées par le porte-parole du préposé
à la protection des données qui – selon
l’enquête menée par l’Evénement
syndical et dont nous publions ci dessous la dernière partie
– précise que les employé·e·s doivent
être informés, avoir connaissance de la période des
contrôles, qui doivent être limitée dans le temps et
ne pas se répéter consécutivement, les
employé·e·s ne pouvant faire l’objet
d’une surveillance constante. En outre, les objectifs du mystery
shopping doivent être nettement définis et
l’anonymat de la personne ainsi évaluée clairement
garanti. De quoi laisser les syndicalistes plus que dubitatifs :

« Une pratique inacceptable, qui accroît encore le stress du personnel

Pour le syndicat Unia, le mystery shopping est absolument inacceptable. « Nous
demandons que ce mode de contrôle cesse. Il y a suffisamment de
stress dans la vente sans en rajouter », s’indigne
Catherine Laubscher, responsable de la branche à Unia.
« Nous préparons un tract pour dénoncer
cette pratique, véritable peste du commerce de détail
[…] 
», renchérit la syndicaliste relevant
que la qualité du service ne doit pas être mesurée
par des personnes extérieures à l’entreprise.
« Il y a, parmi les
clients fictifs, des personnes qui n’ont aucune connaissance des
magasins qu’ils visitent et de leur fonctionnement. C’est
aux chefs et supérieurs directs des vendeurs d’assumer le
contrôle des prestations
.» Autre doléance
d’Unia, le délai qui peut courir entre
l’établissement d’un rapport par des clients fictifs
et l’information faite au personnel concerné.
« Nous avions
demandé un avis de droit sur la question. Selon ce dernier, 30
jours peuvent s’écouler avant qu’une situation
négative constatée ne soit ouvertement exposée.
C’est beaucoup trop long. Dans l’intervalle, nombre de
clients auront fréquenté le commerce, rendant
l’exercice de mémoire des vendeurs mis en cause difficile

    La position tranchée d’Unia se justifie
aussi par son interrogation sur l’impact des questionnaires
remplis par les clients fictifs. « On nous affirme
qu’ils n’auront pas d’influence sur les rapports de
travail. Nous n’y croyons pas.» Risques
d’évaluations subjectives et d’abus sont aussi
soulignés par Jean-Paul Rossier, responsable du secteur
tertiaire à Unia Vaud. « Comment
peut-on noter un comportement ? Nous ne sommes pas là
dans le domaine du mesurable. On ignore aussi tout du retour fait aux
vendeurs, des conséquences pour les ‹ mauvais
élèves ›. L’opacité de la
pratique rend d’éventuelles interventions
aléatoires.» Jean-Paul Rossier relève
également le fait que le mystery shopping s’ajoute encore
à d’autres outils souvent déjà en place,
comme la vidéo surveillance, supposée faire
barrière aux vols. « Un système
particulièrement pervers pour les employés, car il
fonctionne en permanence

    Quoi qu’il en soit, rien ne semble
arrêter certains employeurs à user d’accessoires de
contrôle supplémentaires au motif, avéré ou
non, d’améliorer la rentabilité de leur commerce et
la qualité du service. Jean-Paul Rossier cite une grande surface
qui demanderait actuellement aux collaborateurs affectés
à des secteurs spécialisés tels que le bricolage
de porter constamment sur eux des microphones. Ceux-ci n’auraient
d’autre but que de contribuer à l’écoute des
enregistrements, à la formation de leurs détenteurs. Leur
usage se ferait sur une base volontaire. En principe du moins.
« C’est
l’addition de ces mesures de surveillance qui pèse
particulièrement sur les vendeurs, avec, pour résultat,
d’augmenter le stress dans une profession qui y est
déjà sujette », conclut le syndicaliste
rappelant les petits salaires qui régissent le secteur de la
vente. « Autant dire que, dans de telles circonstances, il
faut vraiment aimer son métier…»

Sonya Mermoud

L’Evénement syndical n° 47/48 du 19.11.2008