« Nestlégate »: Circulez, il n’y a rien à voir !
« Nestlégate »: Circulez, il ny a rien à voir !
Cest en substance ce que
signifie le non-lieu prononcé par le juge dinstruction
cantonal vaudois Jacques Antenen. Ni Nestlé ni Securitas ne se
sont rendus coupables de quoi que ce soit de
répréhensible en espionnant les
militant·e·s dAttac. Une conclusion cousue de fil
blanc.
Selon un proverbe chinois, quand le sage montre la lune, lidiot
regarde le doigt. Cest un peu le sentiment quon peut
avoir à la lecture du communiqué de presse
annonçant lordonnance de non-lieu. Lenquête
du juge dinstruction a soigneusement évité la
lune, entendez par là tous les éléments à
charge contre Nestlé et Securitas. Renonçant à une
enquête approfondie, par exemple par le biais de perquisitions
dans ces entreprises, le juge dinstruction a donc fini par ne
pas trouver ce quil navait pas cherché.
Les lacunes de lenquête sont tellement
criantes que le conseiller aux Etats vaudois Luc Recordon, membre
dAttac et avocat, a pu juger incompréhensible
labsence dinculpation dans cette affaire, estimant que le
juge dinstruction sétait montré
« peu curieux ». Il suffit en effet de
retourner la situation de départ et dimaginer des
« taupes » dAttac inflitrées
chez Securitas ou Nestlé pour se rendre compte du genre
denquête qui aurait été alors
diligentée !
Deux exemples de myopie judiciaire
Nourrissant de forts soupçons quant à la présence
dune troisième « taupe » dans
les rangs dAttac, les plaignant·e·s en font part
à lautorité pénale. Bingo : cette
nouvelle espionne est alors démasquée et il
apparaît quelle a continué à envoyer des
rapports bien après 2005. Securitas a pourtant toujours
affirmé avoir cessé ses activités à cette
date-là. Petit problème : comment croire encore
les autres affirmations de Securitas ? Celles sur le fait
davoir fourni toutes les informations en sa possession, par
exemple ? « Elémentaire, mon cher
Watson ! » aurait dit Sherlock ; « bon
sang, mais cest bien sûr ! » aurait
ajouté le commissaire Bourel. Jacques Antenen nen a, en
revanche, tiré aucune conclusion.
Autre exemple : le dossier contient des
retranscriptions de propos tenus par certains intervenants dans des
réunions publiques ou privées. Ces retranscriptions sont
très précises et respectent les formulations du langage
oral, indiquant sans aucun doute lutilisation de moyens
techniques denregistrement durant linfiltration. Or, si
cette dernière nest pas punissable en tant que telle, le
recueil de données privées par des moyens techniques
lest en revanche. Pas question cependant pour le magistrat
instructeur de vérifier cette solide hypothèse.
Ce qui est bon pour Nestlé et Securitas est bon pour le canton ?
Revenons à notre sage qui montre la lune. Pourquoi donc Jacques
Antenen, qui ne passe pas vraiment pour un idiot dans son milieu, se
force-t-il donc ainsi à ne voir que le doigt ? Plusieurs
hypothèses sont envisageables, sans sexclure
mutuellement. La première prend en compte son souci de
poursuivre une belle carrière, son poste de juge
dinstruction cantonal disparaissant en 2011, date
dentrée en vigueur du nouveau Code suisse de
procédure pénale. Or, il fait partie des candidats
favoris de Jacqueline de Quattro au poste de commandant de la police
cantonale, en remplacement dEric Lehmann, viré pour cause
de guerre des chefs (avec 600 000 francs
dindemnités tout de même). Mais ce soutien de la
cheffe du Département de la sécurité et de
lenvironnement, avant même louverture du
délai légal, a fait tache. Une situation qui
nincite certes pas à mener des enquêtes trop
frondeuses à légard de si respectables
institutions comme Nestlé et Securitas
Autre hypothèse : en conduisant une
instruction ouvertement lacunaire, le juge dinstruction
provoquerait le recours des plaignants. Il refilerait ainsi la patate
chaude plus loin, cest-à-dire au Tribunal
daccusation. Le temps que laffaire trouve sa conclusion,
son avenir se déroulera ailleurs.
Quoi quil en soit des projets de Jacques
Antenen, les plaignant·e·s ont décidé de
faire recours au Tribunal daccusation contre une ordonnance de
non-lieu qui a toutes les apparences dun vrai déni de
justice. Nestlé et Securitas ne se sont pas encore
débarrassés de leur caillou dans la chaussure.