Secret bancaire : les gnomes de Zurich à la manœuvre
Secret bancaire : les gnomes de Zurich à la manuvre
Dans les contes des frères Grimm, le gnome est un vieil homme
ridé, vivant dans un souterrain où il garde un
trésor. Cest en pensant à cette image que le
dirigeant britannique de lopposition travailliste Harold Wilson
avait traité les banquiers suisses de « gnomes of
Zürich » lorsquil les avait accusés, en
1956, de contribuer à la dévaluation de la livre par
leurs spéculations. Depuis, lexpression a fait
florès.
Qui dit souterrain dit obscurité,
opacité. Et ce ne sont pas les dernières
révélations de lAssociation suisse des banquiers
qui démentiront cette connotation. Après avoir
éclairé le souterrain, ouvert leurs coffres et refait
leurs comptes, les gnomes de Zurich et de Genève
saperçoivent que la fortune de la clientèle
étrangère privée
« offshore », échappant
potentiellement au fisc du pays dorigine, serait non pas de
1000 milliards, mais quasiment du double (1850 à 2150
milliards, on admirera la précision). Mille milliards
était jusqualors le montant figurant officiellement dans
les statistiques de la Banque Nationale suisse (BNS). De deux choses
lune : soit il sagit dun coup de pouce
à Hans-Rudolf Merz pour défendre une amnistie fiscale
lors de la réunion du G 20 et les chiffres sont volontairement
gonflés, soit les données fournies par les banques
à la BNS sont du pipeau et cela présage mal de
lavenir des 60 milliards avancés à lUBS.
Dans les deux cas, toute confiance dans les institutions bancaires
paraît fort mal placée.
Dautres interprétations que celle des
frères Grimm font du gnome un nain, laid, difforme, malicieux et
méchant. De la malice, les banquiers helvétiques en ont
à revendre. La facilité déconcertante avec
laquelle ils ont réussi à vendre au monde entier leurs
concessions comme un abandon du secret bancaire en est la preuve. Car
avant de parler de pas historique, de mort du secret bancaire et
dentonner le de profundis, il convient dêtre
prudent : tant que les conditions concrètes qui
ressortiront des discussions avec le G 20 ne sont pas connues,
lampleur des concessions effectives est difficile à
évaluer. Pour linstant, comme le rappelle le banquier
privé Grégoire Bordier, associé de Bordier &
Cie et président du Groupement des banquiers privés
genevois : « nous avons sauvé
lessentiel » (Le Temps, 14 mars 2009).
Lobjectif des concessions, en revanche, est
clair : il sagit de gagner du temps,
déviter de figurer sur la liste noire des Etats
« fiscalement voyous » et
déchapper à la contrainte de
léchange automatique dinformations. Pour le reste,
le Conseil fédéral « habille ses concessions
dautres conditions. Le Département des finances insiste
sur le respect des droits de procédure, sur le fait quil
doit sagir dune assistance limitée au cas par cas,
quelle doit être limitée aux impôts tombant
sous le coup de la convention, respecter le principe de
subsidiarité et les dispositions destinées à
éliminer les traitements discriminatoires. Le Conseil
fédéral mettra encore tout en uvre pour que la
coopération transfrontalière en matière fiscale
« emprunte exclusivement des canaux définis par
voie conventionnelle », précision explicite
à lendroit des Américains, qui ont justement
violé les procédures » (Le Temps).
Tout cela, comme la renégociation
denviron septante accords bilatéraux concernant la double
imposition, prendra au moins deux ou trois ans. Le temps de mettre en
place dautres solutions permettant aux plus riches de se
soustraire à leur propre fisc. La voie du développement
du « trust » structure juridique
complexe dorigine anglo-saxonne, à mi-chemin de la
fondation et de la fiducie semble représenter la
solution la plus souvent évoquée. La lutte contre le
secret bancaire, quelle que soit sa forme juridique, nest donc
de loin pas terminée. Cela dautant plus que le secret
bancaire continue dexister dans son entièreté pour
les capitaux dorigine suisse ! Ce qui représente
tout de même environ 1300 milliards de francs selon les
dernières estimations de lASB, entre 1500 et
2000 selon celles de lhistorien Sébastien Guex.
Sur cette somme, combien de milliards fraudés à
limpôt ?
Lexigence démocratique radicale de la
transparence des dépôts bancaires vis-à-vis du fisc
reste donc dactualité. Elle existait dailleurs au
pays des armaillis, dans la loi fiscale fribourgeoise, qui, au
début du siècle passé, demandait quà
la fin de chaque année, les banques transmettent à
lautorité fiscale la liste nominative de leurs
déposants et les montants de leurs comptes. Cela sans
quil soit porté atteinte à leur sphère
privée, puisque ces informations transmises à
lautorité fiscale étaient couvertes par le secret
de fonction et nétaient évidemment pas rendues
publiques.
La levée du secret bancaire fut une
revendication traditionnelle du Parti socialiste suisse (PSS). Elle ne
lest plus. Le programme du parti parle de refonte, donc de
maintien; son président Christian Levrat sagite beaucoup
pour décrire comment mieux gérer ce secret; pendant ce
temps, la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey
le défend sans compter. Cette main tendue à un des
secteurs néolibéraux les plus agressifs, qui a
déjà commencé à licencier à qui
mieux mieux et qui continuera à la faire, est proprement
indécente. Et stupide. Lorsque Pierre Mirabaud, président
de lAssociation suisse des banquiers parle à la
télé de la politique du Conseil fédéral en
matière de secret bancaire, il parle de « la
politique que nous avons définie ». Jamais le PSS
ne sera invité à la définir. Juste à la
servir. Dans lintérêt des licencieurs et des
fraudeurs.