Rassembler la gauche anticapitaliste ?

Rassembler la gauche anticapitaliste ?



Un « Appel pour une vraie
force politique alternative de gauche en Suisse » a
été lancé récemment par Jean-Marie Meilland
et Olivier Cottagnoud de la Gauche valaisanne alternative, par Florian
Keller de la liste Alternative de Schaffhouse ainsi que par trois
responsables du POP vaudois, Josef Zisyadis, Julien Sansonnens et
Jean-Baptiste Blanc.

Cet Appel a pour objectif de créer ensemble une « nouvelle
force politique alternative de gauche, écosocialiste, qui manque
tant en Suisse ». Le mouvement solidaritéS,
présent dans les cantons de Genève, Vaud et
Neuchâtel ainsi qu’à Bâle, entend apporter sa
contribution, sans sectarisme, à toute démarche de
renforcement d’une gauche anticapitaliste au niveau national.
Nous sommes dès lors interpellés par cet appel.

Définir un chemin

Quel programme, quelles alliances, quels principes de
fonctionnement ? Des questions capitales posées dans le
cadre de toute tentative de regroupement des forces contestant
radicalement le désordre capitaliste, des questions que
l’on ne saurait éluder, faute de quoi un tel regroupement
est voué à l’échec, à
n’être qu’un feu de paille, ou alors à se
réduire à une pure opération électorale.
Les réponses ne sont certes pas simples! Et un accord
préalable ne constitue évidemment pas, pour
solidaritéS, une condition pour engager la discussion. Mais
l’élaboration de réponses communes est
décisive pour faire un pas en avant vers la constitution
d’un nouveau parti anticapitaliste en Suisse. Dans ce sens, il
est nécessaire d’élaborer un programme, une
démarche d’alliances, des principes démocratiques
de fonctionnement collectif qui doivent contraster, point par point,
avec ce qu’est aujourd’hui la gauche de gouvernement,
socialiste ou verte. Une gauche anticapitaliste, qui veut s’unir,
s’adresse à toutes celles et à tous ceux qui
souhaitent une alternative à gauche, en rupture avec toutes les
politiques menées au gouvernement, sur le plan
fédéral, dans les cantons et les communes, par la droite
comme par la gauche social-libérale, pour leur dire que nous
sommes prêts à nous unir dès maintenant pour
développer des luttes et des mobilisations, mais aussi pour
bâtir une nouvelle force politique large et pluraliste,
résolument anticapitaliste et démocratique. C’est
ce que solidaritéS a adopté comme perspective lors de son
congrès des 14 et 15 mars 09 pour la construction d’un
mouvement anticapitaliste, féministe et écologiste.

Quelles alliances, quels principes de fonctionnement, quel programme?

Pour solidaritéS, toute démarche d’alliance doit en
effet être fondée sur une indépendance rigoureuse
envers la social-démocratie et les Verts. Dans
l’état actuel des rapports de forces, tout accord
gouvernemental ou parlementaire de cogestion dans les exécutifs
avec le PS et les Verts revient à être l’otage
consentant de leur politique, à leur servir de caution, ce qui
entraîne des conséquences désastreuses pour tout
projet anticapitaliste.

    Construire une force politique commune implique une
démocratie militante, qui passe par l’adoption d’un
fonctionnement démocratique nécessaire pour agir
ensemble, qui évite avec soin toute attitude élitiste et
garantit la totale liberté de discussion, de formation de
courants, afin de clarifier les questions laissées en suspens et
de tirer les leçons de l’expérience commune.

    Une telle force doit se doter d’un programme
intransigeant contre les réformes libérales, pour une
Europe sociale, féministe et démocratique, contre les
guerres impérialistes, pour une politique plaçant
l’égalité entre femmes et hommes au cœur de
ses préoccupations, pour une écologie sociale remettant
en cause le sacro-saint pouvoir de la propriété
privée, pour une démocratie participative effective aux
antipodes des systèmes de représentation et de
délégation, pour une reconstruction de l’espace
public par une politique d’appropriation sociale qui fasse
prévaloir le service public, les biens communs de
l’humanité, les solidarités, sur la privatisation
du monde, le calcul égoïste et la concurrence de tous
contre tous.

Des « idiots utiles » ?

Dans un article publié fin février 09 par Gauchebdo,
Julien Sansonnens, un des initiateurs de l’Appel, posait la
question de savoir si, en France, le Nouveau Parti Anticapitaliste
(NPA) d’Olivier Besancenot ne faisait pas office
d’« idiot utile de la contre-révolution
sarkozienne » ? Parlant de l’écho
médiatique, Sansonnens mettait José Bové et
Besancenot dans le même sac : « La situation de
Besancenot n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle
d’un José Bové, largement construit par les
médias, avant que ceux-ci ne le lâchent ». Et
de conclure, à propos de l’avenir du NPA, par la
question : « Continuer à surfer sur toutes
les tensions, ou prendre les responsabilités qu’une
accession au pouvoir impliquerait ? »
L’intransigeance du NPA serait une machine à faire perdre
la gauche, elle interdirait indéfiniment son retour au pouvoir.
Ce discours est celui des dirigeants socialistes français qui
distillent leur prétendue analyse selon laquelle Olivier
Besancenot jouerait à gauche le rôle de division
qu’a joué Le Pen à droite. Le mouvement
anticapitaliste, féministe et écologiste pour le
socialisme du 21e siècle, que solidaritéS entend
contribuer à construire, n’a pas pour objectif de
« prendre les responsabilités du
pouvoir » en participant à la gestion de cet Etat.
C’est en effet un Etat bourgeois, auquel collaborent
allègrement le PS et les Verts, dont la politique vise à
améliorer et renforcer les conditions de domination d’une
bourgeoisie en pleine offensive de démantèlement des
régulations imposées par les rapports de force sociaux
des décennies d’après-guerre… Le bilan de la
politique de die Linke, qui gère avec le PS
l’exécutif de Berlin, est illustratif de cette
impasse ! Non, nous nous battons pour un socialisme
autogestionnaire, une véritable démocratie participative,
un socialisme par en bas. C’est une question de fond, surtout
après le contre-modèle désastreux de l’URSS
stalinienne qui s’est caractérisé notamment par une
dictature féroce, une répression monstrueuse et de
nouveaux privilèges.

Une radicalité nécessaire !

Pour reconstruire un projet anticapitaliste et féministe
à gauche, il faut parfois savoir reculer pour mieux sauter,
faire un pas en arrière pour en faire deux en avant dans la
reconquête d’un rapport de force social favorable aux
salarié·e·s. Certes, l’affirmation de
l’indépendance envers les politiques libérales et
les partis tels que le parti socialiste et les Verts peut faire perdre
à la « gauche », dans un premier
temps, des positions dans des exécutifs. Mais les
préserver au prix des pires compromissions, c’est à
coup sûr – toute l’histoire des 30 dernières
années le montre – semer la confusion, brouiller les lignes de
front, préparer d’amères désillusions, et
aller vers le pire au nom de ce prétendu réalisme
qu’est la politique du moindre mal. C’est, surtout,
sous-estimer l’ambition et la volonté politiques
qu’exigent les catastrophes sociales et écologiques
annoncées.

Jean-Michel Dolivo