« Manipub » sexuelle sur tous les écrans

« Manipub » sexuelle sur tous les écrans

L’image est au cœur de nos
rêves et des projets que nous visualisons. Elle a
été un vecteur de messages spirituels
(pétroglyphes ou peintures religieuses) et un éveilleur
des consciences (guerre du Vietnam), alors que les publicitaires
s’en servent pour endormir notre réflexion par une
esthétique agréable, qui titille nos
insécurités et nos fantasmes.

Ainsi peut se mettre en place un déclic achat. Même si
nous n’achetons pas, nous connaissons les marques, et notre
définition du beau et du désirable est fortement
influencée par tant de créatures éternellement
jeunes et immaculées.

Adam et Eve des médias

Etre un « vrai homme » ou « une
femme féminine », c’est quoi au juste
d’après vous et d’après les
médias ? Au 18e siècle, la classe sociale prime
sur le genre. Dans les peintures, hommes et femmes ont un fond de teint
blanc, perruques et dentelles. On se tient droit, les lèvres
sont fines, la main gracieuse. Que nous raconte la réclame
ci-dessus ?

  • L’homme au centre (un Mister suisse), le regard
    défiant, mince et musclé, sans poils, avec un large
    sous-vêtement noir, se tient droit et se fait déshabiller.
  • Trois femmes (inconnues), bouche entrouverte ou charnue,
    très minces (voir les hauts de bras), cambrée (à
    gauche), mi-offerte, mi-cachée (à droite) semblent moins
    assurées que l’objet de leur désir (par leurs
    expressions et postures).
  • Côté « sexy », quel est le
    message ? L’homme (avec le bon sous-vêtement et
    déodorant ?) les tombe toutes. Un fantasme
    récurrent. Au Moyen-Age circulaient des historiettes sur le
    mâle super-membré qui pouvait en satisfaire plusieurs sans
    faiblir. Le rapport Hite sur la sexualité ou le viagra nous
    parlent d’une autre réalité.

Trop de stéréotypes ?

Pour communiquer rapidement, c’est la solution habituelle. Avant
de blâmer publicitaires et cinéastes, rappelons-nous que
nous recourons quotidiennement aux étiquettes simplistes pour
évacuer nos frustrations: femme au volant, excité du
sud…

    L’homme aux lèvres charnues est
l’exception qui confirme la règle. Parmi nos images
« hommes » : un seul homme
couché avec la tête coupée, alors que c’est
un traitement courant pour sexualiser la femme. Les calendriers des
rugbymen montrent quelques hommes à genoux, mais les
« dieux du stade » gardent le regard
assuré. Plus fondamental pour qui interroge notre
société à travers ses images : la mode
présente la version chic du traitement choc imposé
à nombre de femmes dans quantité de films porno
accessibles aux plus jeunes par internet. En effet, les bouteilles et
poings enfoncés dans tous les orifices sont les
ingrédients courants des supplices imposés aux
« sorcières sexuelles », même si
elles risquent ensuite de ne pouvoir retenir ni urine, ni selles.

Quel est l’effet de cet érotic et toc sur nous ?

Un constat : les enfants regardent quotidiennement internet, la
TV et des clips musicaux. Les rythmes imprègnent leur corps, en
même temps que des scénarios de maisons closes et
« partouzes » infiltrent leur esprit. Le
regard des chanteuses peut être tigresque, la séduction
arrogante et le spectacle s’intituler « Doll
Domination », tandis qu’un des clips du groupe
présente en fait un viol. Alors dans nos médias, quelle
sexualité est exhibée ? Des
« jeux » de pouvoir où, au final, la
femme est si peu sûre d’elle que l’homme tient les
ficelles par son regard qui jauge. Quelle place pour un érotisme
version « Tao de l’amour » ou
« Kama Sutra », qui recommande que le pic de
jade ne pénètre pas, mais laisse l’écrin
(vulvaire) l’aspirer et le masser par contraction ? Car
ainsi, l’échange sensuel intensifie le dialogue entre
masculin et féminin.

    Suffit-il de fermer les yeux face à la
déferlante des images ? Dans les pays occidentaux, les
enfants passent déjà plus de temps devant un écran
qu’à l’école. Que font les adultes ?
Interroger les stéréotypes identitaires et relationnels
peut nous déranger. Mais pour cheminer vers le mieux-être,
ne convient-il pas d’être critique avec les images comme
nous sommes sélectifs avec notre nourriture quand nous voulons
rester en forme ?

Mieux voir pour moins se faire avoir

Pour être moins
« manipubé·e », le savoir voir
est aussi vital que le savoir lire, et ce à tous les âges.
C’est pourquoi la Fondation images et société
propose des outils pratiques pour décoder les images dans une
perspective socio-historique et favoriser le questionnement de la
photographie, son degré de vérité, le rôle
des modèles et la fonction des stéréotypes, entre
autres, de genre. Fort·e·s de propositions et
d’expertise de terrain, nous souhaitons que les systèmes
politiques et éducatifs assument les obligations qui leur
reviennent pour promouvoir une meilleure compréhension des
phénomènes de communication, prémisse d’une
société de citoyen·ne·s critiques.

Eva Saro et Martine Sumi