Femmes et travailleuses, un double défi!

Femmes et travailleuses, un double défi!

Entretien avec Jocelyne Haller,
travailleuse sociale, présidente de la Commission du personnel
de l’Hospice général à Genève et
candidate de solidaritéS au parlement genevois sur la Liste
Nº 4 « solidaritéS – Parti du
Travail».

De plus en plus de femmes ont un emploi et pourtant, la
précarité augmente plus vite chez elles que du
côté des hommes. Comment expliquer ce
phénomène?

Les femmes travaillent en effet de plus en plus. Elles font partie de
la catégorie des travailleurs·euses les plus fragiles et
les plus facilement «jetables». On tend encore à
considérer que leur salaire est un salaire d’appoint,
alors qu’un seul salaire ne suffit en général pas
aux besoins d’une famille. Elles sont le plus souvent
reléguées dans les emplois à faible qualification
ou précaires. Dans le monde du travail, on prend et on
«jette» les femmes selon les besoins de
l’économie. La différence de salaire entre hommes
et femmes sévit encore sévèrement. Elle se monte
à 24% selon les chiffres de 2006 et contribue largement à
l’appauvrissement des travailleuses.

En tant que travailleuse sociale à Genève, le constates-tu au quotidien?

Oui, dans le contexte actuel du marché de l’emploi Il
reste difficile pour divers motifs pour une femme de trouver un emploi.
Professionnellement, j’ai l’occasion de rencontrer de
nombreuses personnes en difficultés, notamment beaucoup de
familles monoparentales, avec le plus souvent des femmes comme cheffe
de famille. Cela montre que la séparation des couples est bel et
bien dans la plupart des situations un facteur d’appauvrissement.
Les dispositifs de correction de ce phénomène de
société n’existent pas. Il n’y a pas
d’assurance-divorce ou fin de couple. La protection partielle
assurée par la Loi genevoise sur les avances et recouvrement des
pensions alimentaires (SCARPA), a été revue et
diminuée dans sa durée lors de cette législature,
réduisant les ressources de ces familles et contraignant les
plus fragiles d’entre elles à se tourner vers l’Aide
sociale. Aujourd’hui, un nouveau projet de loi est en
consultation, à l’intersection de la lutte contre le
phénomène des working poor et de l’aide aux
familles, mais cette disposition qui devrait être un
élément de politique familiale est inspirée par
une logique de l’Aide sociale, dans laquelle on essaye de
pénaliser – pour soi-disant stimuler – les personnes en
situation précaire, comme si leur situation difficile
n’était pas assez motivante pour vouloir en changer.

Quelle solution globale pourrait endiguer ce problème?

Il n’y a pas une seule solution globale, mais une approche
globale. Il faut développer tout un dispositif de mesures pour
lutter efficacement contre la pauvreté. La première
serait une vraie application de la loi fédérale sur
l’égalité afin de supprimer les disparités
salariales. Ensuite, il faudrait favoriser la qualification
professionnelle des femmes, engager des mesures de développement
d’emploi et de structures d’accueil pour leurs enfants, qui
permettraient aux femmes qui le souhaitent ou le doivent de
s’insérer professionnellement. Cela suppose d’une
part que l’Etat donne l’exemple, en rétablissant le
statut de réels postes de travail qu’il a
déguisés en places de stages, en contre-prestations, etc.
D’autre part, qu’il incite les entreprises à
développer des emplois et s’engage à créer
des postes de travail d’utilité publique. Les besoins
existent, les moyens aussi, il ne manque qu’une vraie
volonté politique d’aller dans ce sens. Une autre mesure
serait de corriger la loi sur le SCARPA. Lors des débats
parlementaires les femmes ayant recours à ce service ont
été très critiquées alors qu’elles
n’ont souvent pas d’autre choix, mais personne ne
s’est demandé pourquoi ces pensions n’étaient
pas payées, ni quels autres moyens de perception directe de la
pension pourraient être envisagés. Payer une pension est
un facteur d’appauvrissement pour celui qui la verse, mais
c’est malheureusement trop souvent encore un moyen de
régler ses comptes. La justice doit donc se donner les moyens de
faire appliquer les mesures qu’elle décide et ne pas
continuer à laisser les couples avoir de nouveaux motifs de
contentieux après la séparation.

Si tu étais élue au Grand Conseil genevois en octobre, quelles actions concrètes pourrais-tu mener?

Renforcer les allocations familiales parce qu’avoir une famille
et élever un enfant coûte cher. Ce ne sont pas les 200 ou
250 Fr. d’allocations qui contribuent véritablement
à alléger la charge des familles. Revoir la question du
SCARPA sous l’angle évoqué plus haut. Ensuite il
faudrait imaginer d’autres dispositifs, mais un des
problèmes est que les élu-e-s croient connaître les
causes, et donc prétendent détenir les solutions. Or,
Maslow le disait: «Pour celui qui n’a comme seul outil
qu’un marteau, tous les problèmes lui paraissent
être des clous.» Pour éviter cet enfermement, il
faudrait mener une réflexion poussée pour
déterminer les causes de pauvreté et vouloir
réellement agir sur celles-ci. Au parlement, je
m’engagerais, en outre, en faveur de tout projet propre à
défendre les droits fondamentaux de chacun·e·s et
à réduire les inégalités sociales.

Quel est l’état des luttes féministes à Genève aujourd’hui?

Je ne suis pas forcément la mieux placée pour
répondre à cette question, mon engagement en faveur de la
cause des femmes s’est exprimé au travers de vecteurs
comme la lutte contre les inégalités ou la
pauvreté. Je constate qu’au contraire de ce que l’on
a pu penser, les victoires féministes ne sont pas acquises une
fois pour toutes. Elles sont considérées par les
nouvelles générations comme faisant partie du paysage,
alors que nombre d’entre elles sont aujourd’hui en
péril et que les valeurs du patriarcat reviennent en force. Il
est urgent de mettre ce danger en évidence pour remobiliser les
femmes afin de regagner ce terrain, de défendre leurs droits et
en conquérir d’autres.


Jocelyne Haller

(Entretien réalisé par Maxime Clivaz)