NE HAÏSSEZ PAS LES MÉDIAS, SOYEZ LES MÉDIAS !
NE HAÏSSEZ PAS LES MÉDIAS, SOYEZ LES MÉDIAS !
Née il y a deux ans à
Genève, la WebTV «libre et citoyenne»
«lachaine.ch» met en son et en images manifs, actions,
conférences et reportages. Rencontre avec deux
«médiactivistes».
Cest après la publication de son livre de photos
« Droits de Cité »
(préfacé par Jean Ziegler, Lost Artists, 2007) que
lidée de lachaine.ch a germé dans lesprit
de Stéphane Pecorini. « Jétais
déjà actif avec mon site de photos www.ork.ch depuis
1997, mais cest à la sortie de mon livre que jai
réalisé à quel point il est difficile
davoir le droit à la parole dans les médias
dominants. De là est née lidée de faire un
média. »
Le projet de WebTV, qui démarre en 2007 a
pris progressivement de lampleur jusquà compter
aujourdhui 18 participant·e·s dont 3 stagiaires.
Pas de flot dimages en direct sur lachaine.ch, mais un site web
où plus de 60 reportages vidéo ou audio sont
déposés et accessibles librement. Pas de copyright non
plus, les journalistes-citoyens de lachaine.ch sont tous
bénévoles et tout y est publié sous licence
Creative Commons1.
Se réapproprier les médias
Lachaine.ch se veut dès lorigine un vecteur de diffusion
pour toutes les initiatives engagées et alternatives
boudées par la presse traditionnelle. Comment expliquer ce
désintérêt? «Le
problème des grands médias est surtout quils sont
financés par la publicité, ils servent les
intérêts de leurs annonceurs et finissent par
éviter tout discours dissonant, analyse Stéphane».
Florian, membre du collectif, renchérit: «Les
gens doivent se réapproprier les médias, comme à
Oaxaca au Mexique pendant les mouvements sociaux en 2006. Si on laisse
linformation dans les mains des grands groupes privés ou
des gouvernements, il y a un risque de manipulation, car suivant
comment on montre une information, on peut très facilement
induire des comportements sociaux. En loccurrence, le discours
médiatique amplifiant linsécurité
crée un climat social de peur qui génère de
lindividualisme. Et quand les gens sont terrifiés, on
sait bien quil est plus facile de les contrôler. Il y a
une volonté politique là-derrière qui permet
ensuite de faire accepter la répression, la
vidéosurveillance ou les passeports biométriques.» Et Stéphane dajouter: «En
France cétait évident avec lélection
de Sarkozy, on a vu des gens de petits hameaux isolés voter en
fonction des thèmes sécuritaires parce quils
avaient trop regardé TF1. Ce nest pas pour rien si les
pouvoirs veulent toujours mettre la main sur les médias !».
Et le professionnalisme ? Les deux
journalistes citoyens se défendent de faire un journalisme au
rabais : « Nous
ne sommes pas professionnels, cest vrai, on fait parfois des
erreurs, mais les journalistes confirmés manquent quant à
eux trop souvent dintégrité ». Et Florian de témoigner: « Lun
dentre eux avait une fois écrit dans un article des
mensonges sur un lieu alternatif, lorsque je le lui ai fait remarquer,
il ma répondu : mon job nest pas de
vérifier linformation. Là, je me suis dit
quon touchait le fond ».
Les manifs qui arrivent à lheure
Plus pervers encore, lexpérience de Stéphane
à propos dune manif de lUECA (Union des Espaces
Culturels Autogérés), il y a près dun an,
qui sest déroulée sans heurts. « Cétait
une grande parade festive, un vrai bonheur. Il y avait des photographes
dEdipresse, mais il ny a eu aucune casse, donc aucun
grand média nen a parlé, à
lexception dune petite photo dans un journal gratuit qui
montrait un punk faisant un doigt dhonneur. Sil y avait
eu trois voitures renversées, les médias en auraient tous
parlé. » Son camarade analyse la situation ainsi : « Ça
ne rentre pas dans leur ligne éditoriale de montrer que 2000
personnes peuvent descendre dans la rue pacifiquement pour
réclamer des lieux de culture alternative. Si on veut nettoyer
Genève des squats, il faut montrer que ce sont tous des sauvages ».
Et le rapport entre médias et militant-e-s de
se détériorer en conséquence : « En dix ans, jai vu le climat se dégrader, constate Stéphane. Aujourdhui,
avec les appels à la délation de la police suite aux
manifs contre le G8 en 2003, quelque chose a radicalement
changé, et il ny a plus de confiance. En attendant, dans
les manifs, maintenant, on fait surtout de laudio, tout le monde
sait que cest anonyme et ça passe mieux ».
Du pain bio à la Palestine
Reste que les champs dexploration de lachaine.ch sont
très larges et vont de la solidarité
internationale à lécologie: « On
est allé filmer récemment un boulanger bio dans le
Périgord, un type incroyable qui vit son activité comme
un guerrier. Il y a eu aussi récemment les interviews
vidéo dHervé Kempf ou dEric Hazan
(responsable des éditions La Fabrique) ou encore
lenregistrement audio intégral de la conférence
des Israéliens antisionistes à Genève ce
printemps, quaucun autre média na couvert dans son
intégralité. Ce qui est merveilleux, cest aussi
toutes ces rencontres ». Et lavenir de lachaine.ch ? « On
a plein de projets, notamment un nouveau site web avec, en
exclusivité européenne, Sin Piedras, un documentaire
magnifique qui trace un parallèle entre la vie dun enfant
espagnol et dun autre vivant à Gaza. Sinon il y a des
projets de films sur lUECA, sur lislam à
Genève ou encore sur les Kanak ». À suivre, donc, sur www.lachaine.ch !
Entretien réalisé par Thibault Schneeberger.