Nouveau système Swift et nouvel abandon de souveraineté

Nouveau système Swift et nouvel abandon de souveraineté

L’affaire Swift a éclaté lorsque la presse
états-unienne a révélé, en 2006, que cette
société avait, depuis les attentats du 11 septembre 2001,
transmis clandestinement au Département du Trésor des
dizaines de millions de données confidentielles concernant les
opérations de ses client·e·s.

    Swift, société américaine de
droit belge, gère les échanges internationaux de quelques
8000 institutions financières situées dans 208 pays. Elle
assure le transfert de données relatives aux paiements, mais ne
fait pas transiter d’argent. 

    Malgré la violation flagrante des droits,
européen et belge, sur la protection des données
personnelles, ce transfert n’a jamais été remis en
cause. Au contraire, l’UE et les USA ont signé plusieurs
accords destinés à légitimer cette capture.

    Tous ces accords ont été
justifiés par la lutte contre le terrorisme. La saisie par les
autorités US était rendue possible par la
particularité du système Swift. En effet, toutes les
données contenues par le serveur européen étaient
également placées sur un second serveur aux Etats-Unis,
ce qui a permis aux douanes états-uniennes d’en prendre
possession avec l’accord du droit américain.

Une rationalisation du système Swift

Depuis juin 2007, il a été prévu que les
données Swift inter-européennes ne seraient plus
transférées aux USA, mais sur un second serveur
européen, situé à Zurich, et opérationnel
depuis ce mois. Cette nouvelle procédure est formellement plus
conforme au droit européen et devrait empêcher les
autorités états-uniennes de se saisir de ces
informations.
    Suite à cette réorganisation du
système Swift, contrairement à ce qui était
affirmé lors des précédents accords, le
Commissaire européen à la Justice, Jacques Barrot, a
expliqué que les Vingt-Sept souhaitent donner accès aux
enquêteurs·trices du Trésor américain aux
centres d’opérations européens gérés
par Swift. Selon lui, « ce serait extrêmement
dangereux à ce stade de cesser la surveillance et le
contrôle de ces flux d’informations », puisque
les opérations américaines sur le serveur
américain de Swift se sont révélées
« un outil important et efficace ». Le juge
Bruguière, désigné par la Commission pour
« contrôler » l’utilisation
américaine des dizaines de millions de données
transférées chaque année, avait prétendu
que cette saisie avait « permis d’éviter un
certain nombre d’attentats ». Aucun exemple
n’a été avancé permettant de vérifier
ces allégations.

Une saisie des données comme fin en soi

L’énonciation de la lutte contre le terrorisme suffit
à justifier la capture des données financières.
Cependant, la réalité nous montre que les attentats sont
généralement peu coûteux et ne nécessitent
aucun déplacement important d’argent.

    La raison invoquée prend un caractère
surréaliste quand on sait que la commission officielle
d’enquête sur les attentats du 11 septembre 2001 n’a
pas voulu enquêter sur les mouvements de capitaux suspects
enregistrés les jours précédents les attentats.
Pourtant, les 6, 7 et 8 septembre, il y avait eu des options de vente
exceptionnelles sur les actions des 2 compagnies aériennes
[Americain et United Airlines] qui ont été
détournées par les pirates, ainsi que sur Merrill Lynch,
l’un des plus grands locataires du World Trade Center. Ces
informations ont été révélées
notamment par Ernst Welteke, président de la Deutsche Bank
à l’époque, qui a aussi déclaré que
de nombreux faits prouvent que les personnes impliquées dans les
attaques ont profité d’informations confidentielles afin
de réaliser des opérations suspectes. Tous ces
éléments, le fait qu’un attentat terroriste ne
nécessite pas d’importants transferts de fonds et la
volonté politique de ne pas enquêter sur les transferts
financiers suspects, nous indiquent que la capture des données
financières des ci­toyen·ne·s est bien un
objectif en soi.

Un abandon de souveraineté

La Commission veut d’abord signer un accord transitoire, qui
prendrait effet dès la mise en route du serveur de Zurich. Cette
tâche a été confiée à la
présidence suédoise, rejetant ainsi toute 
possibilité de décision partagée avec le
Parlement. Cela a toute son importance, car le Conseil suit quasiment
toujours les positions des fonctionnaires permanents et ceux-ci sont le
plus souvent de simples relais des négociateurs
américains. Le commissaire Jacques Barrot affirme
réaliser un accord équilibré, mais il a dû
reconnaître que le texte actuel n’inclut pas
l’accès des autorités européennes aux
transactions bancaires américaines.

    A cet accord transitoire doit succéder un
texte définitif tout aussi unilatéral. Il
s’agirait, après un an, de
« renégocier » ce qui a
été accepté dans l’urgence. Cet accord
devrait être avalisé par le Parlement européen,
quand le Traité de Lisbonne, qui donne à cette
assemblée plus de pouvoirs en matière de police et de
Justice, sera en application. La volonté affichée
d’attendre la ratification du Traité indique qu’il
s’agit de faire reconnaître par le Parlement un droit
permanent des autorités américaines de se saisir, sur le
sol européen, des données personnelles des
citoyen·ne·s de l’Union. Les nouveaux
« pouvoirs » accordés au Parlement
trouvent leur raison d’être dans la légitimation des
transferts de souveraineté de l’UE vers les USA.

Cette position a le mérite d’être transparente, de
présenter le Traité, non pas comme un texte
constitutionnel interne à l’Union, mais comme un acte
d’intégration de l’UE dans une entité
supranationale sous souveraineté états-unienne.


Jean-Claude Paye

Sociologue, auteur de « La fin de l’Etat de droit », Paris, La Dispute.