Un mouvement international contre les effets néfastes du processus de Bologne

Un mouvement international contre les effets néfastes du processus de Bologne

Parti d’Autriche, le mouvement
estudiantin a rapidement essaimé dans plusieurs pays
d’Europe, de l’Allemagne à l’Italie, en
passant par la Hollande, la Pologne et la Belgique. Les
étudiant·e·s suisses ne sont pas en reste et les
grandes universités du pays (Zurich, Bâle, Genève,
Berne, Lausanne) ont rejoint la mobilisation.

Si les applications du processus de Bologne s’effectuent de
manière différenciée suivant les cantons, elles
vont toutes dans le même sens : scolarisation accrue des
cursus (qui se traduit notamment par la multiplication des
contrôles continus, la semestrialisation des cours,
l’introduction de listes de présence); universités
toujours plus difficilement accessibles aux
étudiant·e·s issus des milieux populaires
(à Zurich par exemple, les taxes d’étude viennent
d’être augmentées de 600 à 1200 francs par
semestre); assujettissement toujours plus important de la recherche
publique aux impératifs du marché et mise sous tutelle
des universités par une dépendance accrue des fonds de
recherches privés. Enfin, si les effectifs étudiants en
Suisse ont été multipliés par neuf depuis 1960, le
financement de l’université est loin d’avoir suivi
la même courbe ascendante, ce qui se traduit par une charge de
travail accrue pour les chercheurs et les chercheuses et une
dégradation de l’encadrement des
étudiant·e·s.

La crise économique en toile de fond

La crise économique a sans doute contribué à
mettre le feu aux poudres, dans la mesure où beaucoup
d’étudiant-e-s perdent ou craignent de perdre le petit
boulot qu’ils ont à côté des études
(en Suisse, 71 % des étudiant-e-s travaillent à
côté de leurs études, dont 14 % ne recevant
aucune aide parentale). Quant aux stages non payés et autres
contrats précaires, ils se multiplient. Face à cette
précarisation croissante des étudiant-e-s qui n’ont
pas la chance d’avoir des parents riches, le système de
bourses s’avère très insuffisant : ainsi,
dans le canton de Berne, depuis 1994, les montants totaux des bourses
d’études ont diminué de 25 %, alors que le
nombre d’étudiant-e-s est en constante augmentation.
C’est que celles-ci sont de plus en plus fréquemment
remplacées par des prêts, synonymes de lourd endettement
au sortir des études. On le voit, les vœux émis par
l’association faîtière du patronat en 1990
déjà sont en train de se réaliser :
« Une interprétation erronée de
l’égalité des chances a privé le processus
de sélection de sa nécessaire efficacité. Nous
devons avoir le courage de nous opposer à cette évolution
et de favoriser par tous les moyens la formation d’une
élite, même si cela peut paraître non
démocratique ». Le 23 novembre dernier, la
même association, qui a mis la formation au cœur de ses
priorités pour 2010, peut dès lors appeler à
« tenir compte de l’existence d’un
supermarché mondial des meilleurs
étudiants ». La réforme de Bologne
n’est qu’un des avatars d’une logique de fond et de
long terme par laquelle les principes du marché, de la
rentabilité et de la concurrence s’imposent dans le champ
académique. Un seul exemple : dans les rapports de
l’Administration fédérale, le couple
démocratie-marché apparaît de façon
systématique depuis les années 2000, comme substitut
à un idéal qui paraît bien éculé,
celui de la démocratie et des humanités.

Financement privé à tout crin

Qui paie, commande : ce vieux dicton est particulièrement
valable à l’heure où les partenariats
public-privé sont en pleine expansion. Chaque multinationale
semble désirer sa part de cerveau formé par
l’université publique et la mettre au service de ses
intérêts de boutique. Ainsi, UBS et Credit Suisse
financent des chaires d’économie dans les facultés
de HEC, au moment où une grave crise économique et
écologique rend plus nécessaire que jamais une recherche
dans ces domaines qui ne soit pas assujettie aux besoins à
courte vue de la spéculation financière. De même,
Nestlé finance des études dans les hôpitaux
universitaires cantonaux, en neuropsychologie notamment, visant
à développer des processus de marketing fondés sur
le conditionnement alimentaire des clients. Quant aux géants
pharmaceutiques helvétiques, ils n’ont guère de
souci à se faire : la recherche clinique publique
censée évaluer les médicaments produits –
notamment au regard des dangers provoqués par les effets
secondaires – est elle-même de plus en plus tributaire de
ces mêmes pharmas. Le serpent se mord la queue… Novartis a
ainsi investi, en 2008, 25 millions de francs suisses rien
qu’à l’EPFL, à l’ETH de Zurich et
à l’Université de Bâle. L’interdiction
du financement privé de la recherche n’est pourtant pas
une utopie : le manque à gagner qui serait
entrainé par le nécessaire retrait des fonds
privés devrait être comblé par un financement
public démocratiquement contrôlé et assuré
par une hausse de l’imposition sur les bénéfices
des entreprises.

    Autant de raisons qui confirment la
légitimité de cette mobilisation étudiante
internationale. Même si celle-ci ne semble pas pour le moment
bénéficier du rapport de force nécessaire pour
contraindre les dirigeants à de vrais changements de cap, elle
met en évidence et de manière salutaire les effets
pervers du processus de Bologne, qui, à l’image de
l’ensemble de la construction européenne, s’est
effectué largement dans le dos des principaux concernés.


Isabelle Lucas, Hadrien Buclin


Une université sexiste

A mesure qu’on monte dans la hiérarchie, les femmes se
font plus rares dans les universités suisses. Si elles sont
encore 36 % à être assistante ou collaboratrice
scientifique, elles ne sont plus que 11 % à se retrouver
professeure. En revanche, les femmes sont majoritaires dans les emplois
administratifs et techniques (59 %). D’autre part, les
femmes sont surreprésentées dans les filières de
sciences humaines et éducation (67 %), filières
offrant les débouchés les plus précaires et
bénéficiant d’investissements moindres.