Attac-France et le féminisme

Attac-France et le féminisme


Quelle place le féminisme occupe-t-il dans le mouvement alter-mondialiste Attac? Evelyne Rochedereux*, jugeant qu’il était grand temps que cette question soit posée, a mis en marche, avec d’autres militant-e-s d’Attac-France, un processus de réflexion et de mobilisation qui a dérangé certain-e-s, mais qui a néanmoins abouti à la formation d’un groupe thématique «Femmes et mondialisation» qui regroupe aujourd’hui 200 militant-e-s. Pour renouer avec le débat sur le rôle accordé aux femmes et au féminisme au sein des mouvements sociaux en Suisse, nous publions ici un entretien qu’elle nous a accordé.

Quelle a été votre motivation pour créer, en Septembre 2000, à Attac Paris-14, le groupe Femmes et Mondialisation?


A l’origine, nous étions des adhérent-es de base d’Attac gentiment disposé-es à écouter la parole formatrice et même à nous investir dans l’association, comme nous étions invité-es à le faire: Attac, mouvement d’éducation populaire tourné vers l’action. Cependant, chacune, chacun dans son coin, trouvait que certaines choses ne tournaient pas rond. Attac-France baignant dans l’universalisme si cher aux Français et si dommageable aux Françaises, ne considérait la mondialisation que sous son aspect masculin. Aucune mention n’était jamais faite des conséquences spécifiques de l’économie libérale sur les femmes. Nous étions quelques-unes-uns à nous sentir mal à l’aise dans ce discours. D’autre part les postes à responsabilité étaient majoritairement occupés par des hommes, à l’exception de quelques femmes alibi. Quoi… étions-nous bien en l’an 2000? Avions-nous bien entendu parler des droits des femmes? La parité n’était-elle qu’un rêve? Les femmes avaient-elles bien conquis leur statut de citoyennes? Avaient-elles bien investi le monde du travail, en masse et presque à égalité avec les hommes? Quid de nos luttes féministes trentenaires? Attac était-il bien ce mouvement qui affirmait qu’un nouveau monde était possible? «PAS SANS LES FEMMES», allaient répondre les féministes des deux sexes.

Comment ce groupe s’est-il développé depuis lors?


Alors que dans d’autres comités locaux, à Paris et en province, des femmes s’interrogeaient, dans le 14e arrondissement, dont les rues et les logis sont hantés par les mânes de Simone de Beauvoir (cela il faut le savoir), deux femmes se parlèrent, qui parlèrent à deux autres à leur tour, et ainsi de suite. C’était en juin 2000. La première réunion, regroupant une demi-douzaine de personnes eut lieu en septembre, après la première Université d’été d’Attac-France, intitulée «Pour une économie au service de l’Homme»!!!



Le groupe qui commençait à émerger dans le 14e, devant l’absence de mobilisation de la part du National, prit en charge l’organisation de la participation d’Attac-France à la manifestation européenne organisée à Bruxelles dans le cadre de la Marche Mondiale des Femmes, le 15 octobre 2000. Ce fut notre première action visible.



Tandis que chaque nouvelle réunion nous amenait de nouvelles-veaux participant-e-s, dépassant les frontières du 14e, nous étions encore clandestin-e-s au niveau du mouvement Attac. C’est à l’Assemblée Générale d’octobre 2000 qu’eut lieu notre coming out, Assemblée qui aura été aussi l’occasion de tisser des liens avec des féministes d’autres comités locaux et d’initier un réseau qui comptait alors une quarantaine de personnes. Nous sentions le besoin de rassembler, dans un texte structuré, ce que nous avions dit ou écrit de façon éparse au cours des quatre mois qui s’étaient écoulés. Début janvier 2001, la «Plate-forme du groupe Femmes et mondialisation du mouvement Attac» était écrite. Elle comprenait quatre parties:

  • Pour une analyse sexuée des effets de la mondialisation libérale, contre l’occultation des femmes;
  • Pour la reconnaissance de l’exemplarité des luttes de femmes dans le monde;
  • Pour l’instauration d’une démocratie paritaire dans Attac;
  • Pour l’adoption d’un langage non sexiste.


L’université d’été de l’année 2001 a permis de regrouper en réseau, d’environ 200 personnes, le groupe Femmes et mondialisation. La direction d’Attac n’a pu faire autrement que de reconnaître la légitimité de la problématique que nous posions et, depuis le début de l’année 2002, un groupe thématique national «Genre et mondialisation» a été officiellement reconnu.

Quelles raisons ont amenées votre groupe à déposer une motion sur la parité lors de l’assemblée générale en automne 2001?


Comme vous le savez sans doute, la France était l’un des pays européens ayant la plus faible représentation de femmes dans ses instances électives (l’avant-dernier, suivi par la Grèce). Depuis des années, les féministes dénonçaient cet état de fait, ce qui a conduit à l’adoption d’une loi dite «sur la parité», qui invite les instances politiques à «tendre vers la parité» hommes/femmes. Nous avons vu, lors des dernières élections législatives, comment les partis politiques n’ont pas tenu compte de la parité, préférant être pénalisés financièrement, comme le prévoit la loi, plutôt que de faire confiance aux femmes. Mais à Attac-France, nous avions nous aussi fait nos calculs, la représentation des femmes au Bureau national ou au Conseil d’administration s’inscrivait dans la plus pure tradition machiste française, malgré l’esprit novateur dont se gargarisait Attac: Collège des fondateurs, personnes physiques: dix membres dont deux femmes; Conseil d’administration: trente membres dont sept femmes; Bureau: douze membres dont deux femmes.



A l’université d’été d’Attac-France, en août 2000, les femmes étaient quasiment absentes de la tribune (à l’exception de Susan George et de Michèle Dessenne).



Ce sexisme criant nous a amené-e-s à proposer la motion suivante: «Dans un souci de fonctionnement démocratique équitable, ATTAC veillera à la représentation équilibrée entre ses militants et ses militantes aux instances électives de l’association» Cette motion a été votée à une large majorité (82%), sans cependant qu’un débat ne soit engagé…

Quel accueil a-t-il été fait à vos propositions?


Aucun encouragement de la part de la direction, sauf à leur fournir une bibliographie sur le sujet(!), un accueil glacial. La base a été beaucoup moins hostile, des réticences, mais aussi des réactions chaleureuses.



La plate-forme que nous avons rédigée début 2001 a représenté pour nous une sorte d’accomplissement, nous étions très euphoriques après sa rédaction. Elle a été largement diffusée, en particulier dans le mouvement féministe, ce qui a eu pour effet de nous attirer sympathies et intérêt pour notre travail. Nous étions aussi confiantes dans Attac, pensant que ce mouvement était véritablement différent de tout ce que nous avions connu et qu’il suffisait d’y mettre un zeste de pensée féministe pour le rendre presque parfait. C’est ce qui nous a conduit à vouloir rencontrer les membres du bureau national.



Notre déception a été très grande et nous avons mesuré à quel point les hommes qui avaient pris en pleine poire le mouvement des femmes dans les années 70 ne s’en étaient pas encore remis. «Ils» étaient d’accord avec 95% de notre plate-forme, mais passèrent trois quarts d’heure à critiquer les 5% avec lesquels «ils» étaient en désaccord, c’est-à-dire: la parité et l’adoption d’un vocabulaire non sexiste, soit deux des quatre points de notre plate-forme. En particulier, la parité apparaissait, au président d’Attac-France, «impossible à mettre en oeuvre» au sein d’Attac, compte tenu de statuts trop rigides… Quant à l’adoption d’un vocabulaire et d’une grammaire non sexiste, cela relevait de la science-fiction…



Nous avons ensuite demandé à participer aux travaux du conseil scientifique (CS) d’Attac-France, sur la suggestion d’un membre du groupe qui en fait partie. Nous y avons été fort bien accueilli-e-s, malgré l’étonnement qu’ont suscité au premier abord nos propositions (il faut dire que le rapport femmes/hommes aux réunions du conseil scientifique était paraît-il de un sur dix avant notre arrivée). Nous avons donc commencé, à quelques un-es, à participer aux ces réunions avec grand bonheur, il faut le dire, ouvrant nos yeux et nos oreilles autant que faire se peut. Nous souhaitions apporter à cette docte assemblée, nos expériences communes et nos convictions féministes. Le conseil scientifique a pris acte de notre problématique et, depuis, nous sommes associées à ses travaux et nous y avons fait entrer des féministes de renom du monde universitaire et de la recherche. L’accueil de nos idées, c’est aussi que ces dirigeants se rendent bien compte que notre approche féministe est incontournable. Donc, au total, une base qui nous est favorable, mais qu’il faut bouger. Une direction qui, quelque part s’est sentie remise en cause dans son fonctionnement.

Comment fonctionne la démocratie paritaire?


Des élections auront lieu en novembre et nous pourrons juger de l’effort réalisé en direction de la démocratie paritaire. D’ores et déjà nous savons qu’une femme est proposée pour être la numéro deux d’Attac-France, c’est-à-dire pour occuper le poste de secrétaire générale.

Quels sont les futurs projets du groupe?


Le groupe Femmes et mondialisation a été reconnu comme groupe national sous la dénomination «Genre et mondialisation». Il a un secrétariat et se réunit mensuellement. Un «quatre pages» sur le thème a été rédigé par le groupe et diffusé à tous les membres du mouvement. Actuellement, le projet du groupe est de faire adopter par Attac une position abolitionniste au sujet de la prostitution. Beaucoup de nos réunions tournent autour de ce thème en collaboration avec les autres groupes féministes. Un autre projet est issu du conseil scientifique et se concentre sur la rédaction d’un livre faisant le point sur les conséquences de la mondialisation sur les femmes. Enfin nous serons présentes au Forum Social à Florence en novembre, où est prévue une réunion des femmes des différents Attac d’Europe afin de créer un réseau. Par ailleurs nous allons organiser avec les femmes d’Attac-Autriche, un colloque sur genre et mondialisation, à l’automne 2003, en Autriche. Et, bien sûr, nous souhaitons plus que tout créer un réseau européen et mondial des femmes d’Attac.



Propos recueillis par Janick Schaufelbuehl



Nous avons sollicité cet entretien après avoir lu l’article d’Evelyne Rochedereux, “Les femmes passent à l’Attac”, dans Nouvelles Questions féministes, Revue internationale francophone, vol.21, n°1, de juin 2002. Disponible sur le site www.unil.ch/liege/nqf


Pour compléter votre information vous pouvez vous rendre sur le site de Femmes & mondialisation http://www.local.attac.org/paris14/FM/index.html