Gays et lesbiennes US: quelle identité politique?

Gays et lesbiennes US: quelle identité politique?


Dans les Etats-Unis de Georges W. Bush, la droite conservatrice démantèle les droits accordés aux femmes, aux minorités ethniques ainsi qu’aux gays et lesbiennes. The Attack Queers* de Richard Goldstein, journaliste depuis plus de trente ans au Village Voice de New York, est un pamphlet à la fois lucide et polémique contre la montée des conservatismes de tous bords. Avec un quart des gays et lesbiennes ayant voté Bush lors des dernières présidentielles, le livre de Goldstein vise également les partisans de l’assimilation au sein de la communauté et certaines de leurs icônes médiatiques.


Queer, dans son acception la plus large, est employé par Goldstein pour désigner toutes les orientations sexuelles – bi, trans, homo – et alternatives politiques progressistes face à la réalité de la répression aux USA. En effet, les droits des gays et lesbiennes demeurent précaires aux USA, où la moitié des Etats conservent des lois anti-homosexuelle et/ou anti-sodomie1. Dans ce contexte, les grandes villes offrent des enclaves de liberté qui peuvent faire croire aux gays et lesbiennes à leur intégration dans la société américaine. Cependant, l’obtention de droits ne signifie pas pour autant l’assimilation de tous les membres, car les réalités sont plurielles, se faisant et se défaisant à l’intérieur même de la communauté.



Ainsi, depuis les migrations des années 70 dans les grandes villes, les minorités se sont regroupées dans des ghettos plus au moins homogènes, fabriquant des ressemblances. La virilisation des gays a supplanté les travestis de Stonewall et a fait apparaître la figure du «gentleman homosexuel», hyper-viril, fier d’être gay, et de préférence blanc. Les ghettos créent donc une sécurité, mais en rejetant le différent, le Noir, le Latino et l’efféminé. Le livre critique ce modèle, le trouvant trop homogène pour réellement traduire la palette des attitudes possibles symbolisées par le drapeau arc-en-ciel.

Queer et gauche progressiste

L’auteur montre l’émergence plus contemporaine du «post-gay», soit l’homme ou la femme se comprenant d’abord comme un individu et ensuite comme un/une (homo)sexuel(le). Revendiquant l’indifférence et le droit au mariage, pour Goldstein, ce post-gay est un danger pour l’affirmation des droits des gays et lesbiennes par sa volonté conformiste. Depuis la fondation du premier mouvement homophile, au cours des années 50, The Mattachine Society, par Harry Hay, un membre de l’éphémère Parti communiste américain en 1948, le mouvement gay et lesbien a toujours connu une opposition entre tendances progressistes et conservatrices. Cependant, le vote gay et lesbien a toujours été majoritairement démocrate.



Relevant l’absence d’une réelle opposition gauchedroite sur le modèle européen entre les partis Démocrate et Républicain, Goldstein s’affirme à la gauche du parti Démocrate et concentre son attaque contre les «homocons», des icônes homosexuelles conservatrices de la presse. Andrew Sullivan, chroniqueur au New York Times, qui annonce la fin des mouvements gay et lesbien en cas d’obtention du droit au mariage, et Camilla Piglia, égérie féministe dans le San Francisco Chronicle, qui se défend d’être lesbienne, sont ses cibles principales. Ces deux figures médiatiques conservatrices, quoique démocrates, prônent l’intégration en s’alliant avec les fractions libérales des Républicains. En comparaison, les «macho» et «butch» des années 70 et 80 avaient le mérite d’affirmer une différence dans leurs combats pour l’obtention de droits ou contre le sida, mais les «homocons» actuels ne trouvent aucune grâce aux yeux de Goldstein, tant ils se leurrent, et leurrent leurs lecteurs/trices, sur le libéralisme de la droite américaine. Intégrés au consensus, ils sont pour l’auteur les auxiliaires gays du retournement de la majorité actuelle au Congrès, contre les politiques féministes et des minorités.

To be or not to be Queer?


Adoptant un point de vue différencialiste, le queer est un regard sexué sur la société et une critique contre les politiques de démantèlement des acquis des minorités par les Républicains, contre les replis conservateurs, et contre le culte de la virilité et de l’homogénéité ethnique au sein de la communauté gay et lesbienne américaine. Curieuse évolution de la notion de queer, car ce terme désignait, au début du XXe siècle, l’homosexuel conventionnel par opposition au fairy, l’homosexuel efféminé, et au trade, le bisexuel. Devenu péjoratifs, ces termes ont été abandonnés depuis les années 20 au profit de gay, une catégorie plus vague appartenant à l’argot américain, signifiant «immoral», «impertinent», et ayant également servi à désigner les prostituées. Au cours des années 30 et 40, le mot gay a fait disparaître les comportements particuliers derrière une identité sexuelle commune et positive face à la montée du terme médical d’homosexuel2.



Dans sa critique de la communauté gay et lesbienne américaine, Goldstein fait émerger un nouveau sens au terme queer et l’emploie en opposition à gay, soit non-hétérosexuel et affirmé virilement comme tel. D’autre part, s’il l’ouvre au bi- et trans-sexuel(le)s, il l’utilise peu dans le cas des lesbiennes, estimant que le gay participe plus à la définition de l’homme normal que de la femme. De concept transverse, le queer vise ici à une critique de la construction de l’hyper-virilité gay en revalorisant le point de vue de «la folle». L’efféminisation, ou du moins «l’expression de sa part de féminin», serait-elle donc une posture radicale de tout homme contre les pressions conservatrices?



Thierry Delessert

  1. L’homosexualité est un délit pour les deux sexes en Alabama, Arizona, District de Columbia, Floride, Géorgie, Idaho, Kentucky, Louisiane, Maryland, Michigan, Minnesota, Mississippi, Caroline du Nord, Caroline du Sud, Oklahoma, Rhode Island, Tennessee, Utah, et Virginie ; un délit seulement pour les gays en Arkansas, Kansas, Montana, Missouri, Nevada et Texas.
  2. George Chauncey, Gay New York, in Actes de la recherche en sciences sociales, n°125, décembre 1998, pp. 9-14