Les maçons bâtissent... leur rapport de force

Les maçons bâtissent… leur rapport de force

C’est connu: 21% des ouvriers du bâtiment meurent avant d’atteindre l’âge de la retraite. Leur taux de mortalité entre 45 et 65 ans n’est dépassé que par celui des manœuvres dans les usines (27%) et par le personnel de nettoyage (29%). 41% d’entre eux sont morts ou invalides avant d’atteindre l’âge de la retraite. C’est ce que révélait une étude de l’Inspection du travail genevoise. Le risque de devenir invalide pour un ouvrier du bâtiment est 7 fois plus grand que pour un directeur dans la même branche et 10 fois plus important que chez les techniciens et architectes.



La probabilité d’accident sur les chantiers est toujours très élevée en comparaison avec les autres branches. Un travailleur sur quatre y est accidenté chaque année. Par l’embauche croissante de travailleurs temporaires sans formation ce taux est reparti à la hausse. Le taux élevé d’invalidité n’est en outre pas seulement imputable au nombre élevé d’accidents, mais aussi au travail sur les chantiers, particulièrement dur et nuisible pour la santé. Le temps n’y est en effet de loin pas toujours aussi beau que sur les pubs de l’industrie du bâtiment et l’apport accru de moyens mécaniques sur les chantiers n’a rien changé fondamentalement au fait que nombre de travailleurs doivent lever et transporter des matériaux de construction très lourds.

Les patrons provoquent

L’exigence d’un avancement de l’âge de la retraite pour les travailleurs du bâtiment est donc, littéralement, une question de vie ou de mort. En avril 2002, les patrons du bâtiment ratifiaient un accord introduisant par étapes la retraite anticipée à 60 ans. La première série de retraites anticipées – à 63 ans – devait prendre effet en janvier 2003, en 2006 tous les travailleurs du secteur devaient pouvoir prendre leur retraite à 60 ans. Or quelques mois plus tard, l’association patronale est revenue sur leur engagement et ont prétendu vouloir renégocier la convention signée dans le sens d’une baisse de prestations de 25 à 30%!



Les syndicats, en particulier le SIB, ont été la hauteur et les patrons ont récolté lundi ce qu’ils avaient semé: la première grève de cette ampleur depuis des décennies – réellement nationale – qui a vu plus de 15 000 ouvriers arrêter le travail dans toutes les régions du pays, dépassant de 50% les estimations préalables des syndicats. Plus de 100 grands chantiers ont été bloqués ont du reconnaître les patrons, la participation à la grève a été en nette augmentation par rapport à la manifestation de la branche d’il y a deux ans.

Les travailleurs réagissent

A relever la participation significative à la grève en Suisse allemande, en Argovie tous les chantiers d’autoroute ont été stoppés, dans la région de Bienne-Soleure 1000 travailleurs ont quitté leurs chantiers, à Berne 1500 travailleurs se sont rassemblés à la Reithalle et une centaine de chantiers ont été stoppés, en Suisse centrale une grande assemblée de grévistes a eu lieu à Lucerne, à Bâle tous les chantiers importants étaient à l’arrêt, à Zurich plus de 1000 travailleurs ont posé les outils…



En Suisse romande, les travailleurs genevois ont fait fort, on a vu quelque chose comme 3500 grévistes qui ont paralysé la circulation en Ville en occupant le pont du Mont-Blanc, d’autres axes routiers ont été bloqués comme l’autouroute N1 en chantier au tunnel du Barregg, ou le chantier de la N5 dans le canton de Neuchâtel… Dans le canton de Vaud les syndicats annoncent 2000 grévistes, les travailleurs licenciés de Swiss Dairy Food et une délégation des employé-e-s de Veillon en lutte se sont joints au manifestants… A Genève, les sans-papiers étaient présents en solidarité avec leur propre banderole… Au Tessin, 3000 travailleurs, frontaliers le plus souvent ont participé au mouvement avec le soutien de la CGIL…

La paix du travail craque

A signaler, la sympathie réelle dans l’opinion publique dont a bénéficié cette grève, à nombre d’endroits les manifestants ont été applaudis dans la rue par les passants. La presse et les médias ont dû largement reconnaître la légitimité du mouvement.



Le Temps par exemple éditorialise sur le fait qu’il est «choquant d’ergoter sur le montant des retraites anticipées des travailleurs de la construction alors que des managers sont «remerciés» de leurs erreurs de gestion avec de substantielles enveloppes.» Mais Le Temps, comme nombre de commentateurs bourgeois, prêche aussi sur le fait que cette grève serait moins une «remise en cause de la paix du travail» qu’un «appel au respect».


Ils tentent de séparer ainsi l’élémentaire exigence de dignité des travailleurs-euses, d’avec les moyens collectifs de lutte, indispensables pour la faire respecter, et qui ont été niés pendant des décennies dans ce pays par la dite «paix du Travail» et ses chantres, y compris dans le mouvement syndical.


Or, la défense par les travailleurs du bâtiment de leur conquête, et l’exigence du respect de ce qui est l’une des dernières conventions collectives nationales avec un minimum de contenu réel, exige précisément le recours à l’arme de la grève, collective et solidaire, dont les idéologues bourgeois ont tenté de délégitimer l’emploi pendant un demi siècle en Helvétie.


Dans deux semaines ce sont les travailleurs-euses des centres de tri de la Poste qui marqueront leur refus du démontage programmé de leur entreprise et des suppressions de leurs emplois qu’elle entraîne, sacrifiés sur l’autel de la privatisation… C’est un même combat et ça porte un nom: la lutte des classes.



Pierre VANEK