Guerre du logement: étudiant-e-s au front

Guerre du logement: étudiant-e-s au front


Jeudi 31 octobre, une centaine de personnes en formation ont occupé un grand immeuble de six étages, vide depuis six ans. Orchestrée par la CUAE (syndicat étudiant) cette action vise juste et là où ça fait mal: il s’agit de loger des personnes aux revenus modestes, les étudiant-e-s.



Le projet des occupant-e-s est de confier les logements conquis à la CIGUE (coopérative de logements pour personnes en formation), comme ça a déjà été le cas suite à une occupation précédente il y a quelques semaines qui s’est traduite par la mise à disposition d’une douzaine de studios vides depuis plus d’un an.



Visiter un tel immeuble vide en pleine crise du logement vaut le détour. Les soixante chambres qui composent l’ancien Hôtel California ont trouvé preneur en moins de douze heures. L’état général de la bâtisse est excellent, les personnes qui y habitent maintenant jouissent de l’électricité à presque tous les étages; les travaux pour rétablir l’eau courante sont plutôt légers. La majorité des chambres possède un coin cuisine ainsi qu’une salle de bains. Le tout est situé à proximité du centre-ville et constitue de l’avis général un habitat idéal pour les étudiant-e-s.

Zapelli montre ses crocs


Pourtant, de sinistres nuages ont déjà essayé d’assombrir ce magnifique tableau. En effet, le lendemain de l’occupation le Procureur général Daniel Zappelli signait un ordre d’évacuation prenant théoriquement effet 24 heures plus tard. Motif surréaliste: la société de sécurité privée GPA aurait conclu un contrat de prêt à usage avec le propriétaire afin d’y entraîner ses chiens à l’attaque!



L’ensemble des habitant-e-s a refusé de céder à cette sommation déplacée et a convoqué une assemblée vendredi soir réunissant les habitant-e-s, des représentant-e-s de la CUAE et de la CIGUE, plusieurs député-e-s ainsi qu’un avocat. A cette occasion, les député-e-s présents, dont deux élus de solidaritéS, se sont engagé à soutenir la démarche des habitant-e-s. Une surprise au rendez-vous: Mark Muller, président de la Chambre genevoise immobilière (CGI), a lui aussi «honoré» cette réunion de sa présence et s’est déclaré favorable a une solution «civilisée». Dans ce sens il s’engageait même à contacter personnellement le Procureur général et le propriétaire.



Comment expliquer l’enthousiasme soudain de ce député libéral envers le logement pour personnes en formation et sa soudaine compréhension envers des squatteurs-euses, fussent-ils en formation?

Les motivations de Muller


Par un heureux hasard, il se trouve que le 24 novembre, les électrices-eurs genevois pourront, grâce à un référendum lancé par le comité «Droit des locataires», se prononcer au sujet d’une modification de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations (LDTR) qui fait partie du dispositif légal genevois de protection des locataires. Or, cette modification est issue du milieu des propriétaires immobiliers, dont le porte-parole principal au Grand Conseil n’est autre que ce même Mark Muller. Cette brillante mouture vise notamment à permettre aux régisseurs de pratiquer des loyers encore plus élevés après rénovation d’un logement. Or, la campagne de Muller et de ses acolytes est placée sous le signe du mensonge et de la tromperie. Un joyeux escargot, libéré de sa coquille appelle à voter OUI pour une inexistante «loi sur les rénovations sociales de logement» et «pour de nouveaux logements à loyers modérés». La présence de Mark Muller «aux côtés des gens en formation» se clarifie, il vise à se donner une image de marque trompeuse et à éviter que le front du logement s’enflamme dans les jours qui précèdent le vote.



D’autres député-e-s, verts ceux-là, ont insisté sur leur soutien aux personnes en formation et civilisées par opposition aux squatteurs-euses. Ces messieurs-dames voudraient-ils introduire une clause de mérite dans le droit au logement?

Solidarité du quartier


Ces derniers jours, le collectif d’habitant-e-s du fameux immeuble a fait appel au soutien du plus grand nombre. La réponse a été positive, notamment de la part des habitant-e-s du quartier, qui se sont rendus sur place au cours d’une après-midi portes ouvertes, pour y rencontrer les occupant-e-s et constater l’importance de la surface scandaleusement vide. L’association d’habitant-e-s du quartier (Survap) a exprimé son soutien sans réserve à l’occupation. Le Conseil adminstratif de la Ville de Genève lui aussi est intervenu en dénonçant les mille logements vides du canton et en demandant au procureur de renoncer à l’évacuation annoncée et en exigeant du Conseil d’Etat qui réquisitionne les immeubles vides.



La constitution genevoise garantit en effet le droit au logement et impose aux autorités de prendre toutes les «mesures propres à éviter que des personnes soient sans logement» comme de prendre «des mesures propres à la remise sur le marché de logements laissés vides dans un but spéculatif».



Avant d’en arriver à ces occupations «illégales» mais ultralégitimes, une liste de logements vides avait été transmise au chef de l’Office cantonal du logement afin de lui permettre d’appliquer, dans ces cas au moins, les mesures d’urgence prévues par la loi. Une douzaine d’articles de la LDTR prévoient en effet que le Conseil d’Etat est en mesure de réquisitionner de logements vides lorsque le taux de logements disponibles atteint son seuil de crise. Ce taux est aujourd’hui dix fois supérieur au seuil de crise!



Au moment où nous mettons sous presse, le procureur a semble-t-il dû renoncer à ses velléités de coup de force anti-étudiant au profit des chiens d’attaque. Les propriétaires sont rentrés en négociation et une issue favorable semble possible, grâce au rapport de force et à cette pression venue «de la rue», sans laquelle les meilleures lois restent trop souvent lettre morte. Même si l’Hôtel Calfornia devait marquer une victoire pour les étudiant-e-s sans toit, ce n’est qu’une bataille, la guerre du logement continue…



Catalina POZO