Courrier des lecteurs et lectrices

Courrier des lecteurs et lectrices



L’article « Lettre
d’Alger d’une femme en colère » paru
dans le numéro 161 a suscité plusieurs réactions
critiques. Nous publions l’une d’entre elles ci-dessous.
Prochainement, le comité de rédaction discutera de
l’éventuelle ouverture d’un débat dans nos
colonnes sur cette question (réd.)

Chers Anna Spillmann-Andreadi et Urs Spilmann,
    Nous avons lu avec intérêt votre compte
rendu du livre de Wassyla Tamzali (WT) Une femme en colère.
Lettre d’Alger aux Européens désabusés
intitulé « Lettre d’Alger d’une femme
en colère » (solidaritéS, no 161).
    Le chapeau et le premier paragraphe de votre article
interpellent. Vous mettez en exergue des
« Européens désabusés qui auraient
oublié les combats menés jadis en commun avec les
colonisés ». Mais qui sont-ils ? Pensez-vous
aux militant·e·s qui étaient alors solidaires de
la lutte anticolonialiste ? Evoquer l’oubli est ici une
figure de style. Plutôt qu’oublié, leur combat est,
hélas, ignoré. Vous savez combien ils étaient
minoritaires et souvent réprimé·e·s.
    Cette référence à l’oubli
est malheureuse. Elle passe comme chat sur braise sur les changements
essentiels de période et d’acteurs qui sont intervenus
depuis.
    Ensuite, votre choix de mettre en évidence
ces « Européens
désabusés » que vous estimez
« entraînés dans des dérives
culturalistes défendant un islam modéré ou la
laïcité ouverte » nous surprend. Pourquoi
avoir sélectionné ce seul courant de pensée et
pourquoi ne pas le dire à vos lecteurs et lectrices ?
    Et puis vous dessinez une esquisse de WT, en
exposant les raisons de sa colère. Née en 1941, elle
aurait connu enfant (sous la colonisation donc) un « islam
doux » et découvert la violence aveugle quand son
père, engagé pour la libération du pays,
« est tué par une jeune recrue du
FLN ». Vous dites sa fierté
« d’avoir fait partie à la libération
du colonialisme de ces femmes au visage découvert symboles
d’un tiers-monde triomphant au coude à coude avec leurs
hommes » puis vous évoquez pêle-mêle
l’islamisme d’aujourd’hui et
ses-amis-européens-intellectuels-de-gauche-pour-la-plupart,
« leur aveuglement devant les islamistes
modérés ».
    Après avoir posé ce cadre, vous
développez la question du port du foulard sans qu’il soit
clair si vous exposez le point de vue de WT ou si vous présentez
le vôtre.
    Selon WT, son interdiction dans les
établissements scolaires français n’aurait pas
« fait de cas de sa fonction de ségrégation
sexuelle ». Vous suggérez que seuls le
« relativisme culturel » et une renonciation
au caractère universel des droits humains expliqueraient
pourquoi ces Européens désabusés accepteraient le
port du voile.
    Mais d’où tenez-vous cette conviction partiale et lacunaire ?
    Ne pouvez-vous pas admettre que le droit de se
vêtir à sa guise comporte celui de porter le voile ou la
burqa ?
    Ce droit n’est pas conjoncturel, relatif.
Chacune ayant un droit égal à se protéger de
l’interdiction ou de l’obligation de les porter, une
position laïque ne doit-elle pas accepter le port de ces
pièces de vêtement sans leur attribuer de signification
religieuse ?
    Ne reconnaît-on pas le droit de chacun-e
à se poser des piercings ou à se tatouer, à suivre
les canons de la mode ou à s’y soumettre ?
    Hommage du vice à la vertu, votre texte
comporte sa contradiction. Vous fustigez le supposé
« relativisme culturel » qui recule devant un
« islam modéré », mais vous
valorisez « un islam doux qui pose certaines règles
de conduite, mais laisse des marges de manœuvre à la
personne restée libre de l’importance qu’elle veut
donner à son implication religieuse ».
    Laïcs et athées, nous reconnaissons
à chacun-e le libre exercice de sa foi et l’expression de
ses convictions et nous sommes engagés pour une
société fondée sur la reconnaissance effective de
tous les droits humains.
    Le débat ouvert par l’initiative contre
la construction de minarets a révélé une
difficulté à reconnaître l’existence de
l’islamophobie et à engager la lutte contre cette forme du
racisme.
    L’islamophobie, faut-il le rappeler, s’est développée

• contre
« l’immigration d’origine
musulmane » en articulant des arguments identitaires et
une conception de la nationalité basée sur le droit du
sang opposé au droit du sol ;


• contre une région du
monde définie comme musulmane, au nom du clash des civilisations
et pour justifier des guerres, et notamment en Afghanistan, en Irak et
en Palestine ;


• en défense d’une
nouvelle politique impérialiste et coloniale menée au nom
d’une supposée supériorité occidentale
qu’exprimeraient ses institutions soi-disant démocratiques
et sa prétendue reconnaissance des droits des femmes.

    Au cours du débat, et plus encore
après que l’initiative l’eut emporté, se sont
ajoutés au refus des minarets les combats contre le voile et la
burqa. Des points de vue différents portent ces causes. Ils
partagent un point commun, celui d’être exprimés
dans des termes fortement émotionnels.


Aldjia Moulaï, Karl Grünberg

Pour ACOR SOS Racisme