Turquie / Kurdistan: violences urbaines et policières de l’« ouverture démocratique »

Turquie / Kurdistan: violences urbaines et
policières de l’« ouverture
démocratique »



Lorsqu’une
délégation pour la paix, composée de 34 personnes
membres du PKK et habitants du camp de Maxmur, qui avaient fui dans les
années 1990 la terreur d’Etat, a franchi la
frontière irakienne, elle a été accueillie par des
centaines de milliers de kurdes qui espéraient que la paix
s’approche. Après une journée
d’interrogatoire, tous les membres de la délégation
ont été relâchés, ce qui a augmenté
les espoirs. Or ce qui commençait était en
réalité le début de la fin.

Une opposition réactionnaire, raciste et chauvine

Depuis que le gouvernement du Parti de la Justice et du
Développement (AKP) a lancé son projet d’une
« ouverture démocratique », comme un
projet d’Etat, les deux partis principaux de l’opposition
parlementaire, le Parti Républicain du Peuple (CHP) et le Parti
du Mouvement Nationaliste (MHP, les loups gris) attaquent de front
toute tentative, même insincère, de réconciliation
du régime avec son passé sanglant. Lorsqu’un
député d’AKP a justifié leur projet comme un
pas en avant pour que les armes cessent et que les mères ne
pleurent plus, un des dirigeants du CHP a résumé ainsi la
position de son parti : « Pourquoi les mères
n’ont-elles pas pleuré à
Dersim ? ». Quand on sait que Dersim est une ville
du Kurdistan turc où en 1938, l’armée a
réprimé une révolte faisant plus de septante
milles morts, on comprend mieux jusqu’où peut aller la
logique de ce parti qui se profile comme un parti
social-démocrate. Il serait intéressant de voir
jusqu’à quand la social-démocratie
européenne continuera à convoquer CHP à ses
rencontres régionales régulières.

    Pour ce qui est du MHP, influent dans les structures
militaires et paramilitaires, il prétend que le projet du
gouvernement est un complot occidental visant à scinder le pays
en deux.

    Les propos racistes et chauvins de
l’opposition dégénèrent en violences
urbaines et en tentatives de lynchage dans les villes cosmopolites ou
majoritairement peuplées de turc. Smyrne,
présentée comme le symbole du cosmopolitisme en Turquie,
a été le bastion des réactions anti-kurdes les
plus violentes. A Manisa, ville méditerranéenne, le
quartier habité par des tziganes a été
attaqué par des civils armés. La plupart des tziganes ont
cherché refuge dans d’autres villes. Dans plusieurs
villes, les manifestations estudiantines sont perçues ou
présentées comme celles organisées par des
séparatistes du PKK, elles sont attaquées par des civils
pendant que la police contemple le spectacle. Dans les villes kurdes,
certains milieux ont distribué des armes aux civils connus pour
leur collaboration avec les paramilitaires. A ce jour, il n’y a
aucune arrestation, aucune enquête judiciaire ouverte sur les
tentatives de lynchage ni sur la distribution d’arme.

    La plus grande grève que connaît
actuellement le pays, la grève des travailleurs de la
régie du tabac, a été accusée
d’être menée par le PKK. Le premier ministre a
donné un ultimatum jusqu’à fin février 2010
pour que les grévistes quittent leurs tentes. 

    L’actuel président du Parti de la
Démocratie et du Peuple, Selahattin Demirtas, a attiré
l’attention du gouvernement et de l’armée sur le
fait que la violence urbaine est plus dangereuse que la violence
armée dans les montagnes. Il a invité le gouvernement et
l’opposition à faire le nécessaire avant que le
pays n’entre dans une phase incontrôlable de violences.

Comment sortir de la crise ?

La crise économique facilite le travail de manipulation et
d’instrumentalisation des couches populaires par les dirigeants
réactionnaires. Les Kurdes, les Tsiganes et autres
minorités sont présentées soit comme des
terroristes, soit comme des voleurs de places de travail et de
logement. Comme il s’agit de « citoyens
turcs » selon la définition de l’Etat
unitaire, une politique d’expulsion à
l’européenne ne fonctionnera pas. Dès lors ce sont
les hommes armés, organisateurs de purges ethniques et de
lynchages, qui se chargent de mettre en œuvre ce que les
dirigeants de l’opposition expriment indirectement.

    Les partis et mouvements de gauche sont
encerclés, réprimés. La population civile turque a
de plus en plus de peine à faire la différence entre le
mouvement kurde, le mouvement ouvrier, le mouvement estudiantin et les
mouvements de gauche turcs ; tout opposant au régime est
forcément séparatiste. Les syndicalistes, journalistes et
écrivains engagés sont accusés
d’appartenance à des organisations terroristes. Les amis
proches ou lointains des militants arrêtés font
l’objet de poursuites pénales au motif qu’ils
seraient complices ou au courant des « activités
délictueuses » de ces derniers, des centaines
d’enfants âgés de 12 à 18 ans, qui ont
jeté des pierres contre les forces de l’ordre dans le
Kurdistan turc, sont jugés et condamnés à de
lourdes peines pour appartenance à PKK.

    Le contexte actuel ressemble à celui
d’un pays en guerre qui en profite pour exterminer ses
minorités et ses opposants : le régime fait croire
à l’opinion publique nationale et internationale
qu’il met en œuvre un projet d’ouverture
démocratique alors qu’il met sur pied par derrière
une politique d’encerclement et d’intimidation, frappant de
plein fouet l’ensemble des forces progressistes. Dès lors,
le pays a urgemment besoin du rassemblement des forces de gauche
capables d’organiser les masses et de combattre les amalgames du
régime. Dans ce sens, le projet lancé par le mouvement
kurde de créer un parti unitaire rassemblant l’ensemble de
la gauche turque et l’ensemble des structures kurdes gagne de
plus en plus d’importance.

    L’opposition progressiste doit agir en commun
avec le mouvement kurde et ses composantes afin de renverser la
tendance actuelle et d’imposer une solution démocratique,
juste et équitable aux seigneurs de la guerre. Une telle
solidarité offrirait la possibilité de couvrir les
problèmes politiques et socio-économiques du pays et non
pas de se limiter à la question des minorités.

Veli Ay, journaliste, Hiznî Girgimî