De la crise financière à la crise sociale

De la crise financière à la crise sociale

La crise économique actuelle – amorcée en juillet
2007 avec l’éclatement de la bulle immobilière
– vient d’entrer dans une nouvelle phase. La
première étape a été marquée par le
sauvetage massif des banques par les Etats, à hauteur de
14 000 milliards de dollars pour la zone euro, la Grande
Bretagne et les Etats-Unis. Ce renflouement du secteur financier,
s’il a permis un retour aux profits des actionnaires, a
porté l’endettement public à des niveaux jamais
atteints en temps de paix : une véritable socialisation
des pertes des spéculateurs, transformées en dettes
publiques à la charge des salarié-e-s et des
contribuables ordinaires.

    Puis, la crise financière a contaminé
l’ensemble de l’économie, entraînant une
hausse brutale du chômage. Au sein de l’Union
européenne, vingt-quatre millions de personnes sont
aujourd’hui à la recherche d’un emploi. Par
ailleurs, au recul des recettes fiscales, lié à la baisse
des revenus, s’est ajouté une nouvelle vague de rabais
d’impôts en faveur des privilégiés. De
surcroît, le coût des mesures de soutien aux industries
stratégiques, comme l’automobile, a aussi accru
massivement la dette publique, déjà gonflée par
vingt à trente ans de défiscalisation du capital et de
ses revenus.

Cet endettement colossal, s’il coûte très cher aux
collectivités publiques qui paient des intérêts
considérables, représente en revanche une source de
profits inespérée pour les investisseurs : ceux-ci
accumulent des titres de la dette publique et encaissent sans risque de
gros profits, payés en dernière instance par les
salariée-s et les contribuables. Comme aux premiers temps du
capitalisme, la spéculation sur la dette publique permet
aujourd’hui aux financiers d’accumuler
d’énormes bénéfices aux dépens des
activités productives, tout en justifiant des coupes sombres
dans les dépenses d’utilité publique.

    Cela nous amène à la phase actuelle de
la crise. Une cascade de plans d’austérité dont le
maître mot est : « travailler plus pour
gagner moins ». Imposés d’abord aux maillons
faibles de l’Union européenne (Grèce, Portugal,
Espagne, Irlande), ces plans toucheront bientôt l’ensemble
des grands pays de l’Union. La hausse annoncée de
l’âge des retraites et le gel des dépenses publiques
en France ou en Grande Bretagne sont autant d’indices de
l’évolution à venir. Ces mécanismes mettent
en pleine lumière la nature de l’Etat. Loin
d’être au service du bien commun, il favorise
l’accumulation des richesses entre les mains d’une fraction
minoritaire de privilégiés.

    Certes, des alternatives sociales-démocrates
seraient envisageables. « Il suffirait » de
faire payer la dette publique aux responsables de la crise, par
exemple en levant des impôts sur les profits des gros
actionnaires. Cette solution avait été adoptée
pendant la Seconde guerre mondiale, lorsque les intérêts
fondamentaux des classes dominantes étaient en jeu. Le
gouvernement britannique avait alors opté pour
l’expropriation partielle des hauts revenus afin de faire face
à ses dettes de guerre. De même, en 1932,
l’administration Roosevelt aux Etats-Unis, sous pression
d’une formidable poussée de luttes ouvrières, avait
porté le taux marginal d’imposition des hauts revenus
à 79 %. Mais de telles politiques supposeraient une
rupture radicale avec la phase actuelle du capitalisme, ouverte par la
crise du milieu des années 70.

    La sortie du néolibéralisme
n’est donc pas pensable sans une modification fondamentale des
rapports de forces sociaux. Et dans une telle hypothèse,
pourquoi faudrait-il accepter de se résigner à un nouveau
compromis social-démocrate ? Ne serait-il pas juste de
lui préférer une véritable issue socialiste qui
garantisse durablement la satisfaction des besoins essentiels de la
population, le respect des grands équilibres naturels et
l’extension des prérogatives démocratiques du plus
grand nombre.

    Mais pour cela, il faut commencer par refuser de
payer les dettes contractées auprès des grands instituts
financiers afin d’ouvrir la voie à un monopole public du
crédit. De même qu’il existe un service public de la
santé (menacé, il est vrai), pourquoi une activité
aussi vitale que le financement de l’économie ne
pourrait-elle pas être considérée comme un bien
commun et contrôlée directement par la
collectivité ? Cela permettrait de distribuer le
crédit disponible en fonction d’intérêts
sociaux et écologiques à long terme, plutôt que
d’intérêts privés à court terme.

    Des solutions ouvrant la voie à une telle
sortie du capitalisme ne pourront voir le jour qu’au prix de
mobilisations massives des travailleurs-euses. Les récentes
grèves générales grecques montrent le début
du chemin à suivre… Il nécessitera la multiplication
d’expériences de lutte et d’organisation, mais aussi
l’adoption d’un programme politique révolutionnaire
répondant aux exigences de l’époque actuelle. Le
mouvement social, déboussolé par trente ans
d’attaques néolibérales, par la baisse constante
des effectifs syndicaux et par la participation pleine et
entière des partis sociaux-démocrates aux politiques
néolibérales de la bourgeoisie saura-t-il relever un tel
défi ?

Hadrien Buclin