Face à la finance mondiale, le peuple grec montre l’exemple

Face à la finance mondiale, le peuple grec montre l’exemple

Au moment où nous mettons sous
presse, la Grèce est à la veille d’une
cinquième grève générale depuis le 17
décembre dernier, convoquée le 20 mai, à
l’appel des deux grandes centrales syndicales du public et du
privé. L’épreuve de force s’installe dans la
durée. Son issue sera décisive pour l’Europe toute
entière. Au-delà du piquet du 5 mai devant la mission
grecque à Genève et d’un rassemblement à
Lausanne le 8, notre solidarité doit se poursuivre et
s’intensifier.

Après les Etats Baltes, la Grèce se trouve
aujourd’hui exposée aux rigueurs extrêmes d’un
Plan d’ajustement structurel, cette fois-ci sous la houlette
combinée du FMI et de l’Union Européenne (avec
impossibilité de dévaluer sa monnaie). En effet, le
soi-disant « sauvetage de la Grèce »,
concocté par le « socialiste »
Strauss-Kahn et voté par les députés unis du PS et
de l’UMP à l’Assemblée Nationale
française, n’est en réalité qu’un
formidable marché de dupes. Son objectif :
débarrasser au plus vite les grandes banques allemandes et
françaises des « titres pourris » de
la dette extérieure d’Athènes (300 milliards
d’euros) en prêtant 100 à 130 milliards
d’euros sur trois ans au gouvernement Papandreou contre
l’engagement ferme d’en faire payer le prix au peuple grec.

Accroître les inégalités

Le cynisme des « mécènes »
européens est à son comble, puisque les créanciers
vont prêter au taux de 5% des fonds qu’ils empruntent
à 3% sur les marchés financiers, et que les banques
commerciales obtiennent de la Banque centrale européenne (BCE)
à 1%, chacun réalisant un important profit au passage sur
le dos du peuple grec. En effet si la BCE n’a pas la
possibilité de refinancer les Etats, elle a la compétence
de prêter aux banques à des taux pratiquement nuls, et
ceci en pleine crise financière

    Ce prêt est conditionné à une
baisse généralisée des salaires du public et du
privé, alors que le salaire moyen n’est que de 1200 euros
par mois (le FMI parle d’une diminution globale de 10 à
15%). Il vise une réduction massive de l’emploi (non
remplacement de 4 départs à la retraite sur 5 dans le
public, facilitation des licenciements dans le privé). Il impose
une cure d’amaigrissement aux prestations sociales (prolongation
de la durée de cotisations, élévation de
l’âge de la retraite à 67 ans et baisse des rentes).
Il prévoit une réduction des services publics
(éducation et santé) et la privatisation de secteurs
essentiels (chemins de fer, eau, énergie). Il exige une taxation
accrue des classes populaires (TVA passant de 19% à 23%) qui
exonère la fortune et les revenus des nantis. Avec un taux de
chômage qui dépasse déjà 10%, ces mesures ne
peuvent que précipiter le pays dans une récession
durable, un endettement cumulatif et une perte de souveraineté
croissante au profit de la finance internationale.

Un modèle pour le capital européen

Par ricochet, ces conditions draconiennes donnent le ton aux autres
Etats européens qui préparent leurs plans
d’austérité, d’abord dans la
périphérie de l’euro-zone aux 
économies les plus fragiles : les PIGS (cochons, en
anglais), dans le jargon méprisant des institutions
financières (Portugal, Irlande, Italie, Grèce et
l’Espagne). Mais aussi au Royaume-Uni et en France, dont les
dettes publiques dépassent très largement 60% et les
déficits 3% du PIB (critères de Maastricht). Ainsi, la
crise actuelle du capitalisme, liée pourtant à une
insuffisance structurelle de la demande solvable (dépenses de
consommation des ménages et investissements des entreprises), se
traduit-elle aujourd’hui par la volonté de répartir
les revenus de façon plus inégalitaire encore, au profit
d’activités financières toujours plus parasitaires.

    Rappelons le fil des événements.
L’explosion de la bulle des subprimes aux Etats-Unis et la
panique financière qui s’en est suivie, à
l’automne 2008, a amené les Etats à mobiliser des
milliers de milliards de dollars pour renflouer les banques, soutenir
les industries clés et éviter une grave dépression
économique. D’où un accroissement colossal de
l’endettement public. Aujourd’hui, le coût de ces
efforts en faveur du capital financier est reporté sur les
travailleurs-euses et les populations du monde entier, contribuant
à accroître encore le déséquilibre entre
offre potentielle et demande solvable, entre capitaux en friche et
demande sociale insatisfaite… Une telle fuite en avant ne peut conduire
qu’à une montée de la colère et de la
révolte sociales, mais aussi à des réponses
autoritaires des dominants, dans le but d’assurer la
pérennité d’un système de plus en plus
injuste et instable.

Les Grecs ont osé dire non

Dans un tel contexte, la mobilisation massive du peuple grec est une
leçon pour toute l’Europe. En effet, la victoire
électorale du Pasok (Parti socialiste), à la fin 2009,
avait déjà marqué une volonté populaire de
rompre avec les politiques antisociales du précédent
gouvernement de droite. C’est pourquoi, malgré les appels
à la modération des syndicats liés à la
social-démocratie, les nouvelles coupes budgétaires de
l’administration Papandreou ont suscité un vaste mouvement
de résistance à la base qui a conduit à la
grève du 17 décembre, initiée par les enseignants,
qui s’est rapidement généralisée à
d’autres secteurs, en dépit de l’abstention des
grandes centrales.

    Ce n’est que dans un deuxième temps que
les directions syndicales du secteur public ont tenté de
chevaucher le tigre en appelant à la grève du 10
février, qui a amené les syndicats du privé
à se joindre à la seconde grève
générale du 24 février. A ce moment,
l’annonce des premières coupes brutales exigées par
l’UE est apparue comme une provocation, justifiant la
troisième grève générale du 11 mars,
très massivement suivie. La généralisation du
mouvement a même donné naissance à un nouveau
syndicat de travailleurs immigrés.

    La nécessité d’une grève
illimitée commençait alors à être
débattue à la base, même si les syndicats
convoquaient encore une quatrième grève
générale de 24h. le 5 mai, qui a représenté
un nouveau succès. Le fait que trois personnes aient
trouvé la mort dans l’incendie d’une banque, dont le
patron avait contraint les employé-e-s à travailler et
condamné toutes les issues, a certes porté un coup au
mouvement, mais il n’a pas empêché la convocation
d’une cinquième grève générale de 24h
pour le 20 mai.

Solidarité avec le peuple grec

L’issue de la confrontation dépend maintenant de la
capacité de la gauche syndicale et des forces anticapitalistes
grecques d’unifier la population autour du mouvement, mais aussi
de renforcer sa mobilisation et de radicaliser ses revendications. Elle
dépend aussi de la solidarité européenne que nous
pourrons développer, qui est aujourd’hui beaucoup trop
faible. En Suisse, nous devons exiger la levée du secret
bancaire et la transmission d’informations au fisc grec sur les
dépôts non déclarés des fortunes de ce pays,
qui se monteraient à 36 milliards de francs (selon Sonntag.ch du
2 mai 2010).

Hugo Harari Kermadec et Catherine Samary, du groupe de travail
économie du NPA, ont raison de souligner que « le
carcan euro-FMI » vise à bloquer tout débat
sur les mesures que pourrait décider démocratiquement le
peule grec, notamment « l’ouverture des livres de
compte » de l’Etat, des banques et des entreprises.
Le 7 mars dernier, les Islandais ont refusé massivement par
référendum (93% de NON) le plan de remboursement de 3,8
milliards d’euros (11 200 euros par hab.)
réclamé par le Royaume-Uni et les Pays-Bas afin
d’indemniser leurs investisseurs. Pourquoi le peuple grec
n’irait-il pas plus loin, comme le propose François
Chesnais, en répudiant purement et simplement sa dette publique
(28 000 euros par hab.). En effet, ne s’agit-il pas
d’une « dette odieuse »
résultant de la défiscalisation –
légale et frauduleuse – des nantis, de la
multiplication de chantiers pharaoniques (jeux olympiques de 2004),
mais aussi de commandes d’armes délirantes (cf.
Europe-solidaire.org) ? 

Jean Batou