Cest bien plus Rambo lorsque... cest utile aux bourgeois!
Cest bien plus Rambo lorsque… cest utile aux bourgeois!
Le parlement fédéral vient de voter la nouvelle loi sur larmée, qui instaure la réforme dite Armée XXI. La Suisse enverra des militaires pour des missions armées à létranger. Les effectifs et la durée du service obligatoire seront réduits. Un service long, en une traite, sera introduit. Tels sont les principaux changements.
Depuis la chute du mur de Berlin et le vote sur la première initiative du GSsA pour labolition de larmée, linstitution militaire a beaucoup changé
sous certains aspects. En revanche, elle demeure en de nombreux points une structure inadaptée, notamment face marché du travail et aux contraintes familiales pour les soldats, mais aussi comme instrument violent de répression et de «résolution» de conflits.
solidaritéS a jusquici soutenu les projets visant à abolir ou réduire la taille de larmée. Même si les effectifs chutent à 140 000 actifs et 80 000 réservistes (600 000 hommes avant 95, 360 000 actuellement), larmée suisse demeure une des plus importantes au monde proportionnellement à sa population.
Lenvoi de troupes armées à létranger dans le cadre dopérations dites de «promotion de la paix», mesure contre laquelle solidaritéS sétait engagé, est en vigueur depuis le vote du 10 juin 2001. La participation à des «missions de combat» est certes exclue, mais larmement des soldats peut être fixé par le Conseil fédéral. La première mission armée de la Swisscoy au Kosovo vient dailleurs de démarrer, équipée de mitrailleuses sur blindés légers et darmes personnelles «pour la protection des soldats».
Recherche de légitimité
La participation à des missions internationales relève bien sûr de la volonté de redorer le blason de larmée et de la présenter comme indispensable. Elle intervient en cas de catastrophe naturelle à lintérieur du pays (inondations, chutes de neige
) et à lextérieur (missions «humanitaires»). Dans ces deux cas pourtant, des forces civiles pourraient évidemment faire laffaire et ne coûteraient pas plus cher.
…et de juteux profits
Mais la volonté denvoyer des soldats à létranger relève aussi et surtout des motivations moins avouables. Les pays ravagés par la guerre sont un marché considérable. Il faut reconstruire routes, bâtiments, centrales électriques, centraux téléphoniques etc. Or on sait que la présence de forces armées dun pays dans un secteur donné favorise lattribution de marchés aux entreprises du dit pays. Il nest dès lors pas étonnant que le lobby patronal economiesuisse ait investi autant dargent dans la campagne de votation. De plus, une présence et une aide sur place sont présentés comme moyen déviter un afflux massif de réfugié-e-s
et de légitimer refus daccueillir ceux qui parviennent jusquici.
Par ailleurs, larmée, après sêtre toujours fournie en matériel Otan-compatible, continuera à collaborer avec des armées étrangères dans le cadre du «Partenariat pour la Paix» avec lOTAN (PpP), auquel elle a adhéré en 1996. Ce partenariat se concrétise par des exercices communs et des échanges dofficiers.
Envahissante
Avec Armée XXI, le service militaire sera moins long, passant de 300 à 260 jours. Lâge normal de fin du service passera de 42 ans à 30, 34 pour les retardataires. La durée de lécole de recrue sera quant à elle allongée de 15 à 21 semaines. Six cours de répétition viendront «parfaire» la formation initiale. Un tiers des soldats, dans les armes nécessitant une instruction moins poussée, fera une école de 18 semaines seulement, compensées par un septième cours de répétition. Le recrutement sera plus poussé et durera trois jours dès 2003, afin de trier et daffecter les recrues «au mieux» selon leurs capacités.
Pour les soldats, les inconvénients de larmée seront certes ainsi concentrés sur une période plus courte, mais cela nira pas sans poser de nouveaux problèmes familiaux et professionnels. La Suisse est un des pays où les études durent longtemps, et les jeunes soldats ne pourront plus, comme actuellement, enchaîner directement la fin de lécole de recrue avec la rentrée universitaire et perdront donc un à deux semestres détudes. La solution proposée de scinder lécole de recrues en deux nest pas satisfaisante. Quant aux travailleurs, les difficultés professionnelles liées à laccomplissement du service sont déjà fortes. Le rythme des cours de répétition sera dun par an jusquà 26 ans pour les plus réguliers. La marge de manuvre pour repousser des cours sera faible.
Autre innovation, des volontaires – le 15% des effectifs environ – pourront faire leur service en une seule traite. Celui-ci durera 300 jours. Une partie de ces militaires en «service long» pourront faire une part de leur service à létranger.
et coûteuse
La «défense nationale» a un coût exorbitant. En effet, les dépenses directes et indirectes[1] liées à celle-ci sont estimées entre 9 et 10 milliards de francs par année. Le budget de larmée est de près de 5 milliards, sur les 50,6 du budget 2002 de la Confédération, soit 10% ! Loin de diminuer, après une relative accalmie suite aux politiques daustérité budgétaire, et après les 3,5 milliards pour lavion de combat F/A-18 en 1996, les programmes darmement prévoient de nouveaux investissements lourds.
Par ailleurs, dans la perspective dune professionnalisation accrue voire totale qui se profile avec les réformes suivantes le nombre dinstructeurs et de militaires semi-professionnels va augmenter. Larmée cherche à engager des militaires contractuels, officiers et sous-officiers engagés pour une période limitée avec une formation qui peut être utilisée dans le civil. Larmée a dailleurs lancé une opération-séduction pour les recruter.
Or ce processus de professionnalisation nest évidemment pas souhaitable dun point de vue démocratique, lEtat bourgeois disposera dune garde prétorienne à son service, bien plus adaptée encore à la répression des mouvements sociaux qui sannoncent que larmée de milice traditionnelle.
A signaler au passage quaprès avoir encensé en 1989 les retombées financières de larmée sur certaines régions, les autorités fédérales restructurent sans prévoir de solutions de rechange pour celles-ci. Or la réforme aura aussi un impact au niveau de lemploi. Des places darmes et des arsenaux seront fermés ou restructurés, souvent dans des régions défavorisées où sont générés des emplois indirects grâce aux commandes de fournitures et à la présence de la troupe.
Dautres réformes indirectes seront lancées. La protection civile verra ses effectifs fondre de 280 à 120 000 personnes. Lâge limite sera désormais de 40 ans au lieu de 50, et les hommes libérés après leur service militaire en seront dispensés. Le service civil pourrait durer désormais 338 jours au lieu de 450[2]. Mais, la taxe dexemption de lobligation de servir (ou taxe militaire) passera de 2 à 3% du revenu net et de 150 à 200 FS au minimum. Enfin, lallocation perte de gain pourrait se monter à 80% du salaire au lieu de 65%, ceci pour les civilistes et les militaires[3].
Compromis helvétique
Armée XXI est un projet inspiré par le rapport sur la politique de sécurité RAPOLSEC 2000[4], issu des travaux de la commission Brunner[5]. Vu labsence immédiate de menaces traditionnelles crédibles, le rapport définit des tâches pour «assurer la sécurité» du pays, notamment les missions armées à létranger, la surveillance des frontières contre lafflux de réfugié-e-s et bien sûr la sécurité intérieure, en complément de la police. Larmée continuera à assurer la protection de bâtiments diplomatiques et de diverses rencontres «à haut risque», comme Davos ou bientôt le sommet du G8 à Evian en juin 2003[6] (v.encadré)
Extrait du communiqué du Conseil fédéral du 6 novembre 2002 concernant la «sécurité intérieure»« larmée accomplira durablement des tâches fédérales de police de sécurité. En dautres termes, des forces militaires (police militaire, soldats dinfanterie en service long, troupes en cours de répétition) seront plus fréquemment sollicitées en situation dite normale, pour des missions civiles correspondant à leurs qualifications. Lengagement accru de larmée sous forme dappui subsidiaire aux effectifs civils, pour assurer la protection des frontières, de conférences ainsi que de bâtiments et dinstallations, passera dès lors provisoirement du statut dexception à celui de règle.» |
Toutes ces tâches sont présentées comme assurant la sécurité de la Suisse, et trahissent une fois de plus la peur endémique helvétique entretenue par la droite face aux étrangers
et aux mouvements alter-mondialistes.
Ne pouvant pour lheure entrer directement dans une alliance militaire, neutralité traditionnelle oblige, la politique suisse de «sécurité» joue sur des coopérations avec lONU, le PpP et lOrganisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). Pour donner des gages aux milieux conservateurs, la Suisse est toujours censée parallèlement se préparer à se défendre seule, sans l«aide» dautres Etats. Mais le RAPOLSEC concède tout de même que la neutralité tomberait si la Suisse était attaquée; elle pourrait alors sallier à un autre Etat.
Quoi quil en soit, entre les impératifs économiques et fonctionnels poussant à labandon du système de milice au profit dune professionnalisation de larmée, et les tenants de larmée classique, ces derniers ont pour le moment une nouvelle fois emporté le gros de la mise – pour combien de temps? – avec la survie du service obligatoire.
Ainsi, Armée XXI est un exemple assez typique dune certaine cuisine politique helvétique, combinant «réformes» modernes à la dernière sauce Outre-Atlantique et traditionalisme fossilisé qui imprègne encore largement le parlement comme larmée elle-même. Les sociétés militaires et patriotiques ne sont pas prêtes de mourir!
Armée XXI devrait entrer en vigueur en 2004. Mais rien nest sûr, car les milieux les plus conservateurs ont lancé un référendum et devraient parvenir à récolter les 50 000 signatures requises. Nous devrons donc nous prononcer. La cohérence politique nous recommande un NON à ce projet en soulignant les alternatives à la défense armée et le refus dune «optimisation» professionnelle de lultima ratio de la répression anti-sociale. Toutefois, vu les améliorations de façade en faveur des citoyens-soldats, et vu la fureur médiatique qui se déchaînera comme dhabitude contre les «extrémistes des deux bords», nous devrons nous battre pour faire entendre en la matière un discours démocratique et progressiste.
Sébastien LHAIRE
- Dans les dépenses indirectes, on compte la protection civile, lassurance militaire et les allocations perte de gain.
- Cet abaissement du taux de multiplication du nombre de jours de service de 1,5 à 1,3 est controversé dans les milieux parlementaires. Pour tout savoir sur le service civil, consulter le site www.gssa.ch.
- Cette hausse est une conséquence de linitiative parlementaire du radical Triponez, en cours de traitement au parlement, qui «offre» aux mères une assurance-maternité de 80% du salaire pendant 14 semaines, financée par les APG.
- Rapport du Conseil fédéral sur la politique de sécurité de la Suisse, 7 juin 1999.
- Commission de personnalités instaurées par le Conseiller fédéral Ogi, présidée par lex-ambassadeur Edouard Brunner, où siégeaient notamment le Conseiller national PS Andreas Gross (ex-membre et «fondateur» du Groupe pour une Suisse sans Armée) et le Conseiller national libéral Jacques-Simon Eggly, journaliste et surtout membre de lancienne armée secrète P26.
- Larmée devrait assurer la sécurité de laéroport de Genève et surveiller notamment les eaux suisses du Léman.