Crise du logement: phénomène météorologique?

Crise du logement: phénomène météorologique?


La Conférence universitaire des associations d’étudiant-e-s (CUAE) a, depuis le début de l’automne, mené une lutte remarquée pour tenter de débloquer la situation de pénurie chronique du logement étudiant. Ainsi, comme nous l’avons relaté dans les numéros 15 et 16 de solidaritéS, deux occupations succesives ont abouti à la négociation de contrat de prêt à usage entre les propriétaires et la CIGUE (Coopérative pour le logement des personnes en formation). Ainsi 80 étudiant-e-s ont trouvé un toit et mis fin (pour les deux immeubles concernés) à la scandaleuse politique des propriétaires de maintien de logements vides.



Nous reproduisons ci-dessous un extrait de leur analyse parue dans leur dernier bulletin Regard Critique.*



A lire les journaux et à entendre les déclarations de certains responsables politiques, il semble bien que la crise du logement revienne périodiquement frapper Genève comme l’anticyclone des Açores amène le beau temps en été. Ce discours qui assimile un fait social à un phénomène naturel sert évidemment à dissimuler les responsabilités de ceux qui créent la crise pour assurer leur profit personnel. Les mécanismes de la spéculation immobilière ont été abondamment décrits dans les années 80, notamment dans le sillage du mouvement squat; nous n’y reviendrons pas ici. La spéculation n’est en réalité que la partie la plus révoltante des pratiques qui structurent le marché immobilier.

Chacun-e a besoin d’un toit


La crise actuelle a une cause un peu différente sur laquelle il vaut la peine de s’étendre en introduction. La source de profits – semblait-il intarissable – constituée par les marchés financiers s’avère depuis au moins cinq ans être pleine de risques. Dans ce contexte, les investisseurs mettent à l’abri une partie de leurs capitaux et l’immobilier est le marché rêvé pour qui veut s’assurer une rente à vie: chacun a besoin d’un toit et la structure de la demande dépend très peu de celle de l’offre. En d’autre termes, pour peu qu’on lui fasse croire qu’il n’y a plus de logements libres, le locataire est prêt à accepter à peu près n’importe quelles conditions pour se loger. S’il en a les moyens, il acceptera des augmentations de loyer; s’il n’en a pas les moyens, il vivra à quatre dans un deux pièces ou acceptera de faire deux heures de trajet pour se rendre à son travail.

Pénurie artificielle


Or, pour assurer aux investisseurs refroidis par les marchés financiers un repli convenable et pour absorber l’arrivée massive de ces déçus des nouvelles technologies, il faut que le marché immobilier augmente le taux des rentes payées aux propriétaires. Là où l’investissement était payé 10 francs pour 1 franc investi quand les investisseurs étaient peu nombreux, il faut payer 100 francs pour 1 franc lorsque le nombre des investisseurs augmente. Cela ne peut se réaliser que par une augmentation des loyers qui sont la source de la rente immobilière1. Les propriétaires créent donc la pénurie pour contraindre les locataires à accepter des hausses de loyer ou les obliger à péjorer leurs conditions d’habitation. On crée notamment la pénurie -la crise -en laissant des immeubles vides et en transformant des habitations en locaux commerciaux2.



La pénurie de logement touche l’ensemble de la population qui paye la rente immobilière aux propriétaires. Elle ne frappe donc pas spécifiquement les personnes en formation. Pourtant, sans être parmi les plus touchées, ces personnes présentent des caractéristiques qui les défavorisent par rapport à d’autres couches de la population.(…)Les critères appliqués deviennent encore plus violents et arbitraires pour qui vient de l’étranger. Dès lors, la question du logement des personnes en formation se pose en tant que telle, tout en restant liée à la problématique générale, et il appartient notamment à la CUAE de s’y intéresser.

Numerus clausus social


(…)En réalité, la création de la pénurie de logement entraîne une situation de numerus clausus social. Sauf à avoir des nerfs d’acier, quiconque doit faire 4 heures de train chaque jour pour suivre des cours faute de pouvoir se loger à Genève aura tôt fait de renoncer à ses études. La crise du logement, dont on a vu ce qu’elle avait de socialement construit, permet donc, comme par un effet secondaire, de diminuer le nombre des étudiants en décourageant ceux-ci d’entreprendre les études qu’ils souhaitent. Or, il se trouve que ce sont les mêmes milieux qui affirment depuis 15 ans que le nombre d’étudiants doit diminuer qui sont à l’origine de la pseudo-pénurie actuelle. La crise du logement est donc un enjeu de politique universitaire, plus largement de politique de la formation.



Enfin, comme le relevait le groupe Arrabiata dans un papier sur la Déclaration de Bologne, il est de notre responsabilité d’universitaires de s’attacher à décrire les faits sociaux et leurs causes sociales3.(…)



Coupures et intertitres de notre rédaction

  1. Sur la pression exercée par les propriétaires sur les locataires, on peut lire l’interview du juge Mirimanoff, président de la commission de conciliation du Tribunal des baux et loyers, dans la Tribune de Genève du 16 novembre 2002.
  2. Sur les structures du marché immobilier et notamment sur la puissance de l’intervention de l’Etat dans ce marché qu’on n’a pas évoqué ici, on peut lire BOURDIEU Pierre, Les structures sociales de l’économie, Seuil, Paris, 2000.
  3. Dans cet esprit, le professeur Hans-Ulrich Jost, avait consacré, l’an dernier à Lausanne, un séminaire à une histoire sociale du béton.


*Regard Critique N°24 de novembre 2002


Pour tout contact: CUAE 83, bd Carl-Vogt 1205 Genève. E-mail: cuae@unige.ch