Grève du bâtiment à Neuchâtel: interview

Grève du bâtiment à Neuchâtel: interview

Comme dans le reste de la Suisse, les travailleurs du bâtiment se sont mobilisés le 4 novembre dans le canton de Neuchâtel pour la défense de l’accord sur la retraite anticipée à 60 ans. Nous nous sommes avec Achille Renaud, secrétaire régional du Syndicat Industrie et Bâtiment (SIB). Cette grève d’importance nationale a permis la reprise des négociations et l’obtention d’un accord pour la retraite anticipée à 60 ans pour les travailleurs de la maçonnerie.

Quel impact, la grève a-t-elle eu dans la région neuchâteloise?

Il faut savoir tout d’abord que le canton de Neuchâtel a pasé de 4500 emplois en 1992 à moins de 2000 emplois en 2002. De plus, nous venons de vivre des faillites de grande importance et le climat dans notre secteur est plus que pessimiste: aussi, lorsque nous avons constaté que 580 travailleurs de la construction nous ont suivi, dans un climat aussi morose, nous ne pouvons qu’être pleinement satisfaits. Il faut savoir que faire une grève dans la construction, ce n’est pas comme dans une usine. Les chantiers sont disséminés dans tout le canton et nous ne pouvons pas bloquer les portes des entreprises. Il a fallu faire un travail de persuasion pour que les travailleurs n’aillent pas travailler, mais qu’ils se rendent directement au lieu de rendez-vous du syndicat et, crois-moi, pendant le trajet ils ont eu le temps de se faire des conflits de conscience! Cette grève, sa réussite est d’autant plus grande que les travailleurs se mobilisaient non pas pour 100 ou 200 francs d’augmentation, mais pour quelques travailleurs – pas même une dizaine – qui vont prendre leur retraite; quand, dans le cortège, nous pouvions voir des jeunes de 25 ans se mobiliser pour des travailleurs de 60 ans, il y a une leçon à en tirer sur la solidarité entre les générations. Cette grève est historique dans le sens où ces travailleurs se sont mobilisés pour une assurance sociale ou non pas pour un montant financier…

Le SIB a dénoncé les menaces de licenciements faites à l’endroit des grévistes. Des cas de représailles?


Il y a eu des pressions que nous avons dénoncé systématiquement pour freiner le processus de la peur. Ces menaces ont été directes, par voie de courrier, ou indirecte, par la voie hiérarchique. C’est le deuxième cas de figure qui est le plus difficile à maîtriser. A ce jour, nous avons fait le maximum de présence sur les chantiers pour empêcher que des pressions indirectes se fassent, et je cois que çela se passe assez bien. Certaines entreprises nous ont envoyé des factures pour, bien sûr, nous impressionner: nous en avons l’habitude…

Le président de la Fédération neuchâteloise des entrepreneurs (FNE), Michel Favre a condamné la grève et se juge offensé par certaines déclarations du SIB. Selon lui, la grève aurait été injustifiée dans le canton, puisque la FNE était favorable à l’accord négocié en début d’année entre le SIB et le patronat sur les pré-retraites…


Je prétend que la paix du travail est violée à chaque fois qu’une injustice est faite à un travailleur: ne la viole-t-on pas quand on licencie un travailleur de 50 ans? Quand on ne veut plus de lui parce que trop usé? Quand on fait travailler un ouvrier toute la journée sous la pluie? Alors si nous avons violé la paix du travail une fois ce n’est pas bien grave, les patrons la violent au moins une fois par jour…

Les manifestants ont fait une halte à la Chaux-de-Fonds chez l’administrateur de la faillite Bosquet. Où en est la liquidation de cette entreprise qui occupait une place importante du secteur de la construction dans le canton?


Cette entreprise est tombée en faillite en 1997 et, à ce jour, les ouvriers n’ont toujours pas touché leur solde de salaire. Quand nous avons appris que l’administrateur avait encaissé plus d’un million de notes d’honoraires et qu’il s’était payé son salaire à la fin de chaque mois, nous avons demandé un audit indépendant, ce qu’il refuse évidemment de faire. Actuellement, nous avons déposé une plainte et nous attendons le résultat…

Le 5 novembre, L’Express/L’Impartial rappelait que «la paix du travail, comme le chocolat, les montre ou les edelweiss, fait partie du visage bucolique de la douce Helvétie». Indépendamment du fait qu’un accord ait été conclu une semaine plus tard, peut-on déposer des edelweiss sur la tombe de la «paix du travail»?

Encore une fois, la paix du travail est unilatérale. Des injustices criantes sont commises tous les jours et cette paix du travail n’a existé que de la part des travailleurs. C’est une hypocrisie totale. Je pense que si l’on faisait l’addition des luttes individuelles – et il n’y a pas de hiérarchie dans le fait de relever la tête -, on s’apercevrait, même si cela est moins médiatique, que la paix du travail n’est qu’une image trompeuse. La grève du 4 novembre fut un mouvement collectif qui s’est vu, mais il y a tous les jours des travailleurs isolés qui cassent la paix du travail à leur niveau, mais qui ont autant de mérite.


Propos recueillis par Hans-Peter RENK