Automne chaud en Europe ?

Automne chaud en Europe ?

A l’échelle européenne, la crise économique
a déjà produit des effets dévastateurs. Le taux de
chômage officiel a ainsi augmenté en deux ans de quelque
3 % en moyenne dans les 27 pays européens, flirtant a
présent avec les 10 %. Les plans de sauvetage des banques
et de certains secteurs clé de l’industrie (par exemple
l’automobile) ont eu pour objectif d’éponger, aux
frais des contribuables ordinaires, les pertes des
actionnaires ; ils ont ainsi massivement endetté les
Etats. Ceux-ci s’apprêtent dès lors à
économiser de manière inouïe sur le dos des
salarié·es, des chômeur·euses, des
retraité·es.

    Ainsi, les gouvernements prévoient de
réduire brutalement la part des déficits publics par
rapport au PIB : pour l’Irlande, de 14,3 % à
2,9 % d’ici 2014 ; pour l’Espagne, de
11,2 % à 3 %, et pour le Portugal de, 9,3 %
à 2,8 % d’ici 2013. Si certains avaient
été d’abord assez naïfs pour croire que ces
cures d’austérité ne concerneraient que les pays
européens
« périphériques », la suite a
prouvé qu’il s’agissait bien là d’un
projet global de la bourgeoisie contre les conditions de vie des
populations de toute l’Europe. Ainsi, ce même
déficit devrait passer, pour la France, de 8 % à
3 % d’ici 2013, et pour l’Angleterre, de 11 %
2,1 % d’ici 2014. Comment ? En réduisant
fortement l’offre des services publics (éducation,
santé) et en coupant dans les salaires et les retraites. En
Roumanie, par exemple, depuis le 1er juin 2010, les salaires du secteur
public ont baissé de 25 % et les retraites de
15 %, dans un pays où le salaire minimum est
d’environ 150 euros par mois.

    Non seulement ces coupes sombres vont se traduire
par une baisse des salaires directs et indirects de l’ensemble du
monde du travail (y compris des revenus transférés par
les impôts), mais elles vont aussi conduire à une
prolongation de la crise. Qu’une nouvelle récession se
déclare à cours terme ou qu’une période de
stagnation s’installe durablement, elles se traduiront par une
nouvelle explosion des inégalités : baisse des
revenu, hausse du chômage, aggravation de la pauvreté.
Même certains économistes bourgeois craignent une purge
trop violente : ainsi, le 2 août dernier, le prix Nobel
d’Economie Joseph Stiglitz signait dans Les Echos une tribune
intitulée :
« L’austérité est une menace pour la
reprise économique ». Cependant, une
véritable relance nécessiterait des investissements
massifs dans les infrastructures sociales et écologiques, dont
les rendements à long terme n’intéressent pas les
principaux détenteurs de capitaux.

    Pour qu’une autre politique soit possible qui
ne fasse pas payer la crise aux salarié·e·s, mais
aux capitalistes qui en sont responsables, la seule solution
c’est une mobilisation unitaire et massive du monde du travail,
qui fasse réellement trembler la bourgeoisie pour ses
privilèges. C’est précisément dans ce combat
que se sont lancés ces derniers mois des secteurs non
négligeables du salariat eu Europe, notamment en Grèce,
où plusieurs journées de grève
générale ont paralysé le pays. Ou encore en
France, où près de 3 millions de
salarié·e·s sont descendus dans la rue et ont,
pour beaucoup d’entre eux, fait grève à trois
reprises, depuis juin dernier. C’est aussi le chemin qu’ont
pris les salarié·e·s de l’Etat espagnol, ce
29 septembre, jour de grève générale
appelée par les syndicats.

    De manière générale, la
situation politique et sociale se tend dans toute l’Europe. En
Allemagne, 100 000 manifestant·e·s ont
défilé à Berlin contre la politique de relance
d’Angela Merkel qui mise massivement sur l’énergie
nucléaire, mettant à nouveau le doigt sur
l’importance des revendications écologiques dans la
construction de mobilisations de masse pour la justice sociale. En
Grande-Bretagne, si les directions syndicales refusent pour le moment
tout affrontement général avec les
néo-thatchériens récemment élus qui ont
décidé le plan d’austérité
économique le plus drastique d’Europe, des mobilisations
sectorielles ont été organisées par la base,
à la Poste ou chez les employé·e·s du
métro londonien. Dans les pays de l’Est aussi, des
manifestations de masse sont à l’ordre du jour contre des
politiques d’austérité particulièrement
brutales : 40 000 manifestant·e·s à
Prague, le 21 septembre, par exemple ; en Roumanie, le ministre
de l’intérieur vient de démissionner après
une manifestation de 5000 policiers qui protestent contre une baisse de
25 % de leurs salaires !

    Qui aurait cru il y a encore trois ans que des
mobilisations sociales d’une telle ampleur verraient le jour un
peu partout en Europe ? Et pourtant, l’absence de
coordination entre ces luttes et le fait qu’elles prennent le
plus souvent la forme de journée de protestation sans lendemain,
sans préparer un affrontement généralisé
dans la durée avec les gouvernements bourgeois ou
sociaux-libéraux, entravent la construction d’un rapport
de force suffisant pour mettre en difficulté l’offensive
actuelle et dessiner les contours d’une véritable
alternative économique, sociale et politique.

    Dès lors, les
« euromanifestations » de ce 29 septembre,
convoquées par les syndicats européens, doivent
être envisagées comme un premier pas vers
l’unification des luttes en Europe et vers leur coordination sur
la durée. Les journées de protestation sans lendemain
risquent en effet de semer découragement et résignation
dans le monde du travail, favorisant alors l’adoption de plans
d’austérité sans précédent,
associés à des mesures sécuritaires et racistes
que proposent une extrême droite en embuscade dans toute
l’Europe, comme l’a rappelé il y a peu le
résultat des élections suédoises.

    En Suisse, où la droite
néoconservatrice (et l’extrême droite en son sein)
est l’une des plus fortes d’Europe, l’Union Syndicale
Suisse en est jusqu’ici restée à de rares
journées d’action sans suite. Pourtant, la manifestation
syndicale massive de septembre 2009, qui avait vu défiler plus
de 30 000 travailleurs·euses dans les rues de Berne,
aurait pu représenter un premier pas réussi vers une
réponse à la crise fondée sur la mobilisation des
travailleur-euses. La victoire de la droite sur la révision de
l’assurance chômage montre en effet que sur le terrain de
la com’, en l’absence de mobilisation de la base, les
bourgeois sont les plus forts. Cette défaite renvoie dès
lors à la nécessité de construire un
véritable rapport de force social qui passe bien sûr par
les urnes, mais surtout par l’organisation des salarié-e-s
sur les lieux de travail et dans la rue. 

Hadrien Buclin