Doris Leuthard au DETEC: les souhaits de bienvenue d’economiesuisse

Doris Leuthard au DETEC: les souhaits de bienvenue d’economiesuisse



A peine nommée à la
succession de Moritz Leuenberger, l’Argovienne a reçu une
liste de cadeaux pour Noël rédigée par
economiesuisse. Une organisation accusée par Christian Levrat
d’avoir été à l’origine de la nouvelle
répartition des sièges à l’exécutif
fédéral et donc de la marginalisation du PSS à la
tête de l’Etat.

Traité en partenaire mineur, sinon en quantité
négligeable, Christian Levrat avait donné à
economiesuisse le rôle de Machiavel de la réorganisation
du Conseil fédéral et traité au passage Doris
Leuthard de « marchande de commerce de l’industrie
nucléaire » (Le Matin Dimanche du 2.10.10).

    Le même jour, le président
d’economiesuisse, Gerold Bührer, félicité par
le « SonntagsBlick » en tant que vainqueur du
renouvellement du Conseil fédéral, repoussait comme une
exagération extravagante cette évocation d’un aussi
grand pouvoir. Le seul vœu qu’economiesuisse avait
réalisé, c’était le retour du
Département fédéral de l’énergie, des
transports et des communications dans le giron des partis bourgeois. Et
il en profitait pour demander deux nouvelles centrales
nucléaires jusqu’en 2020, la poursuite de la
libéralisation du marché postal, la construction
d’un tunnel routier au Gothard et un développement accru
du trafic automobile. Sans oublier une augmentation de la concurrence
dans l’audiovisuel. Une semaine plus tard, par hasard sans doute,
c’était au tour du président central du TCS,
Niklaus Lundsgaard-Hansen, de réclamer dans la
« SonntagsZeitung » un projet
« Route 2030 », avec, évidemment,
un deuxième tunnel sous le Gothard (24 Heures, 10.10.10). Alors
complot, conspiration ou travail de groupe de pression efficace ?

Lobby et rapport de forces

Dans un de ses ouvrages majeurs, Ernest Mandel avait
décortiqué la fonction des groupes de pression, les
lobbies, dans l’Etat bourgeois :
« Gouverner » au sens
« d’administrer » devient, de ce fait,
un métier à part, soumis aux lois de la division du
travail. C’est ainsi que les lobbies privés de la classe
capitaliste prennent une importance croissante. C’est souvent
d’eux que part l’initiative de la formulation de projets ou
de modifications de nouvelles lois. C’est chez eux que demeure
presque toujours le pouvoir de contrôle en dernière
instance sur la législation en cours. Les
« tractations » réellement importantes
pour la formulation des lois se passent beaucoup plus entre les lobbies
et l’administration qu’entre les partis
politiques. » (Le Troisième âge du
capitalisme, Ed. de la Passion, p. 388 ss.). Il explique ensuite
les différents mécanismes sociaux, idéologiques,
etc. qui rendent plus complexe la domination politique de la
bourgeoisie et empêchent que l’on puisse parler d’un
contrôle direct et mécanique de l’Etat par le
capital. Surtout, la formidable force d’intégration de
l’Etat bourgeois amène, par symbiose, « les
dirigeants des partis et des syndicats de masse des travailleurs,
à un comportement de plus en plus conforme au système,
quand ce n’est pas à une réconciliation ouverte
avec le capitalisme. » Christian Levrat, qui fut dirigeant
syndical avant de devenir président du PS, en est un bon
exemple, d’autant que l’intégration du PS à
l’appareil d’Etat fédéral est plus que
cinquantenaire. La traduction de cette intégration, c’est
la conception mystifiante de l’Etat comme arbitre, comme
représentant de l’intérêt
général, ou comme juge bienveillant des
« forces pluralistes ». Une illusion qui a
conduit l’Union syndicale suisse à s’autoproclamer
« lobby des travailleurs », pour faire
contrepoids au « lobby des entrepreneurs »,
comme si la question de la nature de l’Etat et du rapport de
forces entre les classes ne se posait plus.

Discuter de la couleur du ciel

De fait, il n’y a certainement pas eu besoin, pour les dirigeants
patronaux, d’exercer une forte pression. Le radical Bührer
et la démocrate-chrétienne Leuthard ont tous deux
présidé leur parti respectif, se connaissent bien et
« tapaient le carton » à
l’occasion. Pronucléaire, Leuthard vient juste de
démissionner de sa fonction de membre honoraire du Forum
nucléaire suisse.

    Pressé par les questions des journalistes de
la Wochenzeitung (WOZ) du 7.10.10, le directeur d’economiesuisse,
Pascal Gentinetta, leva un peu le voile. Démentant avoir
« explicitement » demandé que Doris
Leuthard devienne la cheffe du DETEC, il répond à la
question « et vous n’avez rien fait de
plus ? » par : « Lorsque
quelqu’un vous demande si vous préférez un ciel
bleu ou un ciel avec des nuages, vous avez le droit d’exprimer
votre opinion. » Il dira ensuite qu’economiesuisse
travaille sur des thèmes et non pas sur des personnes, tout en
reconnaissant que : « lorsque nous discutons de
questions de politique économique, il peut, justement, arriver
que l’on discute aussi de la couleur du ciel ». Une
couleur qui n’a pas fini de déplaire à Levrat, qui
pourra continuer à quêter un peu de bienveillance :
« Quand le PSS a été intégré
au Conseil fédéral en 1959, ce n’était pas
juste pour lui donner deux sièges, mais pour
l’intégrer au cœur des préoccupations
sociales et économiques. Il faut nous laisser une influence
forte (sic) dans ces domaines ».

Eric Peter (trad. DS)