Flexibilisation du temps de travail : un ras-le-bol de classe

Flexibilisation du temps de travail : un ras-le-bol de classe

Le 28 novembre prochain, les salarié·e·s du canton
de Genève ayant le droit de vote seront amenés à
se prononcer sur une nouvelle extension des heures d’ouverture
des commerces.

    En juillet dernier, syndicats, partis et
associations de gauche avaient en effet réussi sans
difficulté à rassembler près de 15 000
signatures contre la nouvelle loi sur les heures d’ouverture des
magasins, récoltées directement à
l’entrée des commerces. Une campagne que le personnel de
vente, grâce au soutien des syndicats, s’est non seulement
appropriée mais à laquelle il a participé
activement. Un tiers des signatures ont ainsi été
l’œuvre du travail militant des vendeuses et vendeurs
eux-mêmes.

    Sur les stands, n’en déplaise au
patronat du commerce de détail, très peu de
réactions de consommateurs·trices compulsifs et avides de
pouvoir faire leurs courses quand bon leur semble. Au contraire, la
solidarité entre salarié·e·s, entre
« petites gens » – ceux qui payent la
crise et qui seront toujours amenés à passer à la
caisse pour faire le beurre de leur patron, laissait souvent libre
cours à son expression, une tendance encore plus affirmée
parmi les femmes.

    Il est vrai que les attaques patronales contre le
monde du travail ne cessent de prendre de l’ampleur. Les
vendeuses et vendeurs ne sont malheureusement pas les seuls à
faire les frais des fameuses « nécessités
économiques », derrière lesquelles se
dissimule la volonté impitoyable de dégager toujours plus
de profits en flexibilisant les heures de travail. Au cours des dix
dernières années, le nombre de personnes devant
travailler régulièrement le soir a augmenté de
26 %. Il y a aujourd’hui 206 000
salarié·e·s qui doivent travailler la nuit
(+23 % par rapport à 2000), et 415 000 le dimanche
(+11 % par rapport à 2000). En 2008, les
salarié·e·s de ce pays ont dû effectuer 188
millions d’heures supplémentaires, soit
l’équivalent de 98 000 emplois à plein
temps !
    Alors que les principaux distributeurs, COOP et
Migros, ont annoncé l’année passée avoir
réalisé respectivement 430 et 840 millions de francs de
bénéfice, vouloir à présent augmenter la
durée de la journée de travail du personnel, qui plus est
sans réelles compensations, tient de plus en plus de
l’inadmissible aux yeux des salarié·e·s de
ce pays.

    Le rejet des projets de libéralisation des
heures d’ouverture des commerces s’est clairement
exprimé tout au long de ces quinze dernières
années, avec une vigueur croissante. Ainsi, lors des
différentes votations cantonales sur le sujet, la population a
voté dans 60 % des cas contre les ouvertures
prolongées entre 1996 et 2000. Entre 2001 et 2005, les
libéralisations ont été rejetées dans
66 % des cas, et 88 % des cas entre 2006 et 2010. Le 26
septembre dernier, la population du canton frontalier de Saint-Gall
refusait encore par 63.5 % des voix le passage de 19h00 à
20h00 de l’heure de fermeture des magasins.

    A Genève, il ne fait pas de doute que le vote
du 28 novembre se jouera dans les quartiers populaires, dans les
communes suburbaines. En effet, les deux dernières votations
cantonales sur le sujet, soit la loi actuelle votée le 22
septembre 2002 et la modification de la Loi sur le travail pour les
gares et aéroports du 27 novembre 2005, ont montré
qu’il est nécessaire de déployer une
re-politisation massive en direction de quartiers comme le Lignon ou
les Avanchets, où l’abstentionnisme est fort. Dans
l’optique d’une campagne qui resitue l’enjeu des
heures d’ouverture des commerces dans une perspective de classes
sociales en lutte, la géographie du Non doit être une
priorité, et la reconquête des quartiers populaires
l’enjeu central. Replaçant le débat sur le terrain
social et ses enjeux de classe, la lutte contre la flexibilisation du
temps de travail permet de dépasser les fausses questions de
nationalités et/ou de frontières. Suisses,
étranger·e·s et frontalier·e·s sont
unis par cette lutte qui contrebalance l’initiative et le
contre-projet sur les criminels étrangers, en faisant porter
l’accent sur l’insécurité sociale comme mal,
et la solidarité comme remède.

    Le résultat de la votation devra être
l’expression du niveau de ras-le-bol et de conscience de classe
des salarié·e·s. Le rejet de l’extension des
heures d’ouverture des commerces doit aussi ouvrir des
perspectives anticapitalistes en pointant du doigt la faillite du
modèle économique actuel et des solutions
proposées par la bourgeoisie pour sortir de la crise.

    A l’heure où les impératifs
écologiques se mesurent en termes de survie à moyen-long
terme de l’humanité, proposer au nom de la bonne
santé économique des magasins genevois des
dépenses énergétiques superflues relève non
pas de l’irresponsabilité sociale de la bourgeoisie mais
d’une violence de classe à laquelle il appartient aux
salarié·e·s et à la population dans son
ensemble de donner la réponse qu’elle mérite.

Joël Varone*

* Pour un listing détaillé des enjeux et arguments de
cette campagne, voir la brochure des syndicats SIT et Unia sur
www.geneve.unia.ch