Accueil continu: jouet politique à double tranchant







Acceuil continu: jouet
politique à double tranchant

C’est au tour
de Genève de voter sur un « accueil à
journée continue » des
élèves de la scolarité obligatoire
(4-15 ans). Mais l’offre extrascolaire est
déjà très étendue et de
qualité. Il est donc vraisemblable que le projet profitera
davantage à l’économie qu’aux
familles…

En 2005, Avenir Suisse a
publié son concept de «
l’école à journée continue
»1. Tout était dit ou
presque sur l’organisation scolaire que les milieux
économiques défendent afin de
préserver leurs intérêts. Le parti
Radical genevois a repris l’idée en 2007 en
lançant une initiative (IN 141), plutôt
opportuniste et maladroitement formulée. Le Parlement
l’a ainsi rejetée en 2009, au profit de
l’élaboration d’un contreprojet.
C’est sur ce dernier (loi 10639) –
l’initiative ayant été
retirée depuis – que les Genevois-e-s se
prononceront le 28 novembre 2010.

Un 0,8% à combler…

Offrir la possibilité d’accueillir des
élèves en dehors des heures scolaires dans des
structures de jour adaptées semble nécessaire de
nos jours. Le canton du bout du lac n’a pas attendu pour
répondre à ce besoin. A Genève,
l’offre parascolaire « couvre 99,2% de la
population concernée », selon le service de la
recherche en éducation (SRED)2 . Au
vu de cette réalité et en considérant
de surcroît que la qualité des
activités parascolaires est unanimement reconnue, quel
besoin y a-t-il de modifier la Constitution genevoise afin
d’entériner en quelque sorte cet état
de fait ? En effet, la question n’est pas vraiment de savoir
si l’on est pour ou contre l’accueil extrascolaire
mais plutôt de voir quelle incidence l’acceptation
de cette loi constitutionnelle pourrait avoir.

Un signal dangereux

S’opposer à cette loi, comme le fait
solidaritéS, n’est pas chose aisée. En
effet, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, le texte,
s’il est accepté, ne modifiera pas grand-chose
à court et moyens termes. L’article unique soumis
à votation, qui tient en 13 lignes, est suffisamment
général et consensuel pour ne pas soulever a
priori des objections majeures. Quant aux trois ou quatre petites
communes qui auraient négligé de mettre en place
des restaurants scolaires, elles ne vont pas se précipiter
pour construire les locaux adéquats ; rien ne les
empêchait de le faire par le passé et elles ne se
sentiront pas davantage contraintes demain. Cependant, il
n’est jamais anodin d’ancrer un nouvel article dans
la Constitution. Il faut donc discerner le message adressé.
Pour les partis politiques représentés au
Parlement, il est clair que le seul objectif est de pouvoir
à bon compte se congratuler et s’auto-congratuler
grâce au succès prévisible du projet.
Mais pour les patrons, cela risque d’être du pain
bénit. Si les familles n’ont censément
plus aucun problème de garde d’enfants, pourquoi
hésiter à flexibiliser toujours plus les horaires
de travail, à imposer des taux
d’activité supérieurs, à
maintenir des traitements inégaux entre les femmes et les
hommes, à jouer sur la pléthore de
l’offre, etc. ? « Fais garder tes enfants ou
tire-toi ! »

D’autres priorités

Genève, contrairement à bien des cantons en
Suisse, n’a pas besoin de cette loi pour maintenir ou
développer les activités extrascolaires. Cette
votation détourne l’attention de projets autrement
plus urgents en matière de politique familiale et sociale,
et risque de les retarder ou de faire perdurer leur enlisement. Les
partis de droite prétendent que les femmes pourront mieux
concilier emploi et famille, et faire le choix de travailler plus. Mais
lorsque l’on sait que
l’égalité salariale, pourtant
adoptée depuis 1996, n’est toujours pas
réalisée, cela revient à encourager
l’augmentation d’une
main-d’œuvre objectivement moins chère.
Par ailleurs, s’il est souhaitable que le modèle
de répartition des tâches au sein de la famille
évolue de manière positive et rompe avec le
scénario de la mère qui adapte sa vie
professionnelle en fonction des besoins familiaux, alors il convient
aussi, en vrac et en parallèle à
l’égalité salariale, de faire aboutir
un salaire minimum, un salaire parental, des allocations familiales
décentes, des congés parentaux d’une
année, etc. afin également d’encourager
le travail à temps partiel. S’il est vrai que
travailler à 100% est impératif pour beaucoup
(trop) de citoyens actuellement, afin de vivre tout juste
décemment, il est anormal de considérer cet
état de fait comme une fatalité !

Non à la semaine de 55 heures…

Et l’intérêt des
élèves dans tout ça ? Mieux vaut
certes proposer des activités intéressantes
à l’enfant plutôt que de le savoir
avachi et passif devant la télévision. Mais entre
le tragique, la forme de maltraitance que peut constituer le fait de
placer un enfant de 4 ans hors du cadre familial onze heures durant
(7h30-18h30, 5 jours par semaine ?!?) et le cocasse, la surveillance
à 7h30 des préaux du cycle
d’orientation pour des ados qui brilleront par leur absence,
les besoins fondamentaux de l’élève
semblent ignorés. Les jeunes dorment de moins en moins,
vivent dans l’excitation permanente, et tout ce
qu’on prévoit pour eux, c’est
qu’ils s’adaptent à un univers
professionnel, régit par l’économie, et
qui ne les concerne pas (encore). Quand auront-ils encore du temps
libre, hors surveillance des adultes ? Métro, boulot, dodo
pour les parents et école, études, dodo pour les
enfants ; chacun dans son monde… Et après ce
seront les mêmes partis, ceux qui soutiennent la loi sur
« l’accueil à journée
continue », qui déploreront la perte des valeurs
liées à la famille et dénonceront la
démission des parents.

Un choix de société

Il ne faut pas omettre non plus que les activités
extrascolaires seront payantes. Certains parents pourront offrir les
cours de leur choix à leurs enfants, d’autres pas.
Certaines communes auront des largesses, d’autres pas, etc. ;
autant d’éléments qui contribuent
à accroître une société
à deux vitesses. Enfin, il faut aussi considérer
l’appel qui sera fait aux organismes privés pour
compléter l’offre, notamment le mercredi ; le
marché qui se développera autour de
l’école représente un coin pour
affaiblir la dernière institution publique digne de ce nom.
La marchandisation du savoir prend de l’ampleur et, dans la
grande confusion qui règne notamment au sujet de
l’horaire de l’écolier et de
l’harmonisation scolaire suisse (HarmoS), cette intrusion
toujours plus agressive du secteur privé ne devrait pas
être cautionnée, au risque de rendre les
frontières avec l’école publique plus
floues.

Olivier Baud


1
Avenir Suisse 2005, 163 pages, ISBN 3-033-00500-7 ;
http://www.avenir-suisse.ch/content/themen/fruehere-themen/bildung-innovation/ecole-a-journee/mainColumnParagraphs/0/document2/ecole_journee_continue.pdf
 

2 Cité dans le rapport de la commission de
l’enseignement, de l’éducation et de la
culture, p. 12 ;
http://www.ge.ch/grandconseil/data/texte/PL10639.pdf