Une journée pour les filles... et les garçons, alors?

Une journée pour les filles… et les garçons, alors?


La remarque en titre a été maintes fois exprimée, tant par les jeunes élèves masculins que par les maîtres et surtout les journalistes, à l’occasion de la «journée des filles» du 14 novembre promue par la Conférence suisse des déléguées à l’égalité. Ce jour-là, dans toute la Suisse, les filles de 10 à 16 ans étaient invitées à découvrir le milieu professionnel de leur père, de leur mère ou d’un autre membre de leur famille.


Même si cette journée a été dans l’ensemble favorablement accueillie et très fréquentée (12 000 jeunes filles au moins y ont participé) elle a aussi provoqué des remous. Elle interpelle en effet sur deux sujets:



  • Pourquoi les Bureaux de l’égalité organisent-ils cette journée?

  • Pourquoi existe-t-il une telle coupure entre monde scolaire et réalités du monde du travail?


Dans le cadre de la promotion de l’apprentissage voulue par la Confédération, la Conférence suisse des déléguées à l’égalité a mis sur pied une série de projets, rassemblés sous le label «16 +» pour améliorer le choix et la situation des jeunes femmes sur le marché des places d’apprentissage. L’idée d’organiser cette journée annuelle est venue d’une pratique expérimentée aux USA. Elle a pour but de sensibiliser les jeunes filles, qui n’investissent pas encore assez leur future vie professionnelle, au monde du travail.


Egalité ou féminisme?


Décidément, la notion de «mesure positive» (en l’occurrence une journée pour les filles) ne passe pas… Si les filles ont été ravies de cette sortie hors du milieu scolaire, elles se sont attirées les réactions de jalousie de leurs frères et camarades de classe. Je n’ai entendu dans mon école que des commentaires indignés par cette «injustice». Personne ne semble avoir compris la raison d’une mesure réservée au sexe féminin. Plus généralement, on peut dire que la notion d’égalité pose problème.


L’opinion publique entend par «égalité» une équité stricte entre femmes et hommes et ne veut pas prendre conscience des inégalités accumulées et des «retards» à combler pour accéder à l’égalité. Cette conception dite du «rattrapage» qui sous-tend les politiques des Bureaux de l’égalité, gêne aussi certaines féministes. Car elle donne une vision «misérabiliste» de la situation des femmes et «ne laisse aucune place à une réflexion sur les processus de construction des inégalités de sexe; elle nous oblige à penser l’égalité dans une logique d’aménagement de la domination (de genre, de classe, de nation, etc.) plutôt que de la transformation profonde de ces systèmes» (1). On peut donc se réjouir de l’annonce d’un prochain numéro de la revue «Nouvelles Questions féministes « qui veut ouvrir ce débat sur les différends entre féminisme et logique égalitaire. En tout cas, nous constatons que la simple organisation d’une mesure en faveur des femmes demande un état d’esprit et des énergies féministes militantes.


Image négative du travail chez les jeunes


Les déléguées à l’égalité ayant annoncé une journée des garçons et des filles pour 2004, on peut se demander en quoi est-ce leur rôle de sensibiliser tous les jeunes au monde du travail… Les offices d’orientation professionnelle organisent déjà des stages… Mais c’est le devoir de l’ensemble de la société de guider les jeunes vers le monde des adultes et d’assurer la relève. Or les jeunes par la force des choses ont une image négative du monde du travail: parmi les adolescent-e-s de l’école où je travaille, beaucoup ont un parent au chômage, suite à un licenciement, ou invalide suite à un accident du travail…Elles et ils entendent les plaintes de leurs parents concernant les salaires, les mauvaises relations entre collègues, le mépris de la hiérarchie. Leurs frères et sœurs aînés, même pourvu-e-s de diplômes, connaissent de grandes difficultés d’insertion ( stages non payés, contrats de durée déterminée, statuts d’intérimaires, remplacements, etc). Lors de séances d’information sur les métiers, les jeunes entendent des discours qui peuvent aussi les décourager: les places d’apprentissages sont rares, les exigences scolaires sont très élevées partout, surtout dans les métiers convoités.


Enfin les préjugés sexistes sont toujours à l’œuvre: une représentation traditionnelle des orientations perdure dans les stéréotypes, dans les inconscients et dans la réalité. On pourrait même dire que les clivages s’intensifient puisqu’on voit si peu de femmes se former dans les professions des nouvelles technologies. Par exemple, la proportion d’informaticiennes ne dépasse pas le 10%, alors qu’il ne s’agit ni d’un métier de force, ni d’extérieur, stéréotypes classiques pour décourager les femmes de se diriger vers la mécanique ou le bâtiment.


Une enquête récente à Genève a recensé sur 10 ans les pionniers et pionnières (personnes formées dans une profession où elles sont minoritaires à moins de 12%) et on peut constater que les changements vers la mixité professionnelle sont extrêmement lents. Si les hommes pionniers ont à affronter l’homophobie ambiante, les pionnières, elles, sont confrontées à des traditions sexistes extrêmement dures et dévalorisantes. Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant que les jeunes filles ne se précipitent pas vers le monde professionnel et se raccrochent aux valeurs féminines traditionnelles, tant prônées dans les médias et la publicité. Confortées par toutes ces images radieuses, elles peuvent s’imaginer aller vers le bonheur en développant leur fameuse «féminité», leur «sex-appeal» et leur «dévouement», plutôt que leurs capacités intellectuelles.



Maryelle BUDRY



  1. Tiré de l’appel à contribution pour le prochain numéro de Nouvelles questions féministes (www.unil.ch/liege/nqf)