« Raiponce », poncifs racistes et sexistes

« Raiponce », poncifs racistes et sexistes

Avec le nouveau dessin animé
« Raiponce », sorti le
1er décembre en Suisse romande, la Walt Disney
Company – 36 milliards de chiffre d’affaire,
150 000 employé·e·s – promet
d’enchanter jeunes et moins jeunes à la veille de
Noël. Natalie Wilson, professeure de littérature à
l’Université d’Etat de Californie, en livre une
analyse plus nuancée. (réd.)

La bonne nouvelle, c’est que Raiponce est drôle, haletant
et visuellement stupéfiant. La mauvaise, c’est qu’il
déterre la même vieille histoire : l’image de
la femme, c’est celle de la princesse attendant son prince
charmant ou de la belle-mère acariâtre ; quant à
l’homme, il prend en charge l’action, dans tous les sens du
terme. Et la beauté dans Raiponce, c’est bien sûr
d’être blanc, blond, jeune et mince.

    Puisque Disney a présenté Raiponce
comme le tout dernier film à princesse que la compagnie
produira, on peut l’envisager comme une œuvre de
transition, comme une indication sur le futur de sa production. Que
Disney bazarde enfin ses princesses pourrait apparaître comme une
bonne nouvelle. Enfin, on ne parlera plus de demoiselles en danger,
sauvées à la fin du film parce qu’un homme
débarque. Hélas, le but recherché par Disney
n’est pas de tirer un trait sur le motif de la princesse à
secourir. Bien plutôt, le seul critère pris en compte est
celui de l’audience. Il s’agit d’attirer les
garçons et les hommes, pas juste les filles et les femmes.
Moins de rose

Dans cette optique, Disney a mis sur pied une nouvelle équipe de
direction en 2008 dont une des missions était de
« dégager la couleur rose des films ».
Résultat : « Raiponce » est un
dessin animé dont le titre n’évoque pas vraiment le
nom d’une héroïne, avec plus d’action et une
brochette de gros bras (contre seulement deux principaux personnages
féminins : Raiponce et la diabolique Mère Ghotel
qui a capturé Raiponce quand celle-ci était petite).
Voilà un avant-goût de ce que sera l’ère
post-princesse chez Disney.

    Tandis que beaucoup prétendent qu’il
s’agit d’un rééquilibrage visant à une
neutralité de genre, cela me semble plutôt être un
tournant masculiniste. La domination masculine apparaît
dès le premier plan du film, un zoom sur le héros Fynn,
qui annonce l’« histoire drôle »
à venir, à savoir le kidnapping et l’emprisonnement
de Raiponce. « Cette histoire n’est pas la
mienne », ajoute-t-il, alors qu’il y sera bien
davantage question de lui que d’elle. Comme le note le
producteur, « on s’est beaucoup amusés
à mettre en scène Fynn, un aventurier qui a
déjà tout vu du monde, rencontrant Raiponce,
prisonnière dans une tour depuis 18 ans. »
Décidément, la neutralité de genre et
l’égalité sont en marche !

Mieux que Blanche Neige

Raiponce ressemble à une pauvre enfant abandonnée, avec
de grands yeux et une taille de guêpe. Elle fredonne à
longueur de journée un refrain : « Je me
demande quand ma vie va commencer… » Elle incarne le
stéréotype de la fille hyperémotive, se dandinant
de ça de là, avec ses longues boucles d’or. Pour
elle, le happy end sera de retrouver ses vrais parents et
d’épouser Flynn (c’est bien sûr lui qui la
demande en mariage, pas l’inverse). Certes, Raiponce fait preuve
une ou deux fois de courage. Elle est une Blanche Neige
améliorée, puisque Blanche Neige ne savait que chanter
pour des animaux et faire joyeusement le ménage après le
passage des Sept Nains. Mais il n’y a là que
condescendance : elle est une blonde aux cheveux longs avec un
soupçon de volontarisme pour correspondre au public du 21e
siècle. Et d’ailleurs, qu’est-ce qui a pris les
réalisateurs quand ils ont décidé que Flynn
appellerait d’emblée Raiponce
« blondie » ?

Blonde et blanche

Comme le souligne la féministe noire Renee Martin sur son blog,
« à force de représenter des princesses aux
longs cheveux blonds comme modèle de la féminité,
cela en exclut les femmes de couleur. Le fait que Raiponce sorte juste
après le premier Disney à représenter une
princesse afro-américaine (la princesse Tiana dans La Princesse
et la grenouille sorti en 2010, réd.) est un véritable
rappel à l’ordre sur ce que doit vraiment signifier la
féminité. » De plus, la méchante mère
Gothel a la peau, les cheveux et les yeux noirs et des traits
non-européens. Comme le souligne naïvement un
célèbre critique : « Mère Gothel est
un personnage noir, vraiment noir. Je veux dire, c’est une
voleuse de bébé. »

    Outre que le film renoue avec une
représentation problématique de la
« race », il s’inscrit dans la
tradition d’une prétendue obsession des femmes pour la
beauté, qui hante la mère Gothel, à l’image
de la reine maléfique qui dans Blanche Neige adore son
« beau miroir », ce que Flynn juge
« diabolique ». Gothel est de plus
présentée sous les traits d’une femme seule et
tyrannique.

    En résumé, il s’agit d’un
film dominé par des hommes et qui se focalise sur les cheveux
blonds, aux vertus magiques, d’une princesse blanche qui doit
être sauvée d’une sorcière noire et
malfaisante. Oui, c’est drôle, avec des dialogues vifs et
de bonnes chansons. Oui, c’est un régal pour les yeux.
Oui, j’apprécie que Raiponce ait plus de verve et de cran
que ses prédécesseures. Mais, malgré son
engagement d’arrêter de produire des dessins animés
de princesse pour créer des œuvres supposées
attirer un public plus large, Disney n’a pas rompu ses liens avec
une vision du monde blanche et patriarcale. Loin s’en faut.


Natalie Wilson
Texte publié en anglais sur le site www.alternet.org ;traduction et adaptation de notre rédaction.