Mobilité : point de rupture atteint

Mobilité : point de rupture atteint

(1/2) À l’heure où
la majorité du Grand Conseil genevois défend une hausse
des tarifs de transports publics (avec l’appui de la
Conseillère d’Etat « verte » en
charge du dossier !) et refuse obstinément toute
concession significative à la mobilité douce (pistes
cyclables, rues piétonnes), nous publions un premier texte en
forme de constat sur la mobilité genevoise, auquel
succédera un second article qui évoquera des pistes de
solutions concrètes.

La situation genevoise en matière de transports est devenue
critique. Même en faisant abstraction des innombrables chantiers
qui parsèment le canton (la plupart liés au futur TCOB
Tram Cornavin-Onex-Bernex), les usager·e·s de la voie
publique sont, aux heures de pointe, le plus souvent entravés
dans leurs déplacements par l’excès de trafic
automobile… quel que soit d’ailleurs leur mode de
transport. La faute à des erreurs historiques et à une
politique de la mobilité manquant cruellement de courage.

    Genève hérite d’une situation
assez symptomatique des erreurs commises dans de nombreuses villes au
20e siècle. Le développement du tout-automobile a ici
poussé au démantèlement de l’un des
réseaux de tramways les plus denses de toute l’Europe.
Ainsi, en 1924, on comptait 170 km de lignes de trams desservant
Versoix, Hermance, Chancy ou Saint-Julien. Pour des questions de
rentabilité et de compatibilité avec un trafic automobile
toujours plus dense, la CGTE (Compagnie Genevoise des Tramways
Electriques) délaissera progressivement les trams au profit des
bus et trolleybus. Si bien qu’en 1969, il ne restera plus
qu’une seule ligne de tram (12), et une fréquentation en
berne. La « renaissance » des transports
publics ne pourra avoir lieu qu’à partir de la
création d’une régie publique en 1977 : les
TPG (Transports Publics Genevois) devenue depuis autonome, puis avec la
(très lente) reconstruction du réseau de tramway,
dès le milieu des années 1990.

Le déclin d’un modèle absurde

La philosophie des transports qui a présidé à ce
démantèlement peut se résumer ainsi :
chacun·e doit posséder une voiture et disposer
d’une entière liberté de l’utiliser partout
et à tout moment, quel que soit son usage, fût-ce avec le
conducteur·trice tout seul à bord (le taux
d’occupation moyen aux heures de pointe est de 1,2
personne/voiture !). S’il est évident que la
bagnole peut s’avérer utile en certaines circonstances, ce
modèle du tout-voiture aberrant nous a mené dans des
impasses à nombreux points de vue : engorgement urbain,
écologie mais aussi social. Car l’automobile, avec son
occupation démente de l’espace public, exclut de fait tous
ceux·celles qui sont trop jeunes, trop vieux ou trop pauvres
pour conduire (sans parler des nombreux qui y renoncent par choix).

    Au sein de la population, ce paradigme a
heureusement fait son temps : la mobilité douce (marche
et vélo) est en nette croissance et la fréquentation des
transports publics augmente fortement, avec même une importante
surcharge sur plusieurs axes. Mieux encore, grâce au
développement de l’auto-partage, la possession d’un
véhicule individuel est même devenue subsidiaire pour de
nombreux citadins : ce sont donc désormais près de
40% des ménages en Ville de Genève qui vivent sans
voiture. Une tendance favorable, même si Bâle ou Zurich
comptent déjà plus de 50 % de
« démotorisés ».

La politique du non-choix

Malgré ces signes encourageants, le réseau entier est
toujours surchargé… et les experts promettent encore une
augmentation de 40 % de la mobilité dans le canton
d’ici à 2025 ! Nous avons donc deux
options : soit la voiture individuelle doit absorber
l’augmentation prévue de la mobilité, auquel cas il
faudra lui céder encore plus d’espace :
rétrécissement des trottoirs, suppression de sites
propres pour les TPG, nouvelles autoroutes urbaines, etc. Soit, au
contraire, nous pensons que cette option n’est ni possible ni
souhaitable et nous devons réorganiser radicalement
l’espace public pour favoriser les alternatives à la
voiture.

L’un des obstacles majeurs à la mise en œuvre de
cette – pourtant évidente ! – deuxième
option est le principe inscrit dans la constitution suite à une
votation populaire en 2002 : le prétendu
« libre choix du mode de transport », sans
cesse brandi par la droite et les milieux automobiles. Or, cet article
est un caprice absurde en ce qui concerne l’automobile :
si tout le monde fait usage de sa liberté de prendre sa voiture
au même moment, la liberté de tous génère un
embouteillage qui annule la liberté de chacun, car plus personne
n’avance. L’habitacle d’acier, lieu de liberté
fantasmée, se transforme alors en prison. Et cette situation se
produit presque quotidiennement.

    Pourtant, aussi aberrant soit-il, ce principe
constitutionnel est systématiquement interprété
par la droite (ou même la Direction Générale de la
Mobilité) comme un obstacle définitif à toute
mesure qui permettrait une meilleure fluidité des TPG, par
exemple. Le résultat est une politique du non-choix
catastrophique : les automobilistes, bloqués par leurs
semblables ne sont même pas incités à se reporter
sur les alternatives car les TPG sont ralentis par le trafic pendant
que les vélos sont en danger sur la plupart des routes
surchargées.

    L’intérêt général
exige donc de porter une action cohérente sur plusieurs
axes : améliorer l’attractivité des
transports publics, sécuriser la mobilité douce, diminuer
le stationnement au centre et enfin, viser un aménagement du
territoire qui permette une diminution des distances parcourues. Autant
de solutions qui feront l’objet d’un prochain article.

Thibault Schneeberger