Qui a peur du harcèlement sexuel ?
Qui a peur du harcèlement sexuel ?
Véronique Ducret, psychologue
sociale, spécialiste reconnue en matière de
harcèlement sexuel et de mobbing , vient de publier une
très intéressante étude « Qui a peur
du harcèlement sexuel ? Des femmes
témoignent », (Genève, 2010), regroupant dix
témoignages de femmes harcelées sexuellement. Dans sa
préface, Patrizia Romito, de lUniversité de
Trieste, soulève à juste titre que la question des
violences masculines faites aux femmes est toujours
dactualité. Seul lengagement collectif, auquel
participe ce livre, peut nous permettre despérer de le
contrer.
Depuis vingt ans, Véronique Ducret travaille sur le
harcèlement sexuel et intervient préventivement en
entreprise. En 1990, mandatée par le Bureau de
légalité, elle réalise, en Suisse, la
première recherche sur le sujet. Grâce à elle, le
grand public peut prendre connaissance de lampleur du
phénomène dans les entreprises genevoises. En 2001, elle
publie un guide Pour une entreprise sans harcèlement sexuel aux
éditions Georg et réalise un film Agir pour
prévenir, primé en 2008. Malgré les efforts de
prévention et certaines avancées, comme
lentrée en vigueur de la loi sur
légalité qui définit le harcèlement
sexuel comme une discrimination et oblige les entreprises à
prendre des mesures pour le prévenir et le traiter, elle
constate que les femmes nosent toujours pas en parler et que les
entreprises minimisent le phénomène. Cest pour
repérer les obstacles rencontrés par les victimes
quelle recueille des récits en profondeur, rares et
difficiles à obtenir. Le but du livre est doffrir aux
victimes potentielles la possibilité de se reconnaître
dans lun ou lautre des portraits dressés, de
trouver la force de réagir et de ne pas se laisser faire. Comme
le dit si bien Patrizia Romito : « Les
témoignages des femmes interrogées par Véronique
Ducret consistent en des narrations, pleines de souffrance, de
détails, et parfois de répétitions : comme
si ces femmes narrivaient pas vraiment à croire ce qui
leur était arrivé, et éprouvaient le besoin de
dire, de redire, de dérouler encore et encore leur histoire pour
quelle devienne crédible, vraie. Lire ces
témoignages, cest comme voir un film. ».
Un mur dincompréhension
Véronique Ducret donne quelques conseils précis pour
tenter déviter aux femmes de se laisser prendre au
piège des avances anodines, des cadeaux, des confidences, des
flatteries, des privilèges, de lisolement et des
plaisanteries sexistes, signes précurseurs du
harcèlement. Si malgré la vigilance, le
harcèlement sinstaure, la seule manière de
résister consiste à le combattre
concrètement : tenir un cahier de bord, chercher des
allié·e·s, adresser une plainte auprès de
la hiérarchie ou du tribunal, et surtout chercher de
laide auprès dinstances comme les offices
cantonaux des inspections du travail, les bureaux de
légalité entre femmes et hommes, les centres de
consultation daides aux victimes dinfractions
LAVI.
Les femmes témoignent auprès de
Véronique Ducret du manque de compréhension de leur
entourage, du peu de solidarité de leurs collègues,
dune grande solitude ; mais elles soulignent aussi
lincompétence de la hiérarchie, et une loi peu ou
pas appliquée. Seule lune des dix femmes harcelées
qui témoignent a pu, grâce à son combat
acharné, améliorer le climat. Les neuf autres
nont pas réussi à faire cesser le comportement du
chef ou du collègue. Elles ont dû quitter leur
travail volontairement, quand elles nont pas été
licenciées, suite à leur protestation.
Le mur dincompréhension auquel les
femmes sont confrontées est révélateur. Quand le
harcèlement sexuel est dénoncé, ce sont les
rapports de pouvoir qui sont remis en cause, ainsi que les rapports de
domination des hommes envers les femmes. Il est temps de briser le mur
et de renverser les rapports de pouvoir dun système qui
autorise et valorise ce mode de gestion des rapports humains.
Maryelle Budry
Le Deuxième Observatoire, structure de recherche et de formation
sur les rapports sociaux de sexe, où travaille Véronique
Ducret, a mis en place un site internet remarquable
www.non-c-non.ch à lintention des personnes
harcelées sexuellement au travail et de celles qui veulent
ou doivent les aider. Toutes les questions et les réponses
possibles y sont répertoriées.
Quelques extraits dun témoignage :
Lara, employée de commerce, premier poste de travail après son apprentissage, p. 131, 138 et 139 :
Mon chef était
très content de moi. Cétait un
séducteur, un homme bien, gentil
Il me faisait des
compliments : « Vous êtes en beauté
aujourdhui »
Jétais contente
et cela devait se voir. Il mavait écrit un mail :
« Vous êtes le rayon de soleil du
service ». Ces mots gentils me faisaient plaisir. Par
contre, il mappelait toujours « charmante
Lara » et ça je naimais pas,
jétais gênée, mais je nosais rien
dire, parce que cétait le chef. (
)
Je suis tombée
malade, jai eu une mononucléose est-ce parce
que jétais fragile ? Parce que je nen
pouvais plus de me réveiller avec lidée de revoir
mon chef.
je ne savais jamais à quel moment il
allait arriver et donc à quel moment jallais subir ses
attouchements, ses remarques
Je me suis rendue aux
ressources humaines et jai raconté en détail tout
ce que javais subi à la cheffe du personnel
elle
était très choquée et a dit quil fallait
faire quelque chose
Elle devait être totalement
impuissante, car elle ma rappelée deux ou trois semaines
après pour me dire quelle avait étudié la
procédure. Et moi pendant ce temps, quest-ce que je
pouvais faire ? Le pire est quelle a juste regardé
dans la banque de données, à laquelle tout le personnel a
accès, et a trouvé une rubrique intitulée
Harcèlement, que faire ? Il a fallu deux semaines pour me
rapporter une information que je connaissais déjà
MBu