Affaire Skander Vogt: la mascarade !

Affaire Skander Vogt: la mascarade !

Le juge d’instruction vaudois, Daniel
Stoll, a rendu le 30 décembre 2010 une ordonnance de
non-lieu dans le cadre de la procédure pénale ouverte
suite au décès de Skander Vogt, mort dans sa cellule de
Bochuz, le 11 mars 2010.

Le magistrat a décidé de renoncer à toute
poursuite pénale à l’encontre des gardiens, des
gendarmes, de la directrice ou d’autres responsables du service
pénitentiaire. Une ordonnance notifiée dans la
période de fêtes, afin de passer le plus rapidement
possible à la trappe dans l’opinion publique, et de
compliquer encore davantage la tâche de l’avocat de la
partie civile ne disposant que d’un délai de 10 jours pour
déposer un recours au Tribunal d’accusation. Une
ordonnance notifiée juste avant l’entrée en vigueur
des dispositions du nouveau code de procédure pénale
fédéral, le 1 janvier 2011 (!), qui aurait donné
des moyens supplémentaires à la partie civile dans le
cadre de l’instruction. Une ordonnance visant avant tout à
mettre un point final à cette affaire: circulez, il n’y a
rien à voir, Skander Vogt est mort, et alors ?

L’instruction pénale, véritable machine à blanchir

« La cause principale du décès de Skander
Vogt est à mettre sur le compte de Skander Vogt lui-même,
qui a mis le feu au matelas de sa cellule, non sans avoir menacé
à plusieurs reprises les gardiens », relève
le juge. Incarcéré depuis 1999, Skander Vogt était
considéré comme un détenu
« problématique ». Il avait fait
l’objet d’une décision d’internement à
durée indéterminée, alors même qu’il
n’avait commis que des délits mineurs, sanctionnés
par une peine de 20 mois d’emprisonnement. L’ordonnance
souligne qu’il avait déjà incendié sa
cellule et agressé des gardiens avant la nuit dramatique du 11
mars.

    Cette nuit-là, vers 0 h 50, le
détenu appelle la centrale de la prison et dit très
calmement: « Au revoir et à dans un autre
monde ». Avant d’ajouter :
« Trop tard ça flambe. » Si les matons ont
tout de suite réagi en se rendant sur place et en
éteignant le feu avec une lance, ils ne l’ont pas sorti
immédiatement de sa cellule. Les gardiens craignaient que le
détenu feigne l’évanouissement pour leur sauter
dessus, lorsqu’ils lui porteraient secours, comme il
l’aurait déjà fait par le passé. Les propos
orduriers tenus dans les conversations téléphoniques
entre gardiens et gendarmes, relatés dans la presse, sont
minimisés dans l’ordonnance. « Il y a lieu de
relever que si certains propos tenus lors des conversations
téléphoniques entre l’opérateur [de la
centrale] et ses interlocuteurs gendarmes – qui
n’étaient pas sur place – ont pu être
considérés comme inadéquats et
déplacés, voire grossiers, ils sont sans rapport avec
l’attitude et les comportements des personnes sur place qui ont
prévalus durant cette nuit du 10 au 11 mars 2010. A aucun
moment, il n’a été question de laisser
volontairement mourir Skander Vogt », affirme le juge
d’instruction. Ce dernier reconnaît pourtant
l’existence de certaines négligences, mais elles ne
sauraient, selon lui, être la cause du décès.

Déni de justice

Dans un rapport rendu public au début juillet 2010
l’ancien juge fédéral Claude Rouillier avait mis le
doigt sur des erreurs du personnel pénitencier et
médical. « Les personnes qui se trouvaient sur
place la nuit du drame auraient dû intervenir plus
rapidement », affirmait-il. Lorsque Skander Vogt,
incarcéré dans le quartier de haute
sécurité, met le feu à sa cellule, peu avant
1 h, les gardiens maîtrisent le sinistre à travers
la grille. Ils pensent que l’affaire est réglée.
« Mais il est notoire que les incendies peuvent couver
sous la cendre. Ils auraient dû appeler les pompiers, comme le
stipule la directive sur les procédures d’urgence, affirme
Claude Rouiller. Par ailleurs, cette directive commande de
procéder sans attendre au sauvetage du détenu. »
Skander Vogt aurait donc dû être extrait de sa cellule.
Mais les agents, ainsi que leur hiérarchie, n’ont pas
bougé. Ou du moins ont attendu 90 minutes pour cela. Motif:
Skander Vogt est classé dans les détenus dangereux. Ils
pensaient que la troupe d’élite de la police vaudoise
était la seule autorisée à l’approcher et
à le transporter à l’hôpital. Ce qui est
peut-être une pratique, dit Claude Rouiller, mais n’est
écrit nulle part noir sur blanc.

    Le juge d’instruction, au lieu de renvoyer les
prévenus devant un Tribunal, afin que celui-ci établisse
leur responsabilité et une éventuelle culpabilité,
a tranché lui-même en évitant une instruction
publique et contradictoire. Il a choisi la chape de plomb de la loi du
silence contre l’exercice de la justice.

Jean-Michel Dolivo