Tunisie: une révolution sociale et démocratique

Tunisie: une révolution sociale et démocratique



La Tunisie est secouée, depuis
quatre semaines, par un soulèvement populaire d’une grande
ampleur contre une politique capitaliste néolibérale
menée durant des décennies et présentée par
les instances de l’impérialisme comme la
réalisation du « miracle Tunisien ».

Cette politique a eu pour conséquences la pauvreté,
l’injustice, la corruption, le pillage systématique des
richesses, la précarité et le chômage touchant
surtout les jeunes, qui ont perdu tout espoir. Leur soulèvement
a finalement renversé Ben Ali, qui durant 23 ans a maintenu un
régime despotique et tyrannique.

Soulèvement face  au désespoir

L’absence d’avenir et de perspectives d’une vie digne
ont conduit Mohamed Bouazizi, jeune marchand ambulant, à
s’immoler par le feu à Sidi Bouzid, le 17 décembre,
pour contester les diktats de l’administration municipale qui
l’empêchaient de vendre sa marchandise. Cet acte tragique a
été l’élément déclencheur du
soulèvement.

    Avec un taux de chômage massif (17 %
selon les sources officielles ; 33 % selon le RAID,
Rassemblement pour une alternative internationale de
développement), le mouvement de contestation des jeunes
diplômé·e·s (37 % d’entre eux
restent inactifs pendant au moins 3 ans) a été
relayé par toute la jeunesse et par une large part de la
population, dans les villes de l’intérieur au
début, puis dans toutes les grandes agglomérations.
L’intimidation, la répression, les arrestations, la
criminalisation ont été les premières
réponses du régime et de sa police. Celle-ci n’a
pas hésité à tirer sur la foule, causant la mort
de plus de 50 personnes, ce qui a provoqué l’embrasement
du mouvement et sa radicalisation.

Un mot d’ordre : le départ de Ben Ali

Si la situation sociale désastreuse a été le
premier déclencheur du mouvement, les manifestant.e.s, de plus
en plus déterminés, ont commencé à remettre
en cause radicalement le pouvoir du général
président. Revendications économiques et politiques se
sont mêlées avec un seul mot d’ordre : le
départ de Ben Ali et la revendication de poursuites à son
encontre. Ce mouvement de masse s’est surtout amplifié
grâce aux grèves des lycéen·ne·s et
des étudiant·e·s. Pensant pouvoir étouffer
ce soulèvement, le régime avait décidé de
fermer tous les établissements scolaires et universitaires.

    La tendance insurrectionnelle du mouvement a
poussé Ben Ali a adopté un langage menaçant et
démagogique à la fois. L’objectif était
d’écraser sans exception toutes les voix solidaires avec
le mouvement social : le 11 janvier, il faisait brutaliser un
rassemblement pacifique d’artistes en pleine rue de
Tunis ; il proposait aussi des demi-mesures incohérentes,
telles le limogeage du Ministre de l’intérieur, la
libération des prisonnier·e·s arrêtés
au cours du mouvement social, etc. Pourtant, des syndicalistes
étudiant.e.s de l’UGET et des journalistes qui ont couvert
la révolte du bassin minier de 2008 sont encore en prison
malgré les multiples promesses de les libérer.

    Les avocat·e·s et les associations
démocratiques, telles que l’Association des femmes
démocrates, l’union des écrivain.n.es libres, le
RAID, et l’association de lutte contre la torture, ont
exprimé dés le début leur soutien inconditionnel
à ce soulèvement. Les avocat·e·s, fer de
lance de l’opposition démocratique en Tunisie, ont
même organisé une grève suivie à plus de
90 %, qui a été durement réprimée,
ce qui les a conduit à appeler à une autre grève
le 14 janvier. Sous la pression de sa commission administrative, la
direction bureaucratique de la centrale syndicale, UGTT, a
été contrainte d’apporter un soutien au mouvement
en appelant à des grèves régionales,
évitant une grève générale au niveau
nationale.

Le triomphe de la révolution

Sous la pression de la rue, le général Ben Ali a
essayé vainement, le jeudi 13 janvier, d’appeler le peuple
tunisien à cesser le combat en lui témoignant sa
« compréhension », sa
« compassion », et en lui promettant des
« changements sensibles ». Il a même
annoncé la dissolution du gouvernement. Il a promis de baisser
le prix de quelques denrées alimentaires pour amadouer les
masses populaires. Mais la révolte avait acquis une conscience
politique aigue et visait la fin du régime de Ben Ali.

    Malgré les appels de quelques figures de
l’« opposition légale » à
considérer le discours du général comme
« une grande concession » et une
« opportunité » de
« réconciliation nationale », le
peuple est descendu massivement dans la rue, ce que le pays
n’avait pas vu depuis plus de 30 ans. Les
Tunisien·ne·s se sont rassemblés devant les locaux
du ministère de l’Intérieur pour exiger le
départ pur et simple du général. Ben Ali
n’avait plus qu’à prendre la fuite.

La contre révolution n’a pas désarmé

Ben Ali n’est plus au pouvoir mais son régime et ses
différentes institutions restent en place. Le parti-Etat RCD
n’a pas été dissout et sa politique
économique et sociale impopulaire a toujours les faveurs du
pouvoir qui veut priver la révolution de sa victoire. Sur le
plan politique, il propose un « gouvernement
d’unité nationale » avec des
représentants e.s de l’ancien régime et de quelques
figures de la dite opposition qui sont en train de prendre part
à cette mascarade.

    D’une autre part, des milices armées,
dont les membres de la garde présidentielle de Ben Ali sont en
train de semer la terreur dans le pays. Tuer, spolier et casser est la
seule réponse de cette organisation criminelle qui mène
la politique de la terre brulée. Pourtant, encore une fois, la
réponse vient d’en bas : des comités de
défense des acquis de la révolution sont mis en place,
d’abord dans un élan d’auto-défense, mais ils
peuvent rapidement devenir des comités de gestion de leurs
propres affaires.

    Dans l’immédiat, il faut dissoudre les
institutions du régime Ben Ali, refuser tout gouvernement avec
l’un de ses membres, élire une assemblée
constituante et rédiger une constitution qui garantisse une
démocratie sociale et politique.

Anis Mansouri