Burkina Faso: le pays des hommes révoltés
Burkina Faso: le pays des hommes révoltés
En novembre 2010, Blaise
Compaoré, au pouvoir depuis 1987, est réélu avec
80,2 % des suffrages, élection contestée par
lopposition. Personne ne sattendait à
lalternance tant souhaitée, lattention se
focalisant bien plus sur la volonté du régime de modifier
larticle 37 de la Constitution pour lui permettre de se
représenter en 2015
Mais à peine trois mois
après, une série de contestations montre que le malaise
social est si prégnant quun réel changement ne
peut attendre.
Réputé comme un pays stable, le Burkina Faso a pourtant
été lun des plus instables du continent depuis
lindépendance avec sept coups dEtat
jusquà lavènement de la
IVe République en 1991 et un rôle central des
militaires dans la direction du pays. Mais il se caractérise
aussi par une société civile dynamique qui a
résisté aux tentatives dinstaurer le parti unique
ou le monisme syndical. Depuis la prise de pouvoir de Compaoré
après le coup dEtat contre Thomas Sankara, les
mobilisations populaires contre limpunité, la corruption,
les politiques néolibérales, etc. ont été
nombreuses et exemplaires à limage de celle contre
limpunité après lassassinat de Norbert
Zongo, directeur de publication de LIndépendant, et de
ses compagnons le 13 décembre 1998. Pendant plus de deux ans, le
pays entre en effervescence (émeutes, grèves,
manifestations, etc.) En ce début dannée,
lhistoire se répète. Le 22 février, la mort
de Justin Zongo, collégien à Koudougou, suite à
des violences policières entraîne des manifestations,
dabord dans la province. Leur répression fait six morts
et près de cent blessés en trois jours. Cette violence et
le mensonge des autorités imputant sa mort à la
méningite entrainent une propagation du mouvement à tout
le pays sous forme émeutière. Les destructions de
symboles du pouvoir (sièges du parti présidentiel
le CDP , gouvernorats, commissariats, domiciles de responsables
politiques, etc.) atteignent une ampleur inédite. Les policiers
sont pourchassés
La contestation se
généralise contre la vie chère,
laccaparement des richesses, les textes liberticides, etc.
tandis que lidée du « Compaoré
dégage », empruntée aux
évènements du Nord du continent auxquels la contestation
sest référée dès son
démarrage, est de plus en plus
affirmée des partis dopposition la
reprennent par opportunisme, étant plus des suiveurs du
mouvement populaire que des meneurs.
Mutineries
Cest dans ce contexte qua lieu une série de
mutineries militaires à partir du 22 mars. Le pays en a connu
dans lhistoire postrévolutionnaire, mais jamais elles ne
sétaient étendues et répétées
de la sorte : trois en moins dun mois. La première
part de la désapprobation dune décision de justice
jugée trop sévère contre cinq militaires dans une
affaire de murs. Pillages, violences, tirs
Les
commerçants vandalisés se révoltent. Le pouvoir,
paniqué, libère les militaires. Les acteurs de la justice
se mettent en grève. A la fin du mois, cest à Fada
Ngourma que des mutins libèrent un des leurs
détenu ; à Ouagadougou, ils sortent à
nouveau. Le maire de la capitale et secrétaire
général du CDP est agressé, son domicile et celui
du chef détat -major général des
armées sont saccagés. Le président intervient
solennellement le 30 mars et engage une série de rencontres avec
les magistrats, les militaires, les commerçants, les
étudiants, etc. à lissue de laquelle il
déclare que « la crise est
terminée ». Ce que dément le 14 avril la
mutinerie qui éclate dabord au Régiment de la
sécurité présidentielle (RSP). La raison
officielle est la réclamation dindemnités de
logement et dalimentation non versées, bien quau
sein de larmée le RSP soit considéré comme
privilégié. Le mouvement sétend à
dautres casernes de la capitale : tirs à larme
lourde et légère, pillages, destructions… La
résidence du chef dEtat-major de la présidence,
par ailleurs homme des opérations spéciales,
fidèle de la première heure, le général
Gilbert Diendéré, est incendiée. Plusieurs
responsables politiques quittent leur domicile habituel et envoient
leur famille à labri, les biens dacteurs
économiques proches du pouvoir sont visés. Le
président lui-même fuit quelques heures, avant de regagner
la capitale pour honorer ses rendez-vous, façon
pathétique de prouver quil tient le navire.
Le gouvernement vacille
Le soir même, une première sous la IVe République,
le gouvernement est dissous, des changements majeurs sont
opérés au niveau de larmée.
Néanmoins, dans la nuit, dautres camps de la capitale se
mutinent. Le lendemain, une nouvelle fois victimes des pillages, les
commerçants se révoltent : saccage du siège
du gouvernorat, attaque de la mairie et de lAssemblée
nationale, siège du CDP incendié, etc. Dans la nuit, la
mutinerie gagne la ville garnison de Pô un symbole
pour Blaise Compaoré qui y a dirigé les commandos du
centre national dentraînement de commandement (CNEC) avec
lesquels il dépose Jean-Baptiste Ouédraogo pour installer
Thomas Sankara à la tête du pays le
4 août 1983 , puis Tenkodogo, Kaya où les
domiciles de responsables militaires sont saccagés.
Pillages, blessés, viols, six morts
« accidentelles » depuis le début des
mutineries au 30 avril pour la seule capitale
pour des
revendications alimentaires ? La propagation inédite
à différentes casernes, limplication du RSP et les
cibles visées rendent la lecture confuse. Depuis, le RSP a
réaffirmé sa « loyauté »
au président du Burkina Faso, mais des militaires ont
prévenu : si leurs revendications ne sont pas
satisfaites, ils se feront entendre. Certains des mutins expliquent que
le but est de pousser la population à se révolter contre
le système. Diverses causes sont avancées : la
présence de la nouvelle base militaire française ;
la paupérisation des subalternes alors que les officiers sont
promus à tour de bras ; le détournement de primes
au profit des supérieurs hiérarchiques
Et
voilà que le 27 avril, des casernes de la Compagnie
républicaine de sécurité dans la capitale se
mutinent, puis à Bobo-Dioulasso, Dédougou, Banfora,
Gaoua
Une chose est certaine, deux des piliers de lEtat
saffaissent : larmée et la justice. Les
syndicats appellent les acteurs de la justice « à
appliquer la jurisprudence de la Cour dAppel du 8
avril » qui a accordé la liberté provisoire
aux militaires condamnés le 22 mars, raison pour laquelle
la première mutinerie avait eu lieu. Autrement dit : ne
plus condamner à des peines fermes et accorder la
libération provisoire à ceux qui en font la demande.
Revendications multiples
La promptitude de Blaise Compaoré à satisfaire les
revendications des militaires, qui font parler les armes, alors que
manuvres dilatoires et répression sont opposées
aux revendications des autres couches sociales, influe également
sur les modes de revendication : la jeunesse avec le ciblage des
édifices publics et biens des personnes incarnant le
régime ; les commerçants pourtant une
importante base électorale du CDP qui participent
également au saccage ; les cultivateurs qui menacent
d« une révolte paysanne » si
leur production nest pas revalorisée ; les villageois qui
sorganisent contre les expropriations et pensent au sabotage,
etc. Désormais, au moindre acte arbitraire, les couches
sociales
réagissent. Lhabitude prise lors de la
crise de 1998 de lever des milices des jeunes du lumpen ou
des militants du CDP , les intimidations pour stopper les
manifestants ny peuvent rien, voire radicalisent les
protestations
Pas plus que le nouveau gouvernement dans lequel
on retrouve les éléphants du CDP ou des membres des
partis de la mouvance présidentielle.
Habitué à voir des tentatives de
déstabilisation dans toute contestation sociale la
main étrangère (le voisin ivoirien avant le
11 avril) ou l« ennemi
intérieur » traditionnel, le parti communiste
révolutionnaire voltaïque (PCRV), parti
clandestin le mécontentement général
prouve que lennemi du « pays des hommes
intègres » est le mode de gouvernement du
régime. Le propos de ces contestations est la fin de
limpunité, de laccaparement des richesses par les
obligés du clan présidentiel, de meilleures conditions de
vie
ce qui nécessite un changement radical avec des
mesures concrètes ce que le gouvernement commence
à faire , si ce nest de changer le régime
lui-même
Lila Chouli