Le retour de malthus ?
Le retour de malthus ?
Début avril 2011, les médias diffusaient largement le
communiqué de lATS faisant connaître Ecologie et
population, « Ecopop », lassociation
pour qui « la nature doit être
protégée en Suisse de la surpopulation ».
Les 700 membres de laustère « Association
environnement et population » ont choisi cet acronyme
sémillant pour lancer une initiative fédérale
limitant la croissance de la population suisse à 0,2 %
sur une moyenne de trois ans et attribuant 10 % des fonds de
laide au développement à des projets
dinformation sur la contraception.
Benno Büeler, son porte-parole, affirme que linitiative ne
vise pas les étrangers mais la croissance annuelle de la
population, trop grande pour le pays : 1,3 %
dont 80 % vient de limmigration. Limiter la population
relèverait de l« aménagement du
territoire ».
Le « buzz » fonctionne
Ecopop bénéficie dune forte couverture
médiatique pour le lancement début mai de sa bombe
« Halte à la surpopulation oui à la
préservation durable des ressources naturelles ».
Politiquement correcte, sa comm priorise la
réduction de « la croissance dramatique de la
population mondiale par le soutien de planning familial
bénévoles (sic) » mais souligne lourdement
sa volonté de « limiter limmigration nette
en Suisse ».
Froidement malthusien, le texte de
linitiative ne fait pas dans la nuance. Ses auteurs ne craignent
pas daffirmer que « la croissance de la population
nuit à lenvironnement, réduit la qualité de
vie et va à lencontre des objectifs fixés par
larticle 73 de la Constitution fédérale: un monde
durable ». Ils assènent crûment que les
capacités écologiques et les ressources de la
planète étant limitées et les flux migratoires
internationaux étant en progression, leur initiative devrait
contribuer à réduire la pression démographique au
niveau national comme au niveau international.
La référence à la surpopulation
éclaire lidéologie dun mouvement qui plonge
ses racines à la fin du 19e siècle lorsque les
élites patriciennes, hostiles au développement des villes
et du mouvement ouvrier, encensent le mythe rupestre de Guillaume Tell,
pour fleurir au début du 20e siècle sous la forme de la
lutte contre la menace de lÜberfremdung,
laltération excessive de lidentité
nationale. Ce nationalisme xénophobe et réactionnaire
modèlera en profondeur les institutions suisses quil
continue de charpenter.
Clé de voûte de la politique de la
« barque pleine »
(déjà !) durant la période nazie, cette
vision survivra à la chute des dictatures fascistes pour
justifier le régime spécial du « statut du
saisonnier » auquel seront soumis les travailleurs
immigrés.
La tentation de dénoncer ce texte est forte, et juste, mais absolument insuffisante.
Elle est hélas complètement
insuffisante face à un désastre: dans la Suisse
daujourdhui, ce texte semblera pour beaucoup
marqué au coin du bon sens et notre argumentation critique
peinera à disspiper leffroi de léconomie
globalisée auquel Ecopop oppose le rêve de
linsularité suisse que le long sommeil de la
neutralité, de lAlleingang, mené avec
succès depuis la Première Guerre mondiale a permis de
nourrir.
Pire, à linstar de londe de
choc européenne qua suscitée linitiative
islamophobe, on peut craindre le succès européen
dune idée qui semblera justifier lenfermement de
lEurope derrière ses mers comme elle aspire à
justifier celui de la Suisse derrière ses montagnes.
Une discussion constante et pied à pied des
argumentaires de ces soi-disant écologistes doit se
développer, et cette première brève contribution
est une invitation à enrichir la réflexion et à
nourrir la production dargumentaires solides et
documentés.
Depuis les initiatives Schwarzenbach des
années 1970, aucun missile aussi puissant naura
été lancé au cur de la vie politique. Et
combien de nos lectrices et lecteurs ont-ils conservé la
mémoire de la grande peur du printemps 1970 ? Le danger de
ce projet réside dans le caractère
dévidence et dinnoncence quil semblera
avoir, après les images violentes et choquantes de lUDC.
Après le racisme guerrier des Freysinger et consorts
voilà le retour du racisme de papa !
Ecopop, cest qui ?
Fondée en 1971 sous le nom de Communauté de travail pour
les questions de population, elle devint en 1974 lAssociation
Suisse pour l Étude des Problèmes
Démographiques (ASEPD).
A cette époque Valentin Oehen
présidait aux destinées du petit parti
dextrême droite Action Nationale tout en étant
membre du comité de cette association qui sintitule
aujourdhui Ecopop, Association pour lÉtudes
Problèmes Démographiques (AEPD) ; il y
côtoyait des responsables de tous bords et jusquà
des membres du parti socialiste.
Bénéficiant de leur autorité de
petit cénacle académique, ses membre ont longtemps
joué au laoratoire didées. Les voilà avides
de succès au cur de la vie publique.
Ils ne resteront pas seuls. On se rappelle que
jusquau sein des Verts, défenseurs intransigeants des
droits des migrants, certaines voix ont fait entendre depuis plus
dun mois des arguments semblables à ceux que portent
cette initiative.
Ainsi, fin 2009, Bastien Girod, conseiller national
vert (ZH) et Yvonne Gilly, conseillère nationale verte (SG)
lançaient une discussion au sein de leur parti :
« Croissance démographique en Suisse : bilan
critique de lapproche verte ». Déjà,
Girod ny allait pas avec le dos de la cuillère :
« une trop forte immigration met en danger les espaces de
repos en Suisse ». « Aujourdhui, nous
avons lambition de nous émanciper dune lecture
gauche-droite », surenchérissait Antonio Hodgers.
Voilà qui ne doit pas déplaire
à Sabine Wirth, membre du comité directeur dune
association quelle caractérise comme « sans
domicile fixe des partis, mais tous déçus des partis
traditionnels ».
Karl Grünberg
ACOR SOS Racisme