Bactérie tueuse et concombre masqué

Bactérie tueuse et concombre masqué

Depuis le début du mois de mai,
une bactérie « tueuse » de la famille «
escherichia coli », pathogène pour l’homme, provoque
une épidémie d’hémorragie intestinale
potentiellement mortelle dans le Nord de l’allemagne. elle aurait
déjà infecté 3000 personnes en europe, en
particulier des femmes, entraînant la mort d’une vingtaine
d’entre elles. d’où vient-elle et comment en venir
à bout ?

Le mal se manifeste d’abord par des crampes abdominales
très douloureuses, qui s’accompagnent de diarrhées
et de fièvres. Dans les cas aigus, elle peut provoquer une
insuffisance rénale et des troubles neurologiques qui conduisent
à des paralysies. De quoi faire vraiment très
peur…

L’agent spécial 0104:H4

Les épidémies d’hémorragie intestinale
liées à certaines souches d’E. coli sont connues
depuis une trentaine d’années aux Etats-Unis, où
elles affectent 110 000 personnes par an et causent la mort de 90
d’entre elles, même si les souches impliquées
(principalement 0157:H7) sont moins virulentes que le bacille de
« Hambourg ».

 C’est que le nouvel agent pathogène est le clone
hybride d’une espèce rare (0104:H4), résistant aux
antibiotiques, qui n’avait jamais été
observé jusqu’ici dans une épidémie. Signe
des temps, son génome a pu être déchiffré en
quelques jours à peine par un laboratoire… de Shenzhen en
Chine.

 D’où vient ce nouveau spécimen ? Probablement
d’un « transfert génétique horizontal
», au cours duquel deux microbes de souches différentes
ont échangé des portions d’ADN. Selon la revue
Science, 0104:H4 posséderait ainsi, en plus des gènes de
E. coli, un fragment de gène de Salmonella enterica, susceptible
de provoquer la salmonellose. Ces résultats devront être
confirmés par d’autres travaux.

Qui se cache derrière ce « complot » ?

Il n’en fallait pas plus pour que les blogs débordent de
thèses farfelues sur la création de ce nouveau bacille
par l’ingénierie militaire, voire le bioterrorisme.
Même si de telles hypothèses ne peuvent pas être
absolument exclues, il est en réalité infiniment plus
probable qu’il soit le produit « naturel » du
système de production alimentaire globalisé qui se
développe sous nos yeux depuis une trentaine
d’années.

 S’il y a « complot », c’est celui des
investisseurs qui réalisent d’énormes profits en
industrialisant et en concentrant de plus en plus la production, le
transport, le stockage, le conditionnement et la distribution de la
nourriture. N’y a-t-il pas un lien évident entre la
multiplication des pathologies liées à
l’alimentation et les formes contemporaines de sa marchandisation
(maladie de la vache folle, grippe aviaire, E. Coli pathogènes,
etc.).

 Les grandes batteries d’élevage produisent et
disséminent de nouveaux bacilles ; l’agrobusiness
multiplie les intrants chimiques et les manipulations
génétiques ; le conditionnement introduit des inconnues
supplémentaires ; la grande distribution favorise le transport
sur de longues distances. La malbouffe résulte de tout cela,
sans parler de la spéculation boursière qui provoque la
hausse des cours des produits vivriers et génère la plus
meurtrière des maladies : la famine. ruminants et hamburgers

Les versions pathogènes d’E. Coli pour l’homme sont
surtout présentes dans l’intestin des ruminants, mais
elles peuvent aussi loger dans l’appareil digestif d’autres
animaux. Contrairement à l’homme, ils n’en sont pas
affectés et transmettent ce germe par leurs déjections
(sols, canaux d’irrigation, cours d’eau, nappes
phréatiques, etc.), qui peuvent contaminer des cultures,
même éloignées. Il faut savoir que les
élevages produisent dix fois plus d’excréments que
de viande.

 Les grandes batteries industrielles sont évidemment des
incubateurs d’E. Coli. Depuis une dizaine d’années,
la prolifération de ce bacille a même vraisemblablement
été dopée par les nouvelles méthodes
d’engraissage (notamment à base de maïs) qui
permettent une prise de poids rapide, mais modifient la flore
intestinale des bêtes. Ajoutons que la concentration des germes
dans un espace très confiné accroît la
probabilité de leur mutation.
 
 Aux Etats-Unis, une étude du Centre de prévention
et de contrôle des maladies (CDC), publiée en septembre
2009, estime que 42 % des patient·e·s ont
contracté une hémorragie intestinale à E. coli en
consommant de la viande. On l’y appelle d’ailleurs la
« maladie du hamburger », le germe y étant souvent
incorporé au moment de son hachage. Elevage industriel et
malbouffe sont donc directement pointés du doigt.

Démasquons le concombre

Si le vecteur de transmission est vraisemblablement un aliment cru ou
une boisson non pasteurisée, il n’a pas encore
été identifié : un légume, un fruit, une
farine, un fromage, une viande mal cuite (hamburger, tartare, etc.). La
chaine de production, de conditionnement, de transport, de stockage et
de distribution est ainsi passée au crible sans résultat.
Ce sont des circuits complexes, globalisés, extrêmement
difficiles à tracer : les légumes, notamment, sont
cultivés dans un pays, nettoyés dans un autre,
empaquetés dans un troisième.

 Pour avoir incriminé un peu vite les concombres
d’Espagne, avant d’abandonner cette piste,
l’Allemagne a été accusée à demi-mots
de torpiller la Politique agricole commune (PAC), qui lui coûte
fort cher, sous de faux prétextes sanitaires. L’embargo
russe sur tous les légumes de l’UE va plus loin encore.
Pourtant, ce type de mesures, voire de guerre commerciale
déguisée, ne pose pas les véritables
problèmes et s’interdit d’y apporter des
réponses probantes à long terme.

Notre bien commun

En revanche, depuis 1996, les organisations paysannes liées
à Via Campesina (Uniterre en Suisse, la
Confédération paysanne en France, etc.) défendent
avec raison le concept de « souveraineté alimentaire
», qui n’est pas réductible à une politique
commerciale. Il lie en effet conditions sociales de production (petite
agriculture paysanne), préoccupations écologiques
(culture biologique de proximité) et défense de la
santé des consommateurs·trices (sécurité
alimentaire).

 En effet, une politique alimentaire qui réponde aux
intérêts de l’humanité et de son
environnement doit impérativement rompre avec la logique du
profit privé en affirmant que les terres agricoles et leurs
produits ne sont pas des marchandises, mais les biens communs les plus
essentiels de l’humanité..

Jean Batou