Comprendre le patriarcat: sexe, genre et rapports sociaux

Comprendre le patriarcat: sexe, genre et rapports sociaux

Nous publions ici de brefs extraits d’une brochure, qui présente quelques enjeux et concepts essentiels de la lutte contre le patriarcat et pour l’émancipation des femmes. On trouvera le texte complet de ce document très intéressant, édité par la LCR, sur notre site.


Le concept de genre a été élaboré par les féministes anglo-saxonnes et s´est ensuite diffusé au plan international. C´est Ann Oakley, en 1972, qui a défini la première le genre d´un point de vue féministe: «Le mot sexe se réfère aux différences biologiques entre mâles et femelles: à la différence visible entre leurs organes génitaux et à la différence corrélative entre leurs fonctions procréatives. Le genre, lui, est une question de culture. Il se réfère à la classification sociale en masculin et féminin» (cité par C. Delphy, 1991).

Pourquoi parler de genre?

Avec ce concept, les féministes se fixaient plusieurs objectifs (cf. J. Scott 1988):

  • Dégager l´analyse des rapports entre femmes et hommes, et leur place respective dans la société, des présupposés biologisants qui l´entourent habituellement. Ce n´est pas parce qu´elle a un utérus et des seins, qu´une femme est «naturellement» douce et aime les enfants; ce n´est pas parce qu´un homme a un pénis, qu´il est automatiquement violent ou incapable de s´occuper des enfants. En 1949, Simone de Beauvoir avait déjà tracé cette perspective dans le Deuxième sexe en déclarant «On ne naît pas femme, on le devient».
  • Appréhender les femmes, non pas comme un groupe à part, mais au contraire prendre en considération les femmes et les hommes dans leurs rapports, en particulier dans la définition de ce qu´on appelle traditionnellement la féminité et la masculinité. A ces deux notions correspondent une série de stéréotypes qui ont évolué au cours des dernières décennies mais peuvent resurgir sous d´autres oripeaux. La « féminité » ou la « masculinité » ne sont pas le résultat naturel d´une appartenance à un sexe mais le résultat d´un processus de formation ou de « déformation » des personnes par la société, à travers l´éducation et les attentes de l´organisation sociale.
  • Introduire l´idée que les rapports hommes/femmes ne sont pas des rapports fondés sur la complémentarité des sexes mais des rapports de pouvoir, de domination etc. Il y a une hiérarchie sociale entre les hommes et les femmes dans la plupart des sociétés connues et ce sont ces rapports de pouvoir qu´il s´agit d´analyser.

Le mariage entre femmes en Afrique

Un exemple tiré de l´anthropologie permet de mieux mesurer l´intérêt de distinguer le genre du sexe biologique. C´est celui des mariages entre femmes, relevés dans une trentaine de sociétés africaines, bien connus des anthropologues et cités par N. Cl. Mathieu: «Il s´agit généralement d´une adaptation de la société pour assurer la continuité d´un lignage agnatique (patrilinéaire), en l´absence d´un mâle (décédé ou inexistant). Une femme, en payant la compensation matrimoniale, épousera alors, en tant que mari (…), une autre femme, qui produira des enfants avec un homme qui n´est que le géniteur et n´a aucun droit sur eux». Mais comme le souligne l´auteure, bien que de même sexe, les deux femmes ont entre elles des rapports hiérarchisés en fonction du rôle (mari ou épouse) que sont censées jouer l´une et l´autre: «Toujours est-il que les mariages entre femmes fonctionnent sur le modèle de l´opposition de genre, le «mari-féminin» ayant sur son épouse les prérogatives d´un homme. La différenciation des tâches et des fonctions sociales, attribut principal du genre, se reproduit donc même dans les mariages entre personnes du même sexe» (1991).


En France, les études féministes restent très marginalisées, quelle que soit leur appellation et le concept de genre est encore très peu utilisé; il peut même faire l´objet d´un rejet délibéré de la part de disciplines réfractaires à l´influence féministe. Quelles que soient les ambiguïtés qui peuvent entourer l´usage de ce terme, il a un mérite fondamental, celui d´introduire immédiatement une distance critique vis à vis des stéréotypes associés aux deux sexes et de remettre en cause les rôles et fonctions traditionnels attribués aux individu-e-s en fonction de leur appartenance à l´un ou l´autre sexe. C´est cette réflexion critique sur les genres qui permet aujourd´hui au mouvement homosexuel de revendiquer le droit au mariage et à l´homoparentalité et à l´ensemble des militant-e-s d´entrevoir une société où la classification des individu-e-s en fonction de leur «sexe» perdrait tout sens politique. (…)

Genre et rapports sociaux de sexe

Plutôt que d´utiliser le concept de genre, des chercheuses françaises ont popularisé au début des années quatre-vingt, celui de rapports sociaux de sexe, pour des raisons de traditions culturelles et de clarté théorique (D. Kergoat, 2000). Il s´agissait d´inscrire d´emblée l´analyse des rapports d´oppression des hommes sur les femmes dans l´analyse globale de la société et des différents rapports sociaux qui la structurent. Comme l´a rappelé à plusieurs reprises Danièle Kergoat (1992):

  • Réfléchir en termes de rapports sociaux, c´est prendre de la distance avec toutes les analyses en termes de «liens» sociaux. Dans la tradition marxiste, les rapports entre individu-e-s ne sont pas seulement des rapports subjectifs mais sont marqués par des rapports sociaux, contradictoires, antagonistes, qui structurent les rapports de forces au sein de la société.
  • Parler de rapports sociaux de sexe, c´est considérer que ces rapports sont tout aussi structurants pour la société que les rapports de classe par exemple, à la différence d´autres rapports comme ceux d´enseignants/enseignés, ceux de médecins/malades.

Ces rapports sociaux de sexe structurent l´ensemble du champ social, ils sont transversaux à toute la société: il n´y a pas d´un côté les rapports de classe et d´exploitation qui structurent le champ de la production, l´espace du travail professionnel et de l´autre, la famille structurée par les rapports de domination des hommes sur les femmes. Dans les deux cas, les différents rapports sociaux s´entrecroisent. Par exemple dans une entreprise, les femmes sont généralement moins bien payées que les hommes, sont souvent victimes de harcèlement sexuel, et si elles sont de famille immigrée, elles vont encore voir leur situation s´aggraver. Tous ces rapports interagissent les uns avec les autres et ceci, dans les différentes sphères de la société.


Par définition, des rapports sociaux ne relèvent pas de la nature mais de l´histoire sociopolitique, ils peuvent se transformer, en fonction à la fois des évolutions des structures sociales et de l´action collective. Les individu-e-s sont façonné-e-s par la société et les rapports de domination mais en même temps, ils/elles peuvent agir sur ces rapports sociaux, à titre individuel mais plus efficacement à titre collectif.


Comme on l´a déjà expliqué, l´enjeu des rapports sociaux de sexe, c´est la division du travail entre les sexes. La division du travail ne concerne pas seulement la place respective des hommes et des femmes sur le marché du travail, et dans la hiérarchie des rapports de production mais leur place respective des unes et des autres dans les différentes sphères de la société. (…)


Quelques références…

Indispensable:

  • N. CL. Mathieu 2000, entrée Sexe et genre in Dictionnaire critique du féminisme, PUF.

Mais aussi:

  • Delphy Christine (1991): Penser le genre, quels problèmes?, Sexe et genre, édité par M-Cl. Hurtig, M. Kail et H. Rouch, éditions du CNRS (pour ceux et celles qui s´intéressent à l´émergence de ce concept dans les sciences sociales).
  • Kergoat Danièle: entrée Division sexuelle du travail et rapports sociaux de sexe in Dictionnaire critique du féminisme, PUF (article de base).
  • Scott Joan (1988): Genre: une catégorie utile d´analyse historique, Cahiers du GRIF, N° 37-38, éditions Tierce (article difficile).