Impérialisme français: un Ivoirien dénonce

Impérialisme français: un Ivoirien dénonce

Nous publions le point de vue que nous a fait parvenir un étudiant ivoirien, militant pour l’annulation de la dette du tiers-monde, à propos de la crise politique que traverse son pays.


La Côte d´Ivoire est située en Afrique de l´Ouest, humide et côtière. J´y ai passé toute mon enfance et participé au mouvement étudiant (FESCI). Comment un pays qui hier se caractérisait par sa stabilité économique et politique en est-il arrivé à la guerre civile?


Comme tous les pays Africains, la Côte d´Ivoire relève d´un découpage colonial. Malgré l´indépendance, ses peuples, dont l´aire culturelle allait au-delà des frontières actuelles, même si des barrières linguistiques fragmentent encore le pays, ont continué à se reconnaître dans le nouvel Etat, économiquement prospère.


L´indépendance de la Côte d´Ivoire a été acquise par la négociation. Sa souveraineté économique et politique demeurait cependant du ressort de la France, qui assurait sa «sécurité territoriale» – au nom des lois dites de «coopération militaire» – jusqu´en 1990. Le pouvoir de Felix Houphouet Boigny, «le père de la nation» était ainsi garanti.

Riche en matières premières

La Côte d´Ivoire est un petit pays de 322463 km2, mais un grand pays producteur de matières premières: cacao (1er producteur mondial), café (3e producteur mondial), pétrole, or et diamants. Sa stabilité et ses ressources ont attiré un important flux migratoire originaires des pays voisins et d´au-delà (près d´un million de Libanais, 30000 Français – 80000 avant 1990 – des Chinois, etc.). La France y avait donc beaucoup d´intérêts, d´où la coopération commerciale et financière mise en place dès 1960.


Au plan politique, grâce à la France, Houphouet Boigny a eu les moyens de contenir ses adversaires. Il a transformé le pays en un véritable royaume (on l´appelle «Nanan», ce qui veut dire roi dans la langue des akan, son groupe ethnique). Les ministres et personnalités politiques étaient issus de sa région. Par-là, le groupe ethnique devenait la clé du jeu politique, dominé par un maître à penser, Houphouet, et son parti unique le PDCI.


Les chefs de village étaient ainsi devenus incontournables. Certains postes étaient réservés à des membres de l´ethnie du Président, en particulier le ministère de l´économie et des finances. Les nominations n´avaient rien à voir avec les compétences, mais dépendaient de l´influence sur tel ou tel groupe ethnique. Cette situation a ouvert la porte à la corruption.

La France change de camp

En 1990, après la chute du Mur de Berlin, Houphouet est laché par la France, Mitterrand appelant à l´ouverture et au multipartisme. Laurent Gbagbo, qui se réclame de la gauche radicale, crée le FPI. En réalité, il est un pion du PS français. On le saura plus tard (après qu´ait été épurés du FPI les vrais radicaux). Houphouet, pour faire monter les enchères vis-à-vis de la France, nomme Alassane Outtara Premier Ministre. C´est un pur produit des intérêts américains.


Houphouet est en fin de vie. Il fait changer la constitution, désignant ainsi son dauphin: il s´agit de Bedié, président de l´Assemblée et membre de son groupe ethnique. Pendant ce temps, Alassane Outtara réussit à stabiliser l´économie et à donner des espoirs de relance. Une bonne partie de la population lui voue une certaine estime.


A la mort d´Houphouet, en 1993, Bedié accède au pouvoir. Depuis 1990, le FPI affirmait que Ouattara n´était pas ivoirien, il sera limogé. Bedié va reprendre la même chanson en inventant l´ivoirité. Les élections sont prévues dans deux ans. Ouattra claque la porte du PDCI et créé son propre parti, le RDR. La peur de Bedié grandit…

Les sanglantes élections de 1995

La Côte d´Ivoire est fortement métissée et son discours a plutôt rangé cette population métisse ou naturalisée du Côté de Ouattara. On assiste à des arrestations, à des emprisonnements et même à des éliminations physiques des partisans de Ouattrara. Guei, soupçonné de fomenter un Coup d´Etat, est démis de la tête de l´armée et mis à la retraite.


Les élections de 1995 se déroulent dans le sang. La situation reste tendue jusqu´en 1999, où de jeunes militaires renversent Bedié et installent Guei au pouvoir, pour un période de transition. Le FPI de Gbagbo venait de prendre la tête du mouvement étudiant à la machette. Blé Goudé, son secrétaire général avait recruté des étudiants au FPI. On assistait aussi à une ethnicisation de la jeune armée, mise sur pied par Houphouet, après 1990. Certains éléments, comme le capitaine Seka épaulent la milice du FPI en formation.


Le FPI incite Guei à se présenter aux élections avec le slogan «le pouvoir à l´ouest» et il tombe dans le panneau. Les candidatures de Bedié et de Ouattara sont écartées. Guei se présente contre son frère de l´ouest, Gbagbo. La milice du FPI, utilisant la population comme bouclier humain, va faire le reste.

De la victoire de Gbagbo au soulèvement du MPCI

Guei est chassé du pouvoir et Gbagbo s´y installe. Les militants du RDR sont massacrés. Des charniers hantent la ville d´Abidjan. Depuis 2000, malgré les négociations, la crise perdure. L´insécurité est totale dans le pays avec la milice du FPI qui agit comme «escadron de la mort» (enlèvements, lois impopulaires, assassinats d´opposants réfugiés dans les pays voisins).


Cependant, depuis 1990, une gauche radicale s´est développée en Côte d´Ivoire, issue des rangs politiques, syndicaux et associatifs. A la tête de la rébellion, on trouve Dacoury, le cousin de Gbagbo, ex n° 3 du FPI, ainsi que Soro Guillaume, que j´ai connu une bible à la main, et qui est issu de la FESCI et a été responsable de Jubilé 2000 en Côte d´Ivoire. Et c´est cette gauche insurgée qui vient de prendre les armes au nom du MPCI. Elle revendique l´éviction immédiate du Président Gbagbo et le départ des troupes françaises.


Jean Serge BOZON