LAMAL: coup de force de la droite

LAMAL: coup de force de la droite

Vendredi 13 décembre, après quatre jours d’intenses débats au Conseil national, les troupes du parti radical, de l’UDC et du parti libéral, avec l’appui de 11 PDC, ont fait front commun pour mettre en échec la 2ème révision partielle de la LAMal. Par 93 voix contre 89, l’Assemblée fédérale a rejeté cette réforme, après plus d’un an de travaux en commissions des deux chambres. Ce «torpillage surprise», selon le journal Le Temps, vient «déblayer le terrain pour Pascal Couchepin».


En septembre 2000, le Conseil fédéral avait adopté le message relatif à cette 2ème révision centré sur la réforme du financement des hôpitaux. L’assurance maladie sociale et les cantons devaient se partager pour moitié la rémunération des prestations prises en charge selon la LAMal en cas de séjour hospitalier dans les établissements reconnus dans les listes cantonales. Le Conseil fédéral reconnaissait qu’à court terme cette réforme entraînerait des coûts supplémentaires considérables pour les cantons, mais qu’à long terme, on pouvait s’attendre à un effet de maîtrise des coûts. En effet, l’entrée en vigueur de la nouvelle loi n’a pas mis fin à la baisse continue de la contribution des cantons au financement des hôpitaux depuis les années 90: de 35,5% en 1991, à 29,7% en 1998. La même année, l’économie ainsi réalisée par les collectivités publiques atteignait 1,4 milliard de francs, charge reportée sur les assuré-e-s via les primes d’assurance maladie. La révision proposée visait la rupture complète avec le principe de la couverture des coûts en le remplaçant par le financement des prestations. Cette perspective, appelée aussi «financement moniste» des hôpitaux, prévoit que toutes les prestations fournies en hôpital – qu’elles soient hospitalières ou semi-hospitalières – qui nécessitent une infrastructure hospitalière soient soumises à un même régime de financement. Dans son communiqué de presse du 18.9.02, le Conseil fédéral a confirmé: «Le principe de la couverture des charges d’exploitation imputables, repris de l’ancienne loi sur l’assurance maladie et accident (LAMA), est contraire à un système axé sur la maîtrise des coûts. Le plus souvent, les déficits d’exploitation des hôpitaux publics sont couverts en totalité par l’Etat. Ce type de conditions-cadres n’incite guère à raisonner en termes d’économie d’entreprise».


Dans son message, le CF renonçait à la suppression de l’obligation de conclure une convention entre les assureurs-maladie et les fournisseurs de soins dans le domaine ambulatoire, sauf pour les médecins de plus de 65 ans révolus. Les modalités du renforcement de la concurrence semblaient inadaptables, voire impossibles à mettre en pratique. Par contre, les formes d’assurances avec un choix limité des fournisseurs de prestations, type HMO ou médecin de famille, devraient obligatoirement être proposées par tous les assureurs.


La volonté des partis bourgeois de soumettre la LAMal au régime de l’économie d’entreprise s’est confirmée lors des travaux sur cette révision (cf. solidaritéS N° 2 et 14). En fait, plusieurs mesures proposées en cours de route prenaient la forme d’un contre-projet à l’initiative du PSS/USS «La santé à un prix abordable».

Train de réformes précipité

Entre-temps, le Conseil fédéral et le DFI ont adopté un train de mesures pour réaliser des objectifs de réforme à court terme: le pilotage des coûts par le biais des prix des prestations de santé et la maîtrise des coûts axé sur le volume des prestations de santé.


Début juillet 2001, le Département fédéral de l’intérieur (DFI), suite à la mise en place de l’Institut suisse des produits thérapeutiques, Swissmedic, (LPth de décembre 2000), a proposé une modification de l’ordonnance sur l’assurance maladie (OAMal) visant les conditions d’admission des produits thérapeutiques, afin de renforcer le caractère économique des médicaments, en comparaison internationale (OAMal, 26.6.02) et une meilleure maîtrise des coûts dans ce domaine.


D’autre part, afin de régler le problème de l’uniformité du calcul des coûts et le classement des prestations par les hôpitaux et les établissements médico-sociaux dans l’assurance maladie, le Conseil fédéral a édicté une nouvelle ordonnance (OCP) devant entrer en vigueur le 1 janvier 2003, afin de garantir une transparence des coûts grâce à la comptabilité analytique et la statistique des prestations dans la gestion.


La mesure qui a le plus fait parler d’elle concerne le gel des admissions des nouveaux fournisseurs de prestations et la clause du besoin, appelée «Moratoire», (ordonnance du 4.7.02 valable jusqu’au 3.7.05) présentée comme «un frein de secours». La mise en oeuvre de cette procédure a suivi le mandat du Parlement de mars 2000, avec la mise en place d’un dispositif d’urgence, depuis 2001, à titre préventif, dans le cadre des Accords bilatéraux avec l’UE, comme mesure d’accompagnement de l’Accord sur le libre passage.


Le 20.8.02, le CF a approuvé des réformes dans le contexte de la 2ème révision partielle: deux nouvelles mesures portant sur la carte d’assuré standardisée obligatoire et un dispositif ciblé d’allégement des primes des ménages avec enfants. D’autre part, un projet pour la 3ème révision partielle a été adopté dans laquelle quatre objets doivent être examinés: la modification de la participation aux coûts, le financement moniste des hôpitaux, le renforcement d’assurances type managed care et la suppression de l’obligation de contracter.

Le psychodrame de la session d’hiver

La 9ème séance du national (9.12.02) a accepté l’entrée en matière à 123 voix contre 2. Zisyadis s’est en effet d’emblée opposé à cette révision, décrite comme un «bricolage» destiné à contrer l’initiative socialiste. En effet, plusieurs propositions ont vu le jour dans la dernière phase, et 30 propositions de minorité ont été déposées, sans compter les propositions individuelles. Prônant la voie de «l’équilibre entre le libéralisme et la responsabilité d’Etat», Ruth Dreifuss, a défendu la révision en précisant qu’elle veillerait à corriger les défauts de la LAMal.


Après avoir longuement débattu de différents enjeux , par exemple, du rôle du médecin dans le dispositif de soins, de la planification de la médecine de pointe, de l’utilisation des génériques, l’art. 35 sur la suppression de l’obligation de contracter a vu plusieurs propositions sur la table dont celle du libéral Beck voulant éliminer 10% du corps médical ; au vote, une majorité a renoncé à cette mesure, de même qu’à l’augmentation de la franchise, ou des franchises à options proposées par l’UDC. L’augmentation de la participation de 10 à 30% pour les assuré-e-s qui ne seraient pas affiliés à un système du type managed care (proposition de la socialiste Sommaruga) a aussi été refusée.


La question du financement a occupé une part importante dans la dernière phase de cette session avec le maintien d’une compétence cantonale pour la fixation des paliers pour le droit aux subventions. La gratuité des primes pour tous les enfants a été rejetée, par contre le National a accepté un rabais de 50% sur le 2ème enfant et l’exonération dès le 3ème. A enveloppe constante, ces propositions pourraient toutefois entraîner un transfert de charge vers des ménages à revenus modestes, avec un effet de redistribution anti-social. Cette mesure devait être accompagnée d’un financement adéquat des pouvoirs publics par ailleurs.


Concernant l’arrêté fédéral sur les subsides fédéraux dans l’assurance maladie, le débat a porté sur la charge supplémentaire de la Confédération, avec le principe de l’indexation, vote soutenu par l’UDC dans une manœuvre qui a entraîné le groupe radical par la voix de Fulvio Pelli à rejeter l’ensemble de la révision sous le prétexte qu’elle ne freinait pas l’augmentation des coûts de la santé. Au vote final, la 2ème révision a été refusée, balayant ainsi les acquis progressistes de cette révision: rabais de primes pour les enfants, renfort du recours aux génériques, centralisation de la planification pour les équipements de pointe, augmentation des subventions des pouvoirs publics. En mars 2003, le Conseil des Etats reprendra les travaux.

Une prochaine bataille décisive

L’arrivée de Pascal Couchepin au DFI signifie entre autre que le parti radical veut reprendre en main directement le dossier LAMal, pour avancer dans la direction annoncée: renforcer la concurrence et les mécanismes de marché dans le système de soins, avec les principes de l’économie d’entreprise. Couchepin a déjà annoncé son soutien aux deux mesures fondamentales contestées: le financement moniste des hôpitaux et la suppression de l’obligation de contracter.


Le 5 décembre, le National vient de rejeter l’idée du Conseil des Etats de repousser la date de la votation sur l’initiative du PSS/USS «La santé à un prix abordable». Le peuple se prononcera donc en mai 2003. Il reste donc à peine 6 mois pour réussir une campagne dans laquelle le PSS et l’USS ont jusqu’à ce jour brillé par leur silence. Sous le choc du rejet de la 2ème révision, le groupe socialiste de l’Assemblée fédérale s’est enfin publiquement exprimé sur son initiative, soutenue activement jusqu’à ce jour par une poignée de militants.


A Genève, le Forum santé a appelé à la création d’un comité cantonal de soutien à cette initiative pour le 16 janvier 2003 (SIT, 20h15), après avoir écrit à la direction du PSS et de l’USS pour la création au plan national d’un large front pour faire campagne ensemble. En effet, sans une forte mobilisation, surtout en suisse alémanique, les récents sondages favorables risquent bien d’être un oreiller de paresse, et d’amener encore une fois à de cruelles déceptions.

Sur le lancement de l’initiative pour la caisse unique

La dernière réunion nationale à Berne en novembre a été marquée par une volonté du MPF, de l’AVIVO, de l’ASSUAS VD, des Verts et du POP/PST de partir dès le printemps 2003 avec la proposition de caisse unique fédérale publique, sans la participation du PSS et de l’USS. Le Forum santé a défendu l’idée d’un lancement avec un front large pour s’assurer de la réussite non seulement de la récolte de signatures mais surtout pour la votation, refusant la précipitation, avec le risque de confusion dans la campagne de soutien à l’initiative «la santé à un prix abordable». Entre-temps, la commission sociale des Verts au plan national a adopté une position très en retrait sur la caisse unique, craignant la création d’une bureaucratie et d’un instrument trop facilement utilisable par la droite pour imposer son orientation au système de santé.


Les arguments que nous avons avancés en faveur de la caisse fédérale unique et publique nous paraissent toujours valables: une plus grande transparence et une gestion sous contrôle public, un assainissement financier mettant fin aux pratiques à risque et à l’accumulation des réserves, une plus grande cohérence du système, une simplification administrative et juridique, et enfin la mise à disposition publique de données statistiques fiables pour un meilleur pilotage public du système de santé. Nous soutenons donc toujours le projet d’initiative du MPF, mais il serait judicieux de ne pas disperser nos forces dans un moment crucial pour le mouvement progressiste en suisse et de tenir compte des erreurs du passé. n


Gilles GODINAT