Aide-soignante, un travail sexué et racialisé
Aide-soignante, un travail sexué et racialisé
Aide-soignante pendant plusieurs
années dans un home vaudois, Claire Ansermet vient de
présenter son travail de fin détudes (Master
HES-SO en travail social) sur la racialisation des rapports sociaux.
La majorité (90 %) du personnel soignant est
féminin. Il sagit dune constante dans les pays
occidentaux. Parmi ces femmes, une forte proportion de personnes est
dorigine étrangère : Africaines ou
Sud-Américaines pour la plupart, Portugaises et Espagnoles
aussi. Au sein des structures de soins sexerce un système
hiérarchique pyra samidal très sexué et, à
son sommet, des hommes en quasi-exclusivité représentent
la sphère dirigeante. Plus on sapproche de la base de
cette pyramide, plus les femmes sont nombreuses, pour finalement
retrouver la population des femmes de ménage,
considérées socialement et au sein de linstitution
« en dessous » des aides-soignantes. Cette
« dernière » catégorie est
exclusivement féminine.
Désavantages cumulés
Le métier daide-soignante est considéré
comme féminin par son lien direct avec les tâches que les
femmes sont censées maîtriser de manière
innée. Historiquement, un métier est
considéré comme féminin lorsque les fonctions
professionnelles sont proches des qualités féminines
dites « naturelles » (douceur,
compréhension, agilité manuelle, patience). Il
sagit donc ici du care, cette activité professionnelle
peu accaparante qui permet une conciliation des tâches
ménagères et du bon maintien dun foyer.
En revanche, lautre pan des tâches des
aides-soignantes concerne la manutention et la mise en mouvement,
parfois très pénibles, des personnes dépendantes.
Or les secteurs de la manutention et du traitement de charges lourdes
sont traditionnellement des tâches masculines. De plus, les
horaires coupés, lobligation de travailler les week-ends
et les jours fériés, parfois de nuit, ne sont pas les
caractéristiques dune tâche « peu
accaparante ». Les aides-soignantes se retrouvent ainsi
dans une situation de « contradiction de
statut ». Elles appartiennent à une sphère
socioprofessionnelle féminine, mais leur travail effectif
ny correspond pas. Cette situation peut devenir très
complexe puisque les personnes qui la vivent ne peuvent pas revendiquer
des droits propres à un statut social (mère
célibataire, par exemple, qui aurait droit à un
congé ou à un soutien du fait de sa situation). Ainsi ces
femmes travaillent à la fois dans un secteur féminin
bénéficiant dune faible reconnaissance sociale et
salariale et « comme des hommes », avec des
tâches physiquement pénibles, sans facilitation
dhoraires pour concilier vie de famille et vie professionnelle.
Elles héritent des désavantages sociaux cumulés
des hommes et des femmes. [
]
Femme « de couleur » : un rôle bien particulier
Lautre forme de domination sociale présente dans les
métiers peu qualifiés des soins concerne la
« race ». Cette notion, souvent
étudiée en parallèle avec celle de genre, permet
de mettre en évidence dautres caractéristiques
prétendues « naturelles ». Les femmes
suisses sécartent des lieux de travail où elles
risquent dêtre particulièrement dominées et
se dirigent plus volontiers vers les grands hôpitaux reconnus
pour la qualité des soins ou pour limportance
donnée au rôle soignant. A linverse, dans les EMS,
lieux dévalorisés dans lunivers médical, se
trouve une forte proportion de femmes étrangères.
[
]
Les dominations ne se croisent pas seulement, elles
simbriquent pour créer de nouvelles formes de dominations
propres à chacune de ces combinaisons. Prenons le cas
dune aide-soignante camerounaise, donc francophone, Noire et
femme. Elle nest pas dans la même situation quune
aide-soignante portugaise, blanche, mais non francophone. La couleur de
peau crée un type de domination plus fort que la
non-maîtrise de la langue dune personne blanche et
européenne. Pour bien comprendre les processus de racialisation
menant à la domination, il importe de remonter à
lépoque des grandes dominations raciales
lesclavage et le colonialisme et de rappeler que, depuis
ces temps-là, il est inscrit dans les mentalités que la
femme « de couleur » a un rôle social
particulier : celui de soccuper du bon fonctionnement de
la vie des Blancs. Ces époques ne semblent pas
complètement révolues. Un témoignage recueilli sur
le terrain éclaircit ce concept :
« Tu
vois, nous, on a un métier, mais ici, tout le monde sen
fiche. Ce quils veulent (lORP), cest quon
travaille, ils ne veulent pas quon coûte aux Suisses.
Alors à mon premier rendez-vous, la dame me dit :
« Mais en dehors de votre métier
(secrétaire), vous avez dû vous occuper de vos parents en
Afrique, non ? » Alors moi je dis que oui, chez
nous, cest comme ça, depuis tout jeune, on soccupe
des aînés. Alors elle me dit :
« Parfait, vous pourriez travailler en EMS, il y a
beaucoup de personnes âgées dans des maisons ici, et vous,
vous savez déjà vous en occuper, alors ça ira
bien, vous avez lhabitude. » Jétais
contente, cest vrai que javais lhabitude, mais
ici, ce nest pas du tout comme lorsque je moccupais de
mes grands-parents ! Il y a plein de machines, de
médicaments, de règlements. Moi je ne connaissais rien de
tout ça. Au début, ça a été
très difficile. »
Lors de ce rendez-vous, une racialisation du rapport
social sest effectuée. La future aide-soignante
nest pas une personne sans emploi quil faut aider
à sinsérer professionnellement dans son domaine de
compétences, mais une femme africaine avec des qualités
innées, propres à sa « race »
et à son sexe. Les soins dans lesquels elle a été
orientée ne correspondent pas du tout à ses
prétendues « qualités
naturelles ». Elle a très concrètement
dû apprendre un nouveau métier, mettant
définitivement de côté ses compétences
professionnelles antérieures.
Les tâches de care semblent
« encore plus naturelles » chez les femmes
dorigine africaine que chez les Occidentales. Ceci explique en
partie la forte proportion de femmes dorigine africaine au sein
des équipes soignantes « peu
qualifiées ».
Claire Ansermet
chargée de recherche EESP
Résumé dun chapitre de son mémoire,
tiré de Reiso, la Revue dinformation sociale en
ligne : http://www.reiso.org/revue/spip.php?article1295