Italie

Italie : Le roi est mort, vive le roi

Le 12 novembre dernier (21h 42) restera gravé dans la mémoire des Italien·ne·s qui, depuis quelque dix-sept longues années, attendent ce moment. Le départ sous les huées de Silvio Berlusconi constitue sans conteste un tournant dans l’histoire de la péninsule. Un événement dont il ne faut en aucun cas diminuer la portée, mais qui ne peut néanmoins occulter le fait que cette ère politique n’a pas été balayée par les mouvements sociaux mais par les marchés financiers et leurs exigences.

La liesse était palpable partout. Sur les places italiennes en fête, Bella Ciao retentissait à nouveau. Tandis que le « Groupe musical de résistance permanente », l’une des nombreuses initiatives de ce nouveau mouvement social italien combatif et inventif, entonnait l’Halleluja de Händel devant le siège de la présidence à Rome. Toutes et tous s’étaient donné rendez-vous pour attendre la démission annoncée et la fêter dignement. Libération : le mot était sur toutes les lèvres et sur les panneaux que brandissaient les manifestant·e·s.

De New York à Paris, de Londres à Rome 

La satisfaction était évidemment partagée par l’opinion publique des plus grands pays du monde. La presse internationale en a fait ses Une. L’« infâme » Berlusconi (Time nº20, 2011) était enfin « chassé » par le Président italien Giorgio Napolitano, dépeint parfois sous les traits du général De Gaulle (Le Monde, 11.11.2011). Certains vont même jusqu’à rapprocher l’ère Berlusconi et celle de Mussolini (The Economist 12-18 novembre 2011).

Pour l’occasion, la date du 25 avril (symbole de la libération de l’occupation nazi-fasciste par la résistance italienne), jusqu’ici conspuée par le gouvernement Berlusconi a même été associée à cette nouvelle résistance qui, depuis des mois, occupe les places italiennes avec pour premier objectif le départ de Sua Emittenza. Collage hétérogène de questions historiques hétéroclites, mais pour le moins saisissant.

Game over ?

Cependant, comme le relevait Il Manifesto le 13 novembre dernier, ce ne sont ni les partisan·e·s, ni les résistant·e·s, ni une nouvelle vision du monde qui a balayé le berlusconisme. D’ailleurs peut-on vraiment parler de la fin d’une ère ? Les dix-sept dernières années marqueront en effet encore longtemps de leur empreinte la société italienne.

Le paternalisme affiché de la presse internationale, qui a fait de la situation de l’Italie, et surtout de la fin de Silvio Berlusconi, la partition d’un opéra tragi-comique, ne permet pas de saisir toute la portée de cette période de « démocratie autoritaire » dont traitent finement des intellectuels comme Marco Revelli. Un système profondément ancré dans les pratiques même des Italien·ne·s.

Comme le soutenait Gabriele Turi (La Repubblica, 16.10.2010), le berlusconisme est « une idéologie éclectique composée de populisme, d’individualisme exacerbé, de révisionnisme historique, de l’utilisation instrumentale et identitaire de la religion ». C’est aussi cet éclectisme qui s’est exprimé sur les places italiennes le 12 novembre dernier où se sont mêlés Fratelli d’Italia (hymne national italien) et Bella Ciao, héritages de la résistance et « fierté » nationale.

Super Mario…

Le successeur de Silvio Berlusconi, chargé de former ce nouveau gouvernement « technique » qu’une partie du Parti démocrate appelle de ses vœux depuis plusieurs mois déjà, n’est autre que Mario Monti. Recteur, puis président de l’Université Bocconi, dépeint comme le plus « allemand » des hommes politiques italiens, il est surtout l’homme de Goldmann Sachs, du capital financier international, et de la dérégulation des marchés. Rien donc ne laisse espérer une période d’accalmie, bien au contraire.

Ce sont des « sacrifices », que Mario Monti promet aux Italien·ne·s, et toujours plus de coupes dans la culture, la formation, les retraites, le système de prévoyance sociale et le droit du travail. Fiom (syndicat des travailleurs de la métallurgie), Federazione della sinistra (majorité de Rifondazione comunista et Partito dei comunisti) et Sinistra critica dénoncent avec vigueur les mesures annoncées. Le nouveau Président du conseil peut compter cependant sur l’appui « à gauche » du Parti démocrate, des principaux syndicats (CGIL, CISL et UIL), et même de Sinistra ecologia e libertà (formé d’anciens de Rifondazione comunista, de la gauche du Pd et des écologistes) de Nicchi Vendola et de l’Italia dei valori de Di Pietro pressés de démontrer leur « patriotisme » face à la crise qui s’abat sur la Péninsule. A droite, le Popolo delle libertà a lui aussi donné son accord de principe, tandis que seule la Lega d’Umberto Bossi déclinait définitivement son appui?; Bossi y laissera son leadership, mais la Lega y gagnera sans doute en audience et en poids électoral.

Démocratie directe ou défibrillation des marchés

L’exercice de la démocratie, comme la Grèce l’a montré, est aujourd’hui plus que jamais considéré comme un obstacle au bon fonctionnement des marchés financiers. Mario Monti n’a en définitive été élu par personne, mais nommé d’office par Giorgio Napolitano, sur la pression de ceux-ci. Le nouveau Président du conseil a de surcroît annoncé – encore une fois pour rassurer les marchés internationaux – un rôle qu’il ne semble pas vraiment avoir rempli jusqu’ici (16 novembre) – qu’il comptait bien rester au pouvoir jusqu’en 2013.

Or, n’est-il pas essentiel de défendre une condition de base du choix démocratique, soit l’organisation rapide d’élections en Italie, qui permette à la population de se prononcer, non seulement sur le gouvernement, mais aussi et surtout sur les mesures qu’il semble vouloir adopter. Plus fondamentalement, il importe que les mouvements sociaux, qui ont démontré tant de combativité et fait preuve de tant d’initiatives jusqu’ici, redoublent d’efforts. Car rien ne serait plus démoralisant que de confondre une petite étincelle – si réjouissante soit-elle – avec la véritable lumière au bout du tunnel.

Stéfanie Prezioso