En finir avec le pétrole avant qu’il ne nous achève

En finir avec le pétrole avant qu’il ne nous achève

«Tout le monde croyait s’enrichir; ce fut un rêve évanoui. Avant la fin de l’année, la plupart des puits étaient abandonnés parce qu’ils ne donnaient presque plus rien. Mais le pétrole était remonté à son ancien prix, et les chercheurs d’aventures s’étaient transportés avec leurs outils dans d’autres endroits présumés plus profitables. Un échec ne les décourage pas. Ils se disent que le monde ne peut plus se passer de pétrole, et que la Providence a certainement mis ailleurs en réserve des gisements qu’ils auront peut-être le bonheur de découvrir.»1

La court intermède pétrolier

Plus d’un siècle après ce récit de 1885, les réserves pétrolières, non renouvelables, se sont raréfiées, non plus aux seuls USA mais sur la planète entière. Le court intermède énergétique fondé sur le pétrole, qui a succédé aux pénuries relatives de bois puis de charbon, n’aura duré qu’un siècle et demi.


La fin du pétrole ne peut s’expliquer par le seul décuplement de la population mondiale pendant cette période. Preuve en est qu’actuellement deux milliards d’êtres humains manquent toujours d’énergie et ne peuvent espérer en recevoir car «Si tous les habitants de la planète consommaient avec la même intensité que les Nord-Américains […] il serait impossible de répondre à la demande»2. La crise énergétique dans laquelle l’humanité est plongée résulte exclusivement du choix socialement aberrant du système capitaliste consistant à produire artificiellement de la valeur d’échange en détruisant des ressources d’usage non reproductibles. L’impasse énergétique, dans laquelle nous entrons a des conséquences catastrophiques et sans précédents pour l’humanité. Voyons ce qu’il en est depuis notre citation de 1885.

  1. Tous les «autres endroits présumés plus profitables» ont été explorés depuis et les gisements nouvellement découverts ne compensent plus l’accroissement des besoins humains. N’en déplaise à la Providence, si les ressources fossiles solides (charbon) ont pu être remplacées par les combustibles liquides (pétrole), leur substitution par des combustibles gazeux (gaz naturel) ne peut être que partielle et limitée dans le temps. L’épuisement du charbon, du pétrole et du gaz naturel est prévu par les plus optimistes dans 150, 40 et 50 ans respectivement3.
  2. La citation indique aussi que «le monde ne peut plus se passer de pétrole» mais cette dépendance était dérisoire puisqu’en 1870 ce combustible n’était utilisé que pour l’éclairage alors qu’il l’est actuellement pour des milliers d’usages et des dizaines de milliers de produits!4. Le capital a reconverti l’appareil de production pour «tourner» au fossile, sans se soucier du devenir du transport de marchandises, du déplacement des personnes, du chauffage des bâtiments, de la fabrication des matériaux plastiques… une fois les hydrocarbures épuisés. Faute d’approvisionnement massif, durable et à bas coût en énergie fossile, cette infrastructure productive devenant inutilisable aura des conséquences catastrophiques pour des milliards d’êtres humains: «En un bref laps de temps de deux cents ans – quelque chose comme une seconde dans l’histoire cosmique – le capitalisme a détruit la base naturelle de l’existence humaine.»5.
  3. La pénurie annoncée ayant des conséquences fatales pour l’économie impériale, celle-ci cherche par tous les moyens à en retarder l’échéance en s’appropriant les ressources fossiles restantes par la ruse diplomatique, le chantage – pétrole contre nourriture –, la corruption, la menace et la guerre: la carte de conflits armés recouvre celle des gisements fossiles que convoitent les puissances impériales – USA en tête – au Proche Orient, en Asie Centrale, en Amérique du Sud, en Afrique6. C’est maintenant pour la guerre – ce terrorisme des puissants – et avec des armes de destruction massive que les actuels «chercheurs d’aventures» se transportent «dans d’autres endroits présumés plus profitables»7.
  4. Même au cas où nous aurions «peut-être le bonheur de découvrir» de nouveaux gisements de pétrole, son extraction à des fins de production d’énergie par combustion serait à proscrire parce que ce choix aberrant provoque des catastrophes écologiques sans précédents. Les dégâts sont apparus à tous les stades du processus d’exploitation du pétrole: de son extraction par la pollution des sols, à son transport par les marées noires et autres fuites, à sa combustion par l’émission de CO2 et à l’élimination de ses déchets. Le désastre écologique et climatique que la surexploitation de l’«or noir» allait entraîner a été occulté aux populations alors que le réchauffement de la terre, résultant de l’utilisation industrielle des combustibles fossiles était dénoncé dès 1896 par le chimiste suédois, Svante8.

Pénurie et pollution sont les raisons pour lesquelles «Il faudra trouver des sources d’énergie qui puissent offrir une alternative, si l’on ne veut pas que l’humanité retourne au niveau d’activité agricole [pré-industriel] réduisant alors non seulement son niveau de vie, mais aussi son nombre»9.

L’après fossile: un enjeu politique

Nous baignons dans le pétrole: il nourrit, transporte, nous chauffe autant qu’il souille, pollue et nous intoxique mais dépossédés du droit de choisir le mode de production, les exploités et opprimés n’y sont pour rien. Par contre nous devons refuser de rester passifs, soit d’être indirectement complices de cette calamité:

  • Complices en acceptant implicitement que de terribles guerres prolongent quelque peu notre confort énergétique.
  • En soutenant indirectement la surexploitation pétrolière comme incitent à le faire les bureaucraties réformistes qui, comme au Venezuela, corrompent et dressent les travailleurs du pétrole contre leur gouvernement élu et leurs frères de classe10.
  • En préconisant, face aux marées noires, des mesures de prévention dérisoires et trompeuses consistant à mettre en chantier des pétroliers à doubles coques, des «Trimarans dépollueurs» sensés aspirer les nappes11, des chaluts de pêche aux «galettes», des sous-marins Nautiles pour le colmatage des fuites et autres gadgets tout juste utiles à relancer un productivisme à bout de souffle.
  • En préconisant des économies d’énergies dont on voit bien qu’elles sont sans effets faute d’être soumise à un contrôle public rigoureux tant la florissante marchandisation de la valeur d’échange du pétrole étouffe le soin précautionneux qu’exige la préservation de sa valeur d’usage.
  • En s’illusionnant sur le contre-pouvoir des instances internationales – des commissions du Parlement européen aux Sommets mondiaux dont le récent Johannesbroufe – face aux puissantes mafias du pétro-trafic «présidées» par G.W. Bush. Bien que les accointances entre leurs hommes de main se veulent secrètes, il est notoire, dans le cas du Prestige, que son mauvais pétrole russe était acheté par Crown Resources AG, dont le siège est à Zoug «Ce véritable paradis fiscal»12 et dont un des actionnaires, le groupe Alfa, est présidé par Mikhail Fridman, copain-coquin de Marc Rich, emprisonné pour détournement de fonds bien que protégé par Bill Clinton pour en avoir grassement financé la campagne électorale13. Les leaders du financement de l’achat du fuel, son assurance et son transport par Prestige, pour le compte de Crown sont… la BCV et la BCG, les banques Cantonale Vaudoise et de Genève14…
  • En feignant d’ignorer que la bourgeoisie refusera d’accepter la moindre entrave à l’accumulation de son capital: elle compte tripler en quatre ans les ventes de voiture en Chine15, ceci alors que le parc automobile pollue plus que jamais malgré les «progrès techniques»16, qu’il consomme près de la moitié du pétrole extrait et qu’il a tué en 1999 plus de 800’000 personnes, jeunes pour la plupart, et en a blessé près de 30 millions17…
  • En laissant croire qu’un accroissement des transports publics planifié par les seules entreprises privées freinerait la progression du trafic automobile. En France, «le développement des réseaux de transports en commun, objet d’une large publicité, masque l’accroissement plus que proportionnel des infrastructures routières»18. Quant au réseau routier, que le tunnel du Gothard soit doublé, que les autoroutes Lausanne-Genève et Berne-Zurich soient élargies à six pistes19, les accidents de la routes et l’émission de gaz à effet de serre, continueront à croître de plus belle.
  • En cautionnant le discours dominant qui consiste à dénoncer les ravages du pétrole pour en imposer d’autres plus redoutables encore comme sa substitution par le nucléaire. A ce propos il est significatif que Le Monde insère quatre pages de propagande d’AREVA – «leader mondial du nucléaire» – où la minuscule mise en garde «(Publicité)» y est presque illisible20.
  • Complices enfin en réduisant les catastrophes dues au pétrole aux seuls désastres-spectacles relevés par les médias. Le naufrage du Prestige cache ainsi plus d’une vingtaine d’autres qui ont tout autant endeuillé les mers, leur flore et leur faune par des marées noires21. Ce ne sont plus ces catastrophes-là qu’il faut prévenir mais la catastrophe du pétrole par l’abandon définitif de son pillage.

Les prédateurs des biens d’autrui, forcés mais trop souvent complices que nous sommes devons dénoncer l’indécente hypocrisie consistant à vouloir à la fois, plus de pétrole à meilleur compte, des billets d’avion au rabais, des plages propres pour l’été, des appartement chauffés et de la neige en hiver, et toute l’année un air urbain respirable, des routes désengorgées et plus de mauvaises nouvelles dérangeantes de catastrophes climatiques et écologiques. Cette combinaison d’exigences contradictoire est illusoire et les mesures que le néo-réformisme nous propose ne sont qu’un vain acharnement thérapeutique sur le cadavre pourrissant du capitalisme.

En finir avec le pétrole

Cela implique que les mouvements sociaux et politiques qu’ils soient rouges, verts ou noirs se battent:

  • Pour que cesse le requiem infernal joué par le sinistre quintet des 5B: bagnole, benzine, béton, bitume, business.
  • Contre toute exaction militaire impérialiste de pillage des ressources sous prétexte de lutte antiterroriste: Plus de sang pour du pétrole!
  • Pour la poursuite impitoyable des pétro-terroristes et leur jugement pour mise en danger de l’humanité et de l’environnement.
  • Contre les manœuvres du capital visant l’appropriation privée des ressources en eau, terres, faune et flore nécessaires à la survie de l’humanité: La nature n’est pas une marchandise.
  • Pour le contrôle collectif et public des ressources de la Planète et des choix productifs de l’humanité: Un autre mode de production est possible!

François Iselin

  1. H. Blerzy, «L’extraction du pétrole aux Etats-Unis», Revue La Nature, 1885, p. 215.
  2. L’Atlas du Monde diplomatique, Manière de voir, janvier 2003, p. 20 – Lecture vivement conseillée.
  3. Idem, p. 21.
  4. Le Monde, 14.12.02 qui reprend l’un de ses articles d’il y a 50 ans.
  5. Renán Vega Cantor «Elementos para una crítica marxista del progreso» pp 349-403, in Marx y el siglo XX, Antropos, Bogotá, 1998.
  6. Voir les excellents articles sur l’Equateur et l’Afrique dans Le Monde diplomatique, Janvier 03
  7. Voir F. Iselin, «Le capitalisme est en manque», solidaritéS, n° 134, 29.11.01.
  8. E. Bard, «Climat: vers un changement majeur?», Le Monde, 13.11.02.
  9. C. M. Cipolla, Histoire économique de la population mondiale, Gallimard, 1965, p. 72.
  10. E. Diago, «Pétrole et corruption», Rouge, 19.12.02.
  11. Le Monde, 1-2.12.02.
  12. Le Monde, 21.12.02
  13. B. Viau, Le Devoir, 13.12.02.
  14. Le Monde, 8-9.12.02
  15. Le Temps, 19.12.02
  16. Le Monde, 28.11.02
  17. V.M. Toledo, «La religión del automóvil, crónica de una tragedia», Ecologia política n° 23, 2002
  18. Le Monde, 28.11.02
  19. «Le lobby routier impose un second tunnel au Gothard», 24 Heures, 12.12.02.
  20. Le Monde, 18.12.02
  21. L’Atlas du Monde diplomatique, opcit. p. 66.