"Cassandre Horschamp"

"Cassandre Horschamp" : Un tableau des résistances qui donne envie

La dernière livraison de « Cassandre Horschamp » (88, hiver 2012) s’intitule « Pour une révolution poïélitique » (du verbe grec, poien, « faire », qui donne « poésie »). Nicolas Roméas en précise l’intention : « Pour s’arracher au temps du chiffre (de la déshumanisation), le moment est sans doute venu que les indignés que nous sommes s’inventent une culture vraiment et profondément politique, un monde symbolique où la quantité soit remise à sa place, et la force du lien et du sens tout en haut. Au sommet ».

Ce numéro s’ouvre sur un dossier – «Vie de la Cité» – qui propose d’accompagner les mouvements d’occupation des places publiques et des bâtiments inoccupés livrés à la spéculation, en refusant de séparer expression artistique et expression citoyenne. 

Il se poursuit par une réflexion sur le lien entre action et poésie, où il est question de performances, de chansons subversives, de slam. Le poète performer Serge Pey, qui vient de publier Lèpre à un jeune poète (Toulouse, Délit, 2010), fait le récit de l’intervention du «?Mouvement des arts intranquilles » contre l’expulsion des Roms à Toulouse (ci-dessous). Les Souffleurs commandos poétiques d’Olivier Comte, qui travaillent à «une tentative de ralentissement du monde», expliquent comment ils ont créé une rue silencieuse à Aubervilliers (ci-dessous).

Il est aussi question de théâtre, d’abord avec l’acteur, auteur et metteur en scène Pierre Debauche. Ensuite, avec les écoles d’art dramatique qui sont invitées à débattre de l’irruption du processus de Bologne dans la formation des jeunes comédiens européens. Enfin, avec le Parminou, pionnier du théâtre d’intervention politique et social au Québec, qui continue de faire des émules. 

Que dire de la dénonciation du DSM (Diagnostic and Statistical manual of Mental Disorders) – la bible de la psychiatrie nord-américaine – par l’association canadienne Folie/Culture? Son « Dévidoir de Syndromes Magnifiques » a fait un sort au DSM5 au moment de sa publication. Et que penser du travail d’Agnès Bertomeu en France, qui envisage de fonder un grand musée d’art et d’histoire de la psychiatrie, « qu’elle fantasme comme une ambassade de la folie » ?

Enfin, la revue aborde de multiples autres enjeux, qu’il n’est pas possible d’évoquer ici de façon exhaustive. L’art en prison ou comment sortir des pratiques alibis qu’emballent les beaux discours sur la « réintégration ». Les mutations du hip-hop envisagées comme des « hypothèses en mouvement ». Les festivals de plusieurs villes de France et leurs enjeux artistiques et politiques. Les livres d’enfant et l’éducation populaire. 

 

Jean Batou

Pour en savoir plus et s’abonner : www.horschamp.org

 


 

Le mouvement des arts intranquilles contre l’expulsion des Roms

 « Le musée des Abattoirs n’a pas voulu accueillir notre manifestation. […] au même moment, [il] avait enfermé toutes les œuvres dans des caisses et exposait les caisses. Une action qui résume notre histoire de l’art contemporain: on expose des caisses fermées, et nous, artistes, on nous fout dehors.

C’est dans ce contexte qu’a eu lieu l’attaque du musée d’art moderne, avec des centaines de sacs-poubelles noirs contenant des milliers de vêtements que le Secours populaire nous avait donnés. […] nous avons fabriqué un grand drapeau bleu blanc rouge, avec sur le bleu la liste des communes se comportant comme des ordures avec les gens du voyage, et de l’autre côté, la liste de celles qui les traitaient mieux. […]

Le matin, je tire des barbelés autour du musée et je cloue des textes aux barbelés. A 14 heures, je frappe. Arrivent quatre estafettes et une dizaine de voitures devant les Abattoirs, fermés. Les occupants des voitures jettent de l’autre côté des grilles, là où j’étais, des dizaines de sacs-poubelle. Les sirènes hurlent, les poulets arrivent

Au bout d’un moment, j’ai sorti le couteau pour éventrer les sacs, et sortir les vêtements. Des centaines de personnes ont fait une chaîne humaine avec tous ces habits. Pendant ce temps, nous faisions passer à travers les grilles le tablant, le parquet sur lequel on danse le flamenco. Et sur fond de flamenco, il y a eu la rencontre entre les Roms musiciens des rues et les Gitans du flamenco. […]

Alors, je sors des poissons rouges dans des sacs en plastique, vivants, et je les accroche en haut des barbelés. Et quand le chant retentit, je sors mon couteau et je crève les plastiques, l’eau coule sur les barbelés […]. Les poissons commençaient à étouffer. Evidemment, les sauveteurs de poissons rouges sont arrivés.[…] Mais les Gitans leur ont dit: ‘Les poissons, c’est nous, nous sommes en train de mourir, laissez-les mourir parce que nous sommes morts.’ […]» (témoignage de Serge Pey)

 

Une rue silencieuse à Aubervilliers 

«La ville est traversée par des milliers de voitures, les gens sont agressifs, tendus, tristes. Pour modifier ces indices, nous nous sommes rendus pendant plusieurs mois dans les associations, les clubs, les marchés, pour prévenir les gens que le 16 décembre 2010, une rue serait silencieuse à Aubervilliers pendant une heure. 

Nous avions modifié la signalisation avec des panneaux poétiques, prévenant les gens qu’ils devaient rouler moteur éteint sur 300 mètres, ils seraient poussés, n’arriveraient pas en retard. Nous avons travaillé cinq mois cette opération, vaincu l’incrédulité des habitants comme des politiques. Les gens ont été accueillis par un immense petit déjeuner. 

Pendant une heure, une rue de la ville a été transformée en silence. L’espace public, ce n’est pas du territoire, c’est du temps!» (Une action des Souffleurs commando poétique).