"L'injustice aujourd'hui s'avance d'un pas sur"

Dans son dernier livre, Alain Badiou insiste sur les caractéristiques de la période actuelle qui serait définie selon lui par un retour au capitalisme des origines, et par « le tout début d’une levée populaire » (« Le réveil de l’Histoire », Paris, Lignes, 2011). La situation italienne semble en fournir un bon exemple.


Le gouvernement de Mario Monti est toujours plus à l’offensive. Il se présente aujourd’hui ouvertement sous les traits d’un libéralisme outrancier qui n’entend être freiné ni par les instruments classiques de la démocratie politique, ni par le mouvement ouvrier organisé. Monti et ses « experts » s’appliquent ainsi, sous le couvert de l’urgence économique, à détruire ce que dix-sept ans de berlusconisme n’avaient pas encore réussi à abattre. Et ils le font avec le toupet de ceux qui pensent ne pas devoir rendre de comptes. 

Ce gouvernement « technique » n’a-t-il pas été salué par l’écrasante majorité des forces politiques italiennes, parce qu’il constituait une garantie contre les règles d’un jeu politique considéré comme délétère après l’expérience Berlusconi ? Ne s’est-il pas vu confier, sans avoir à passer par la sanction des urnes, le rôle de remettre de l’ordre dans les comptes de l’Etat, de rétablir la confiance des partenaires internationaux et même de restaurer un certain sens moral ? En bref, n’a-t-on pas demandé à la population italienne, dans son ensemble de montrer patte blanche sous peine de représailles économiques pour le pays ?

 

Une seule alternative : pas d’alternative…

Dans ces circonstances, pourquoi s’étonner de la dernière déclaration, très controversée, du Président du Conseil ? Interviewé par Alessio Vinci sur Canale 5 (télévision appartenant au groupe Mediaset dont le principal actionnaire est Silvio Berlusconi), Mario Monti a en effet déclaré : «Les jeunes doivent s’habituer à l’idée qu’ils n’auront pas de poste fixe durant toute leur vie. Du reste, un poste fixe pour toute la vie, quelle monotonie! C’est bien plus beau de changer, d’avoir à relever des défis. Mais, il faut que cela se déroule dans des conditions acceptables, ce qui implique aujourd’hui de protéger un peu moins ceux qui sont hyperprotégés.?»

Une « gaffe » malheureuse a-t-on proclamé de toute part, comme si, en définitive, l’orientation politique et économique de ce gouvernement « technique » n’avait pas été assez clairement annoncée ces derniers mois. La déclaration de Mario Monti, il est vrai, ne manquait pas de culot, alors que s’affichait le chiffre record de 31 % de chômage pour les jeunes de 15 à 24 ans. Mais elle demeure dans la droite ligne des mesures d’austérités prises depuis la fin du mois de novembre et qui seront appliquées, selon la ministre du Welfare, Elsa Fornero, avec ou sans le consentement de la population. 

 

Flexibilité du travail/répression inflexible des travailleurs et travailleuses

Selon les récentes déclarations de Mario Monti, la crise italienne et la dette de l’Etat sont à imputer aux « largesses sociales » des gouvernements précédents. Pour y « remédier », Monti et ses experts ont donc décidé d’abolir toute forme de protection sociale des salarié·e·s, et de supprimer par la même occasion toute entrave à la liberté d’entreprise, notamment en ce qui concerne les licenciements.

Les conditions de vie des Ita-lien·ne·s ne cessent d’empirer (+ 4,2 % pour le panier de la ménagère le mois dernier), les mesures d’austérité touchent aujourd’hui des dizaines de milliers de travailleurs et travailleuses, précaires, re-trai-té·e·s, chômeurs et chômeuses.

Face au mécontentement qui monte, la répression semble être la seule réponse du gouvernement. Pensons à la matraque qui attendait les étu-diant·e·s de Bologne venus contester le doctorat honoris causa attribué par leur Université au Président de la République Giorgio Napolitano. Pensons aussi aux mi-li-tant·e·s NO-TAV (non au train à grande vitesse reliant Turin  à Lyon) qui ont été arrêtés, le 26 janvier dernier, officiellement pour des échauffourées remontant au mois de juillet 2011.

 

Une levée populaire ?

Depuis plusieurs semaines pourtant, le mouvement social en Italie ne cesse de s’amplifier contre vents et marée (répression des manifestations, menace de peines judiciaires disproportionnées, censure des médias, etc.). Le 27 janvier dernier, les syndicats de base ont appelé à la première grève politique contre le gouvernement Monti avec le mot d’ordre : « Nous ne paierons pas la dette ». Le 28, les mi-li-tant·e·s NO-TAV rassemblaient dix milles personnes à Turin. En Sicile, depuis plusieurs semaines, les révoltes et les grèves sont portées par les Forconi (littéralement ceux qui utilisent la fourche). Ce mouvement réunit des agriculteurs, pêcheurs, camionneurs et conducteurs des transports en commun, qui protestent contre la hausse du prix de l’essence et la détérioration de leur conditions de travail.

La mobilisation ne faiblit pas non plus en Sardaigne où une grève générale est d’ores et déjà annoncée pour le 9 mars prochain. Ce 11 février, la FIOM (syndicat des ouvriers de la métallurgie) a appelé à une manifestation nationale pour la défense du droit des travailleurs et travailleuses.

Dans le même ordre d’idée, le 28 janvier dernier s’est tenu à Naples le « Forum des communes pour le bien commun », rassemblement de forces politiques et sociales disparates sous la houlette du maire napolitain De Magistris. Ce Forum s’est entre autres fixé pour objectif la défense des médias indépendants, la reconnaissance des droits politiques aux migrant·e·s, la promotion de l’écologie, la défense de la culture, le combat contre la privatisation de l’université et en général de toutes les formes de savoir. De petits foyers s’allument un peu partout dans la péninsule… Qui sait, la levée populaire n’est peut-être pas loin.

 

Stéfanie Prezioso