Meutre en Colombie

Meutre en Colombie : Plainte pénale contre Nestlé en Suisse

Le 10 septembre 2005, le syndicaliste Luciano Romero a été assassiné en Colombie. Le 5 mars 2012, l’organisation European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR) et le syndicat colombien Sinaltrainal déposent une plainte pénale contre Nestlé et cinq de ses dirigeants auprès du ministère public de Zoug. Il leur est reproché d’avoir contribué, par négligence, à causer la mort de Romero par omission.

Pour la première fois, la co-responsabilité des dirigeants d’une multinationale est invoquée s’agissant du comportement d’une de ses filiales. Au-delà de l’issue de l’instruction, «l’examen du comportement de l’entreprise au regard des critères de droit pénal doit aussi pouvoir favoriser, à l’avenir, le développement de standards en matière de droits humains, standards à respecter par les entreprises agissant dans des régions de conflits armés et dans des zones à déficit de gouvernance.?» Dès lors, le siège de la multinationale en Suisse ne pourrait plus uniquement bénéficier des profits réalisés dans ses filiales, mais partagerait aussi la responsabilité des violations des droits humains commises à l’étranger.

     La responsabilité pénale des entreprises prévue à l’article 102 al. 1 du Code pénal suisse est particulière : «Elle est conçue comme un délit commis à l’encontre de l’administration de la justice elle-même.  Elle s’applique […] seulement si l’entreprise a commis une infraction criminelle ou délictuelle, dans le cas où les personnes physiques de l’entreprise responsables de l’infraction n’ont pas pu être identifiées en raison du manque d’organisation interne, de contrôle et de documents au sein de l’entreprise. L’entreprise est alors punie précisément pour ce manque d’organisation et non pas pour l’infraction commise en soi.?» Ce sont alors dans un premier temps plusieurs cadres dirigeants qui sont visés et dans un deuxième temps l’entreprise en tant que personne morale.

 

La plainte

Il est reproché à Nestlé et ses dirigeants «d’avoir contribué, par négligence, à causer la mort de Romero par omission. En tant que dirigeants et responsables de la sécurité, ils avaient en effet le devoir d’agir pour empêcher ce crime».

     Premièrement, ECCHR fait référence au conflit armé qui sévit en Colombie depuis des années. Les syndicalistes sont «exposés à une persécution systématique, en particulier par des paramilitaires et des autorités étatiques.?» Or, des représentants locaux de Nestlé ont à plusieurs reprises accusé Romero d’être à tort un combattant de la guérilla. Nestlé, implanté en Colombie depuis 1944, savait certainement que ce genre de diffamations pouvait avoir l’effet d’un arrêt de mort.

     Deuxièmement, «la filiale locale de Nestlé […] entretenait des rapports commerciaux avec de grands propriétaires liés aux paramilitaires.?» Salvatore Mancuso, ancien chef des paramilitaires AUC (Autodefensas Unidas de Colombia) a confirmé plusieurs fois devant le tribunal que son organisation avait reçu des paiements de la direction de Cicolac Nestlé.

     En 2002, Romero était le chef d’une délégation syndicale dans le cadre de négociations  portant sur une convention collective dans l’usine Cicolac. Aucun accord n’avait pu être trouvé pendant plusieurs mois. «?La direction accusa alors les syndicalistes de vouloir, par leurs revendications, obliger les grands propriétaires terriens et les distributeurs de lait à baisser le prix du lait et, ainsi, de vouloir mettre en péril le site économique de Valledupar. De telles allégations se sont avérées particulièrement dangereuses au regard des relations commerciales de l’usine Nestlé Cicolac avec les distributeurs de lait, eux-mêmes liés aux paramilitaires.?» Deux parmi eux ont depuis été condamnés à de lourdes peines de prison.

     Troisièmement, la direction suisse de l’entreprise était parfaitement au courant de la situation tendue dans son usine Cicolac et du danger que cela signifiait pour ses syndicalistes. Sinaltrainal a demandé une intervention du siège de la multinationale à Vevey. Cette dernière n’a cependant rien voulu faire, renvoyant toute responsabilité à ses délégués en Colombie. En se référant entre autres aux propres principes de conduites de Nestlé, ECCHR conclue que «la société mère de Nestlé en Suisse aurait du intervenir […] dans l’affaire Luciano Romero, au lieu de déléguer.?»

 

Pourquoi Luciano Romero?

Luciano Romero, père de 3 enfants, a travaillé pendant des années dans l’usine de Nestlé Cicolac où il a fait partie de la direction locale du syndicat Sinaltrainal. Plus de 3000 syndicalistes ont déjà perdu leur vie en Colombie, dont 24 travaillaient chez Sinaltrainal.

     90 % de ce genre de crimes demeurent impunis. Le cas de Romero semble être une exception : la justice colombienne a condamné cinq subordonnés du groupe paramilitaire «pour avoir participé à l’assassinat de Romero.?» L’instruction est toujours en cours contre d’autres paramilitaires ainsi que des informateurs et des membres des (ex-) services secrets colombiens DAS (Departamento Administrativo de Seguridad). Le juge responsable d’un des procès a exigé du ministère public qu’il enquête sur le rôle de l’entreprise Nestlé, car «l’audience a révélé que le défunt se préparait à témoigner devant le Tribunal Permanent des Peuples, dont l’audience devait avoir lieu les 29 et 30 octobre 2005 à Berne en Suisse». Depuis 2007, l’enquête n’avance plus et le juge en question a du s’exiler aux Etats-Unis.

     L’instruction de la justice colombienne, le bon suivi de ses membres par Sinaltrainal et le suivi de ce conflit syndical par un réseau d’ONGs suisses depuis une dizaine d’années, font qu’une documentation hors du commun est à disposition à l’ECCHR.

     Multiwatch, organisatrice de ce Tribunal à Berne, Unia, la Déclaration de Berne et les Juristes Démocrates de Suisses ont co-organisé la tournée des conférences du ECCHR et des représentants juridiques colombiens en Suisse, en Autriche et en Allemagne. Nestlé a une position de leader en tant que numéro un de l’agroalimentaire. Il serait souhaitable que la justice suisse montre que la gestion d’un empire demande aussi une véritable prise de responsabilité.

 

Béatrice Schmid

 


Pour plus d’informations :
www.ecchr.de/index.php/nestle.html