Grève générale portugaise et impasse stratégique

La grève générale du 22 mars a été marquée par la répression policière contre la manifestation de la Plateforme 15-O, équivalent portugais du mouvement des « Indigné·e·s ». La brutalité policière était telle que le gouvernement s’est cru en devoir de promettre une enquête. Mais, si l’enquête officielle n’apportera rien d’autre que les non-lieux habituels, il faut bien que du point de vue du mouvement gréviste, nous fassions le bilan des faiblesses qui, à gauche, ont facilité cette répression.

 Parlons tout d’abord des faiblesses de la grève elle-même. Certes les trains longue distance et le métro de Lisbonne ont été paralysés ; les autobus et les ferrys qui croisent le Tage l’ont été partiellement. Les hôpitaux, de leur côté, ont connu un taux d’adhésion assez élevé.

     Cependant, dans les écoles publiques, la grève a été plutôt faible, alors qu’il y a deux ans le mouvement avait été presque unanimement suivi par les enseignant·e·s. La grève n’a pas touché sérieusement le trafic aérien. Il est vrai que la compagnie aérienne TAP avait été préservée quelques jours auparavant des coupes salariales de 5 % qui devaient frapper l’ensemble du secteur public. A la RTP (télévision publique), malgré la menace de privatisation et l’élection récente à une large majorité d’un comité d’entreprise de gauche, la grève a été faible.

 

Danse des sièges et mobilisation des travailleurs·euses

Les critiques venant des partis de droite veulent faire croire que l’échec de la grève est dû au fait que le mouvement aurait été commandé par le PCP au lendemain de la succession du secrétaire général de la CGTP (Confédération générale des travailleurs). En effet, après un quart de siècle à la tête de la puissante centrale syndicale, Manuel Carvalho da Silva vient d’être remplacé. Le militant communiste, qui avait pris quelques distances vis-à-vis de son parti, cède la place à Arménio Carlos, son camarade plus discipliné. Selon la droite, la classe ouvrière se serait sentie manipulée pour faire profession de foi à la nouvelle direction.

     Mais cela n’explique pas pourquoi la grève générale du 24 novembre 2011 n’a pas été non plus un succès. Carvalho da Silva dirigeait encore la CGTP et la centrale syndicale socialiste UGT (Union générale des travailleurs) s’était jointe à la grève. Le 22 mars, lorsque l’UGT a appelé à briser la grève, 20 parmi la soixantaine de ses syndicats en ont décidé autrement et se sont joints au débrayage – mais sans effets spectaculaires. La classe ignore la danse des sièges et la danse des proclamations aux sommets de la bureaucratie syndicale.

 

Perdre une journée de salaire : pour quoi faire ?

La grève du 22 mars dernier révèle une impasse stratégique, qui ne peut simplement être imputée à un secrétaire général ou à un autre ; elle relève bien plutôt du fait qu’elle était simplement envisagée comme une journée de protestation. Or la seule protestation n’est pas suffisante pour répondre à ceux et celles qui refusent de faire la grève avec l’argument : « Perdre une journée de salaire – pour quoi faire ? ».

     Le négatif photographique de ce positionnement courant est celui d’une ancienne avant-garde politisée, qui souvent, pour une raison ou une autre, veut accomplir sa journée de travail le jour de la grève, tout en se déclarant en grève et en renonçant au salaire de la journée ! Ce geste symbolique est très minoritaire, mais il est assez répandu pour que l’on s’y attache. C’est qu’il exprime un crétinisme statistique solidement ancré dans des choix stratégiques : aux sommets de la bureaucratie, la grève n’est pas tant conçue pour arrêter le pays que pour créer un moyen de pression sur la politique du gouvernement ou, pour le dire différemment, un plébiscite écrasant la politique du gouvernement. Pour un responsable syndical, travailler ou non un jour de grève n’est donc pas aussi important que le fait de se déclarer en grève. Voilà pourquoi les piquets de grève visaient plus leur diffusion télévisuelle que convaincre les travailleurs·euses de s’associer au mouvement.

Il n’est donc guère étonnant dans une telle situation que les travailleurs·euses ne voient la grève que comme une simple invitation à renoncer à une journée de salaire, même si Arménio Carlos a essayé de corriger le tir à la dernière minute.

 

Chronique d’une répression annoncée

Revenons donc à la répression, qui a frappé ici et là des piquets de grève, mais surtout des manifestant·e·s. Il y a un mois environ, la Plateforme 15-0, sachant que la CGTP résiste toujours à convoquer des manifestations les jours de grève générale, a lancé un appel à manifester le 22 mars. La plateforme, issue du mouvement qui s’était mobilisé le 15 octobre dernier, regroupait des organisations de précaires, des activistes des droits humains, des activistes LGBT, l’extrême-gauche et le BE (Bloc de gauche).

     Face à cette pression, la CGTP a appelé, peu de temps avant la grève, à une autre manifestation. La police a alors annoncé qu’elle encerclerait la manifestation de la P 15-O pendant le trajet. La veille de la grève, le BE a mobilisé tout son appareil pour tenter de faire changer de cap les militant.e.s bloquistes, les précaires et les lgbtistes qu’il réussit à influencer afin qu’ils-elles participent à la manifestation syndicale.

     La CGTP a réussi à rassembler environ un millier de personnes, y compris grâce à l’adhésion tardive du BE, ce qui n’a pas épargné aux militants bloquistes des agressions de l’appareil syndical. La manif de la P 15-O, elle aussi minoritaire, a rassemblé à peu près la même chose, ou un peu plus, et avait comme seule expression organisée le MAS, Mouvement Alternative Socialiste, récente scission du BE. Une certaine immaturité politique de ce mouvement explique qu’il n’ait pas eu de service d’ordre pour réagir aux infiltrations policières qui visaient dès le premier instant à provoquer la répression. Mais, alors que le « haut civisme » de la manifestation syndicale-communiste-bloquiste était publiquement vantée par la propagande gouvernementale, la manifestation de la P 15-O a eu l’honneur d’être la seule cible de la répression. 

 

Antonio Louçã

Militant du BE jusqu’en 2007
et membre de la Commission
des travailleurs·euses de la RTP