Troisième année de crise européenne

 Le troisième été sous le signe de la crise de la zone euro se termine sans solution définitive à l’horizon.

 

La crise européenne est à la fois le produit de deux choses : d’abord, de la crise économique du capitalisme mondial dont la phase actuelle – la « crise des dettes souveraines » – a son épicentre en Europe. La raison pour laquelle cet épicentre est en Europe, et c’est la deuxième chose, tient à un trait spécifique du capitalisme européen, à savoir le caractére inachevé de la « construction européenne ». L’euro est une monnaie commune à 17 pays qui ont chacun des politiques économiques – notamment fiscales – distinctes.

 

    Cela signifie que les classes dirigeantes en Europe ont besoin d’apporter deux réponses distinctes à la crise : d’abord, résoudre le problème de l’accumulation de dette publique qui menace la solvabilité de certains Etats européens. Pour ce faire, l’austérité est leur outil privilégié avec les conséquences socialement régressives que l’on connaît. Ensuite, dépasser le caractére inachevé de la construction européenne, ouvrant ainsi une période de marchandages entre Etats et classes dirigeantes européennes sur les contours de l’approfondissement de celle-ci. Ces négociations opposent deux groupes de pays : les pays compétitifs et créanciers du nord et ceux non compétitifs et débiteurs du sud. Les premiers veulent obtenir le maximum de contrôle sur les politiques économiques des pays du sud tout en concédant le moins de ressources financières en guise de solidarité européenne. Les autres veulent surtout la solidarité (sous forme d’eurobonds par exemple). Les évenèments de cet été illustrent ces processus.

 

Les débuts d’une union bancaire

Le sommet européen de fin juin a posé un nouveau jalon dans le processus de développement de l’intégration européenne. Les chefs d’Etat et de gouvernement se sont mis d’accord pour mettre en place d’ici à six mois les débuts d’une « union bancaire ». Cela comportera la création d’une autorité unique de supervision à l’échelle de la zone euro.

       Cette opération est politiquement très importante, puisqu’elle marque le début de la fin du contrôle de chaque Etat national sur son industrie bancaire. Ainsi, une autorité paneuropéenne aura un droit de regard sur les comptes des banques de la zone euro et pourra intervenir dans leurs pratiques. Les autorités nationales ne seront plus en mesure de protéger leurs propres banques. Le secteur bancaire étant d’une importance politique primordiale en Europe – où la plus grande partie du crédit prend la forme de crédit bancaire – on mesure l’importance de cette décision.

    Cette mutualisation du contrôle public sur le système bancaire ouvre la voie à une mutualisation des coûts liés aux sauvetages des banques insolvables. L’Allemagne a accepté, lors de ce même sommet, que le mécanisme européen de stabilité (MES) – le fonds mis en place par les européens pour apporter de l’aide financière aux Etats en difficulté – puisse, une fois l’autorité unique de supervision créée, recapitaliser directement les banques qui en auraient besoin, sans passer par l’Etat où elles sont domiciliées.

    Il faut prendre la mesure du revirement allemand : en octobre 2008, la chancelière Angela Merkel avait refusé l’idée d’un sauvetage européen des banques en difficulté et opté pour des sauvetages nationaux. Ce qui a aggravé la crise dans la zone euro. En effet, dans deux des pays en difficulté – l’Irlande et l’Espagne – la crise de la dette souveraine n’a rien à voir avec un endettement public faramineux durant les années qui ont précédé la crise. Mais l’endettement de leurs secteurs privés a flambé, avec des bulles immobilières très importantes. Cet endettement a été alimenté par les banques et, quand la crise a frappé, le volume des mauvaises créances  a été énorme. Dans le cas de l’Irlande, le sauvetage des banques a même porté le déficit budgétaire à 32 % du PIB ! Le transfert des mauvaises créances des bilans des banques aux comptes des Etats a instillé le doute sur la solvabilité de ceux-ci et alimenté la spéculation contre eux.

 

La gestion du court terme spéculatif

Mais le processus d’approfondissement de l’intégration européenne n’avance pas au rythme des spéculateurs. Peu de temps après le sommet, le doute a regagné les marchés et fait repartir à la hausse les taux d’intérêt sur la dette publique espagnole et italienne. Même si le sommet a été salué par les commentateurs bourgeois comme le premier à ne pas décevoir les attentes, les spéculateurs ont bien vu qu’il n’apportait pas de solution définitive à la crise en Europe. L’été promettait d’être très chaud sur les marchés.

       Jusqu’au moment où, début août, la Banque Centrale Européenne a annoncé être prête à acheter de la dette publique espagnole et italienne pour faire baisser les taux d’intérêt et maintenir le coût de financement de ces deux Etats dans des limites soutenables. Mais cela ne se fera qu’à condition que les deux Etats en fassent la demande auprès des fonds de sauvetage européens en échange d’un engagement précis sur des mesures à prendre pour améliorer leur compétitivité. Ce n’est pas tant de nouvelles mesures que réclament la BCE et les pays du nord de l’Europe que la possibilité d’exercer un contrôle aussi direct que possible sur les politiques menées par l’Espagne et l’Italie, comme elles le font déjà pour l’Irlande, le Portugal et la Grèce.

    La plupart des commentateurs, bourgeois ou de gauche, concentrent leur attention sur les divergences entre Etats européens. Mais ce faisant ils passent à côté du fait que tant bien que mal, les classes dirigeantes européennes assemblent les pièces du puzzle : austérité et approfondissement de la construction européenne. Si la gauche radicale n’a aucune raison de se ranger du côté des opposants souverainistes à celle-ci, elle a la tâche de faire en sorte que l’opposition à celle-là soit la plus vigoureuse possible. 

 

Christakis Georgiou