Migration et santé: les inégalités perdurent!

Face à la montée en force du discours sécuritaire, sur fond de chant de sirènes populistes, et face aux menaces xénophobes toujours plus présentes, il est urgent de rappeler les droits humains fondamentaux liés à la migration, dont le droit à la santé. Il faut aussi rappeler une évidence : la migration est un phénomène aussi ancien que notre humanité même.

La Charte internationale des droits humains (1966), combinant les droits de la Déclaration universelle et les deux traités les codifiant en droit impératif, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), reconnait que « toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien et d’y revenir». Si les instruments juridiques et politiques internationaux se sont précisés et parfois renforcés (par exemple avec les conventions 97 et 143 de l’OIT sur les travailleurs·euses migrant·e·s), la réalité des conditions de déplacement, de vie, de travail et de santé des populations migrantes reste préoccupante.

La migration comme variable d’ajustement économique

Dans son document «Migrations internationales, santé et droits humains» (2003), l’OMS relève que les migrations, dans le contexte de la mondialisation, constituent un défi majeur, car ces populations sont souvent vulnérables et marginalisées. La migration est en effet le plus souvent contrainte par les conditions économiques précaires, sans parler des zones de conflits, et du réchauffement climatique !

En 2011, les migrant·e·s représentaient 3,1 % de la population mondiale, soit 214 millions de personnes. Plus de 60 % des migrations internationales ont lieu entre les pays du Sud ! Les Africains ne sont que 3 % à chercher de meilleures conditions de vie ailleurs, et 1 % vers l’Europe. Dans l’UE, la population migrante représente 4 % de la population, soit 20 millions, venant de pays tiers. Le plus souvent, les migrant·e·s sont des travailleurs-euses à la recherche d’un emploi, quittant des zones de misère, avec l’espoir de faire meilleure fortune dans le pays d’accueil. Pour ces migrant·e·s, le voyage prend malheureusement souvent une tournure dramatique. Selon le HCR, 2000 personnes ont disparu en Méditerranée entre février et septembre 2011 !

La Commission européenne vient d’adopter son 3ème rapport annuel sur l’immigration et l’asile, (mai 2012) en lien avec la protection internationale: le ralentissement économique de la zone euro, voir la récession de certains pays, et l’intensification de la pression migratoire aux frontières extérieures de l’UE, justifient pour la commission des mesures sélectives, même si elle vient d’adopter la directive pour le permis unique. Elle utilise le concept de migration légale face à la migration « irrégulière », pour promouvoir une mobilité des migrant·e·s favorable à la croissance, et pour accroître la compétitivité de l’UE, en garantissant la main d’œuvre pour les entreprises. Cette politique favorise aussi le plus souvent l’exode « des cerveaux » au détriment des pays déjà démunis.

Droit à la santé : du pain sur la planche !

L’accessibilité est en lien direct avec le statut juridique: les migrant·e·s sans papiers ou en situation « irrégulière » ont un usage «modéré» des soins, attendant le plus souvent les situations d’urgence, comme l’ont montré plusieurs études. Dans son dernier rapport sur la «Santé des migrantes et des migrants en Suisse» (avril 2012), l’OFSP montre que la population migrante consomme moins d’alcool que les autochtones, fume davantage, souffre d’une mauvaise alimentation et décrit l’état de sa santé de façon plus négative. Les femmes sont en situation sanitaire plus fragile, tant sur le plan somatique que psychique. Mais dans l’ensemble, les migrant·e·s n’ont pas de consommation de soins plus grande que les autres, voire parfois au contraire, selon les données comparatives entre 2004 et 2010. Leurs connaissances de base en matière sanitaires sont souvent plus faibles, et les problèmes de communications plus importants.

Le 1er congrès européen de psychiatrie sociale (ECSP, Genève, juillet 2012) a mis en évidence la problématique de la migration en lien avec la souffrance psycho-sociale. Son président, Le Professeur Driss Moussaoui, du Maroc, en citant les données internationales des processus migratoires (un humain sur trois vit aujourd’hui en dehors de la ville ou de la région où il est né !), a insisté sur le sort commun de l’écrasante majorité des migrant·e·s, à savoir des réfugiés de la pauvreté que toutes les sociétés sont amenées à voir croître en leur sein.

Cette évolution vers un « melting pot» socio-culturel est inévitable. Il faut en saisir les opportunités pour favoriser l’adaptation mutuelle nécessaire, plutôt que de renforcer les stigmatisations qui ont souvent déjà fait leurs ravages chez les personnes migrantes. En effet, de très nombreuses études confirment une plus forte prévalence de troubles psychiques, comme le stress, l’angoisse et la dépression dans les populations migrantes. Malheureusement, ces troubles ne sont pas suffisamment pris en charge.

En résumé, il est indispensable de combattre les idées reçues qui nourrissent la xénophobie et le racisme ambiant, en favorisant des études et enquêtes qui nous fassent mieux connaître la réalité des personnes ayant vécu le processus migratoire. Le travail syndical, d’associations comme Pluriels, Appartenance, ou de services comme « Santé-Migrant », sont riches de ces expériences pour tisser et renforcer les liens favorisant une réelle intégration.

Gilles Godinat