Le gouvernement veut protéger les patrons se livrant au dumping salarial

L’initiative cantonale des syndicats genevois de la CGAS pour le renforcement du contrôle des entreprises et contre la sous-enchère salariale – que solidaritéS a soutenue – a été déposée en février. Aujourd’hui le gouvernement genevois en propose l’invalidation !

En effet, le rapport du Conseil d’Etat sur l’IN 151 propose d’invalider la création d’une inspection des entreprises désignée par les syndicats et annonce un contre-projet en matière de quotas minimaux d’inspecteurs.

En prétendant juridiquement invalide l’inspection des entreprises, le Conseil d’Etat veut empêcher les salarié·e·s de se prononcer favorablement dans les urnes pour un moyen efficace de contrôle du marché du travail.

Le Conseil d’Etat prétend que donner la possibilité aux organisations syndicales d’effectuer des contrôles dans les entreprises serait une mesure disproportionnée par rapport à l’ambition de lutter contre la sous-enchère et constituerait une violation de la « liberté économique » et de la « sphère privée » des patrons!

 

Abus et violations cautionnés

Le gouvernement genevois préfère donc protéger les entreprises de contrôles qu’elles ne souhaitent pas plutôt que défendre les salarié·e·s contre des abus et violations multiples de leurs droits.

Alors que la réalité montre que ce n’est ni l’Etat, ni les associations patronales qui s’activent pour traquer les cas de dumping salarial, que ce sont les syndicats qui dénoncent des cas de sous-enchère aux inspections paritaires ou étatiques en accumulant souvent des plaintes pour violation de domicile ou diffamation de la part de patrons peu scrupuleux, il est clair qu’il faut renforcer les possibilités de contrôle des syndicats, leur donner plusde moyens pour pouvoir documenter et fonder les plaintes.

En refusant de donner des moyens au premier échelon de la lutte contre le dumping salarial, le Conseil d’Etat fait non seulement preuve d’antisyndicalisme mais donne aussi un message clair au patrons : il n’entend pas contrôler leurs abus. Ce message est d’autant plus clair que le Conseil d’Etat annonce qu’il s’opposera via un contre-projet à la partie de l’initiative prévoyant un quota minimum d’inspecteurs en fonction du nombre de salariés, alors qu’il s’agit « simplement » de suivre en la matière les recommandations de l’OIT.

L’argumentation du Conseil d’Etat sur laquelle se fonde sa décision d’invalidation de l’inspection des entreprises repose sur une lecture partiale de l’initiative. Le Conseil d’Etat refuse de donner aux syndicats les moyens nécessaires pour remplir leur mandat consistant à amener les preuves documentées de la sous-enchère, y compris devant les instances tripartites dont il est membre, afin d’actionner une « mesure d’accompagnement » de la libre-circulation.

 

Droits des salarié·e·s bafoués

En accusant de partialité l’inspection des entreprises, le gouvernement se garde bien de préciser comment se déroulent les inspections actuelles de l’OCIRT, sur rendez-vous téléphonique pris des semaines à l’avance, en ne s’entretenant qu’avec le patron…

Le Conseil d’Etat cite des chiffres gonflés sur le nombre de contrôles. Un message électronique ou un coup de fil sans vérification ultérieure est considéré comme un contrôle. En réalité, en 2011, il y a eu moins de 160 contrôles de terrain effectués par l’inspection cantonale du travail !

Mais surtout le Conseil d’Etat passe sous silence le fait que l’inspection des entreprises n’a pas compétence de rendre des décisions. L’initiative prévoit pour cette inspection le simple droit de mener des enquêtes, de documenter des cas et de formuler des invites à se conformer au lois.

L’initiative prévoit ceci : «L’inspection des entreprises agit comme instance de contrôle et de surveillance dans les champs prévus par la présente loi. Elle instruit les dossiers et peut inviter les entreprises à se conformer aux prescriptions légales en leur accordant un délai à cet effet, sauf danger imminent ou cas de force majeure. Si l’entreprise refuse de se conformer ou ne respecte pas le délai, l’inspection des entreprises communique le litige aux organes compétents pour qu’une décision soit rendue.» Ce système garantit donc aux entreprises le principe d’impartialité et invalide la position du Conseil d’Etat qui clairement n’a pas appliqué dans ce cas le principe in dubio pro populo mais s’est évertué à chercher des prétextes juridiques pour ne pas avoir à mener un débat politique sur les lacunes du système de contrôle actuel et la nécessité de renforcer les droits des salarié·e·s et de leurs organisations pour lutter contre le dumping salarial.

 

Recours annoncé

La lecture que le Conseil d’Etat fait de la sous-enchère est celle des organisations patronales : les abus seraient le fait d’une infime minorité de 5 à 6 % des entreprises. En ignorant les études qui indiquent que la sous-enchère salariale concerne 20 à 25 % de celles-ci, le Conseil d’Etat prend minimise une situation grave qui appelle une réponse du type de celle proposée par la CGAS.

A l’heure où les pressions sur le marché du travail se multiplient, où le salaire médian genevois a pour la première fois reculé (2008-2010), en choisissant d’ignorer l’étendue réelle de la sous-enchère, en qualifiant l’inspection syndicale de non-neutre, en privant les syndicats de moyens d’amélioration qualitative et quantitative des preuves, en refusant une initiative qui veut vraiment changer les choses, le Conseil d’Etat choisit l’immobilisme et se rend responsable d’une politique qui favorise le dumping salarial.

La CGAS appelle évidemment le Grand Conseil à ne pas suivre la position du Conseil d’Etat et à valider son initiative. En cas d’invalidation par le parlement cantonal de celle-ci, les syndicats annoncent d’ores et déjà qu’ils déposeront un recours au Tribunal fédéral.

 

Pierre Vanek